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MoDem
François Bayrou: Le chef de l'Etat a créé un sentiment durable
d'injustice qui déstructure la société
Entretien Les Echos - Jeudi 25 septembre 2008
François Bayrou, dans un entretien consacré
au journal Les Echos, juge "simpliste" de parler, comme Nicolas
Sarkozy l'a fait à New York, de sanctions contre les
responsables de la crise financière: "La crise n'est pas la
faute de quelques individus, elle est la responsabilité d'un
système. Et ce système, c'est celui-là même que Nicolas Sarkozy
a proposé comme modèle à la France. Le président de Lehman
Brothers a gagné en cinq ans 354 millions de dollars. Et cela
fait un énorme scandale. Faut-il rappeler à Nicolas Sarkozy que
c'est 50% de moins que ce qui a été donné en un seul jour à M.
Tapie avec l'argent du contribuable?". François Bayrou préconise
un vrai FMI, capable de mettre hors-la-loi les paradis fiscaux
et d'orchestrer la lutte contre la corruption et propose de
construire d'urgence une autorité de régulation européenne. Sur
le plan intérieur, il juge qu'il faut remettre à plat notre
fiscalité en arrêtant ce côté vibrionnant qui consiste à
inventer une taxe par jour.
Nicolas Sarkozy a proposé un sommet sur la
crise financière et plaidé pour un « capitalisme régulé ». Vous
a-t-il convaincu ?
Entre les mots et les réalités, il y a des
années-lumière. Nicolas Sarkozy explique doctement que les
gouvernements doivent dire la vérité aux peuples sur la gravité
de la crise et punir les coupables. Peut-on lui rappeler que le
gouvernement, c'est lui ? Il reprend l'antienne de la
moralisation du capitalisme financier. Mais depuis qu'il le dit,
y a-t-il eu quelque chose de fait ? Rien.
En outre, selon moi, cette invocation de
l'existence de « coupables » et l'appel à la punition a un côté
simpliste : la crise n'est pas la faute de quelques individus,
elle est la responsabilité d'un système. Et ce système, c'est
celui-là même que Nicolas Sarkozy a proposé comme modèle à la
France. Quand il a vanté le « modèle américain », ce n'était pas
autre chose que ce qui est en crise aujourd'hui, c'est-à-dire un
projet de société qui accepte et même recherche la croissance
des inégalités comme moteur de la société et qui fait de
l'inventivité financière sans lien avec la réalité économique
son enfant chéri. Ce ne sont pas les dérives du modèle qui
posent problème. C'est le modèle lui-même qui est en cause.
La crise ne serait donc pas terminée ?
Je ne le crois pas. Pas plus que je ne crois
qu'elle puisse être cantonnée aux Etats-Unis. J'ai vu
l'exubérance optimiste et soulagée des marchés à l'annonce du
plan Paulson : je l'ai perçue comme un signe d'affolement de
plus. La crise est d'ores et déjà systémique. Elle touche
l'oxygène même de tout modèle économique : la confiance.
Confiance dans l'avenir et confiance dans ses partenaires. Rien
que l'énoncé du plan américain suscite des questions. On va
reprendre des titres, mais avec quels périmètres et à quels
cours ? Ces questions en posent d'autres. Le principe de faire
payer le mauvais risque avec l'argent du contribuable, n'est-il
pas problématique ? Et croire en l'étanchéité entre le système
bancaire américain et le reste du monde... Je n'y crois pas plus
qu'aux caissons étanches du « Titanic » : sur le papier, ils
étaient garantis mais l'eau s'infiltrait partout.
Que préconisez-vous ?
Il faut penser le durable. C'est aussi
important en économie qu'en écologie, parce qu'il n'y a pas
d'activité économique s'il n'y a pas de confiance dans le long
terme. Il faut que règles et repères soient pensés simples,
fiables et stables. Donc il faut de la puissance publique. Le
mot de puissance publique est pour moi plus large que la seule
invocation des Etats. Car si l'on s'en remet aux décisions
multiples des multiples Etats, on aura la cacophonie, la jungle
et l'impuissance. L'action ne peut donc être qu'internationale,
et d'abord européenne. Ce devrait donc être le temps d'un vrai
FMI, capable de mettre hors la loi les paradis fiscaux et
d'orchestrer la lutte contre la corruption.
Deux, si la puissance publique prend
conscience de son devoir de régulation, alors il faut construire
d'urgence une autorité de régulation européenne. Quand vous avez
27 autorités de régulation, vous n'avez pas de régulation.
Trois, il faut élargir l'espace de la régulation : tout ce qui
est produit à risque doit être soumis à régulation, aussi bien
les « hedge funds », que les produits financiers acrobatiques,
la titrisation du risque. Quatre, les règles de régulation
doivent imposer des normes de liquidité et de solvabilité qui ne
se limitent pas aux banques. Cinq, une révision s'impose : celle
des normes comptables. Le « mark to market », l'idée selon
laquelle tous les bilans sont réévalués à intervalles
rapprochés, en fonction des prix de marché, est un accélérateur
de crise, à la hausse quand le marché s'emballe, donnant une
fausse impression d'aisance et de toute puissance, à la baisse
en période négative, propageant l'affolement.
Enfin, il faut s'intéresser au mode de
rémunération des acteurs financiers, qui favorise outrageusement
la prise de risque et pousse à l'ivresse orgueilleuse, à l'hybris.
Faut-il, comme le dit le chef de l'Etat,
punir les coupables ?
Je vous le répète : le coupable, c'est le
système. Et peut-être la recherche des voyous mériterait-elle un
périscope plus large... Le président de Lehman Brothers a gagné
en cinq ans 354 millions de dollars. Et cela fait un énorme
scandale. Faut-il rappeler à Nicolas Sarkozy que c'est 50 % de
moins que ce qui a été donné en un seul jour à Bernard Tapie
avec l'argent du contribuable...
Faut-il interdire les parachutes dorés ?
Tout ce qui est de l'ordre des avantages
inconsidérés devra être revu.
Que doit dire Nicolas Sarkozy aujourd'hui à
Toulon sur la politique économique à mener ?
Tout d'abord, permettez-moi de juger un peu
surprenante l'idée d'annoncer une politique économique au cours
d'un meeting. Un tel propos nécessite de la mesure et de la
rationalité, un cadre qui ne soit pas passionnel. Sur le fond,
Nicolas Sarkozy doit d'abord reconnaître clairement que le
modèle financier qui a dominé la globalisation est malsain et
non soutenable à long terme, et que la contagion de la crise
financière à l'économie est réelle. La France s'est engagée dans
la soumission au système dominant au moment précis où celui-ci
entrait dans la plus grave crise de son histoire. Elle doit
aujourd'hui être une force de résistance et de proposition.
A court terme, faut-il laisser filer le
déficit budgétaire, faire une politique de relance ou au
contraire augmenter les impôts ?
A l'été 2007, en gaspillant toutes les marges
de manoeuvre budgétaires, en distribuant des avantages aux plus
aisés, en servant sa clientèle électorale au détriment de
l'intérêt général, comme le lui a dit avec pertinence le
ministre des Finances allemand, Nicolas Sarkozy a créé un
sentiment durable d'injustice qui destructure la société et
déséquilibre les finances publiques. Le résultat, c'est un Etat
très endetté qui va subir de plein fouet la montée des taux
d'intérêt. La grenade est dégoupillée.
Il faut donc augmenter les prélèvements pour
ne pas dépasser la limite des 3 % du PIB...
La seule solution aujourd'hui, c'est de
remettre à plat notre fiscalité en arrêtant ce côté vibrionnant
qui consiste à inventer une taxe par jour. Les Français le
supportent d'autant moins que le bouclier fiscal met à l'abri
les plus riches de tout effort. Le système fiscal doit être
entièrement repensé et simplifié. C'est l'oeuvre de plusieurs
années : il doit avantager la création, l'investissement, et non
la rente. Il doit permettre de réduire les prélèvements sur le
travail en pensant un transfert vers un prélèvement carbone. Et,
bien sûr, un calendrier de réformes structurelles (je pense aux
collectivités locales par exemple) doit permettre de réduire
vraiment les dépenses publiques.
Etes-vous favorable à la privatisation de La
Poste ?
J'attends la discussion avec vigilance. Mais,
a priori, je ne comprends pas pourquoi on considère comme un
dogme qu'une entreprise publique dans un secteur de services
publics serait par principe moins performante qu'une entreprise
privée.
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-ALAIN FURBURY
ET ÉTIENNE LEFEBVRE.
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