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Sarkozy et la mise au pas de la télévision
publique
Olivier Laurent
Mercredi 24 décembre 2008 Le programme de
réforme de la télévision publique du président Sarkozy est en
passe de se réaliser. Il s'agit surtout de renforcer son
contrôle sur celle-ci, il est vu par beaucoup de commentateurs
comme une atteinte à la liberté de la presse. Il advient à un
moment où, face à la crise sociale provoquée par sa politique de
régression sociale et la récession, le gouvernement monte une
série d’attaques contre les droits démocratiques (prison à l’âge
de12 ans, amende de 12000 euros pour le DAL — Droit Au Logement,
atteintes au droit de grève — service minimum d’accueil dans les
écoles, service minimum dans les transports en commun).
La réforme aura aussi l’avantage pour le
chef d’Etat de générer des profits juteux pour ses amis proches
de l'élite financière française.
Le projet de Loi doit être examiné par le
Sénat au début de janvier.
Les présidents des groupes publics France
télévision et Radio France seront dorénavant nommées par le
président de la République, sur avis conforme du Conseil
supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Cette nomination se fera pour
cinq ans, mais le président de la République pourra la retirer à
tout moment, avec l'accord du CSA. Jusqu'ici il était nommé par
le CSA seul et la révocation n'était envisageable qu'en cas de
faute grave. Un sondage réalisé en juillet indiquait déjà que 71
pour cent des Français sont opposés à cette mesure.
Ce projet de grande réforme de
l'audiovisuel avait été annoncé le 8 janvier 2008, Sarkozy avait
déclaré : « Je propose [...] que nous accomplissions une
véritable révolution culturelle dans le service public de la
télévision [...] Je souhaite que l’on réfléchisse à la
suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques. »
Il prenait ainsi par surprise ses
adversaires de la gauche bourgeoise, d'autant que durant sa
campagne électorale, il avait déclaré le 15 février 2007 dans un
entretien accordé à l'Express : « Je préfère qu’il y ait
un peu plus de publicité sur les chaînes publiques plutôt que
ces chaînes n’aient pas assez de moyens pour financer beaucoup
de programmes de qualité. »
On a beaucoup dit qu'il s'agissait d'une
décision prise « sur un coup de tête », ce dont le président
serait coutumier. Cependant, à l'automne 2007, TF1 (la
principale chaîne privée) avait adressé au gouvernement un livre
blanc qui contenait cette proposition.
La publicité représente une part importante
des revenus des chaînes publiques : 833 millions d'euros, soit
36 pour cent. Le remplacement de ces revenus sera assuré par des
taxes sur les compagnies de téléphone, les fournisseurs d'accès
Internet et les recettes publicitaires des chaînes privées. La
suppression de la publicité sur les chaînes publiques constitue
une manne pour les chaînes privées et en particulier TF1,
détenue par Martin Bouygues, milliardaire du secteur du bâtiment
et ami proche de Sarkozy (il fut témoin à son
premier mariage). Le gouvernement
envisage de permettre deux coupures publicitaires pendant les
films diffusés sur les chaînes privées, jusqu’ici limitées à une
seule.
Ce mode de financement constitue à la fois
une atteinte économique (les entreprises concernées vont
évidemment reporter le manque à gagner de la taxe sur leurs
clients et leurs salariés) et une atteinte à l'indépendance des
chaînes de télévision puisque le montant de la taxe ne leur sera
pas directement affecté (contrairement à la redevance actuelle)
mais versé au budget de l'État qui décidera chaque année de ce
qu'il leur accordera.
De l'aveu même du gouvernement, les
rentrées attendues de ces taxes ne se montent qu'à 450 millions
d'euros. L'ensemble va donc s'accompagner d'une baisse de la
qualité des émissions et des salaires dans le groupe France
Télévision. Le projet prévoit également de réunir les 49
entreprises du groupe en une seule, un moyen d'asseoir
l'autorité du président en raccourcissant la chaîne de
commandement et occasion de licencier une partie du personnel.
L’utilisation de la publicité pour financer
les services publics, les met sous la tutelle des grandes
entreprises. Cette suppression était traditionnellement une
demande de la gauche mais dans ce cas ce n’est nullement une
mesure progressiste car elle vise à mettre les chaînes publiques
sous contrôle direct en réduisant leur autonomie financière.
L'opposition PS, PCF et Verts, la gauche
bourgeoise, a voté contre le projet de loi, après avoir déposé
400 amendements pour ralentir la procédure. L'orateur du PS,
Didier Mathus, a dénoncé la « berlusconisation » du paysage
audiovisuel français. Noël Mamére, député Vert, a proposé de
réévaluer le montant de la redevance (actuellement de 116
euros), qui est plus faible qu'en Grande-Bretagne (195 euros).
Mais ils acceptent tous de confiner le débat à l'alternative
entre financement publicitaire et redevance. Aucun des 400
amendements proposés n'envisageait la simple idée du financement
par les fonds publics.
Le parallèle avec Berlusconi est largement
valide étant donné que le pouvoir accru du président sur les
chaînes publiques est complété par des relations privilégiées
avec les grandes chaînes privées. Ainsi, au lendemain de
l’élection présidentielle, Martin Bouygues avait nommé le
directeur adjoint de la campagne électorale de Sarkozy, Laurent
Solly, au poste de directeur adjoint de TF1. Mais ces
liens sont plus anciens : En 1985, alors maire de Neuilly,
Sarkozy avait créé un club, Neuilly Communication, où se
côtoyaient Arnaud de Puyfontaine (PDG du groupe de presse
Mondadori-France), Nicolas de Tavernost (patron de la chaîne
M6), Guy Verrecchia et Alain Sussfeld (à la tête de la chaîne de
cinémas UGC), Philippe Gaumont (agence de publicité FCB) ou le
patron de la Sacem (Société qui perçoit les droits d'auteur),
Jean-Loup Tournier.
Le gouvernement, ne parvenant pas à obtenir
une adoption définitive de son projet de loi dans les temps, a
pris la décision de demander à Patrick de Carolis, président de
France Télévisions, de décréter lui-même la suppression
partielle de la publicité entre 20h et 6h. Patrick de Carolis
avait initialement menacé de démissionner si cette réforme
entraînait une baisse des moyens de la télévision publique, mais
il s’est exécuté et a également proposé que les économies
d'échelle réalisées par la fusion des 49 entreprises du groupe
passent de 140 à 200 millions d'euros.
Le Parti socialiste a annoncé qu'il
saisirait le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité
de cette procédure. Selon un article du Monde du 15 décembre, le
ministère de la Culture explique néanmoins que la décision de
contourner le parlement ne pose pas de problème juridique et
qu’il s’agit « d’une simple anticipation de la loi ».
Ce genre de raccourci avec les procédures
démocratiques est typique du régime sarkozyste. Ainsi, le
projet, bien qu'annoncé au début de l'année, n'a été déposé au
Parlement qu'en novembre pour imposer l'utilisation d'une
procédure de vote d'urgence qui limite les débats. Christine
Albanel, ministre de la Culture, avait également indiqué à
plusieurs reprises qu'il n'était pas exclu que la suppression de
la publicité sur les télévisions publiques, prévue pour le 5
janvier, se fasse par décret si la réforme n’était pas adoptée à
temps.
Le président est également coutumier des
menaces à peine voilées contre tous ceux qui s'opposent à son
autorité, notamment dans les médias. Cet été, le site Internet
Rue89 avait diffusé des images enregistrées par une caméra de la
chaîne France 3 lorsque le président patientait en attendant le
début d'une interview.
Nicolas Sarkozy avait dû traverser une
manifestation de plusieurs centaines de salariés dénonçant le « Hold
up sur le service public » et affirmant « Plus belle la vie sans
Sarkozy » pour rejoindre le plateau de l'émission. Une fois
assis, il s'était plaint du manque de politesse d'un technicien,
qui ne l'avait pas salué : « On n'est pas dans le service
public, on est chez les manifestants... Incroyable... Et
grave ! » Après qu'une journaliste lui a répondu, « C'est la
France », il a dit : « ça va changer, là. » Ensuite, il a
plaisanté sur la « placardisation » de l'un des journalistes,
Gérard Leclerc, faisant partie des signataires d'une tribune
très critique sur la réforme en cours, « T'es resté combien de
temps au placard ? »
La direction de France 3 avait alors
procédé à une première en droit français, demandant la
destruction de la séquence vidéo et la communication de leurs
sources aux journalistes de Rue89 (la demande de sources a été
abandonnée par la suite).
Le journaliste Ulysse Gosset, animateur
d'un talk-show politique sur France 24, a appris vendredi 12
décembre au dernier moment que le centième numéro de son
émission ne serait pas diffusé et que son contrat n'était pas
renouvelé pour l'année prochaine. Cet été, il avait consacré une
émission au ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner,
présenté comme un « homme de gauche passé à l’ennemi avec charme
et bagages ». L'épouse de Bernard Kouchner, la journaliste
Christine Ockrent, est directrice de France 24.
Tous les médias sont concernés. Le 28
novembre, un journaliste de Libération avait été réveillé
à 6h30 du matin, menotté devant ses enfants et emmené en
garde-à-vue pour une affaire de diffamation. Des excuses ont été
présentées par la suite mais certains ministres, Rachida Dati,
Michèle Alliot-Marie, avaient défendu l'action de la police et
n'ont pas été contraintes de démissionner ou ni n’ont été
réprimandées.
Mardi 16 décembre des policiers ont empêché
deux photographes de l’Agence France-Presse (AFP, agence de
journalistes à financement public mais au fonctionnement
indépendant) de faire leur travail lors d’une manifestation
lycéenne à Lyon. La police a saisi de force un des appareils et
en a effacé le contenu. Une enquête interne à la police a été
ouverte. Pour l'intersyndicale de l'AFP, le comportement des
policiers, « n'est que le reflet d'une volonté, au plus haut
niveau, d'étouffer les mouvements sociaux et leur retransmission
dans les médias ». Il existe un autre projet de réforme visant à
privatiser l'AFP.
Ces atteintes à la liberté d'information
constituent des coups de sonde, l'élite française se prépare à
une confrontation d'envergure.
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Publié le 25 décembre 2008 avec l'aimable autorisation du WSWS
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