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Le traité de l’Union européenne
signé à Lisbonne : une constitution qui n’en a pas le nom
Chris Marsden
14 décembre 2007
Les efforts gênants du
premier ministre britannique Gordon Brown pour minimiser
l’importance du fait qu’il avait signé le nouveau traité de
l’Union européenne étaient plus révélateurs que ne
voudraient bien l’admettre d’autres leaders européens, qui se
sont manifestement réjouis de ses déboires.
La cérémonie de signature
de ce traité par les chefs de gouvernement des pays de l’Union
européenne dans la capitale portugaise a duré une journée, a été
une affaire fastueuse, pompeuse et donnant dans le tape à l’œil.
On avait, pour l’occasion, transformé le monastère des
Jeronimos, un monument historique, en quelque chose qui
ressemblait à un décor de film de Walt Disney et ce, à grand
renfort de spots bleus et d’écrans de télévision géants.
Seul le ministre des Affaires
étrangères était présent pour représenter la Grande-Bretagne.
Brown qui a signé seul le traité plus tard, ne voulait pas du
tout venir, mais a finalement cédé à la pression des autres
dirigeants européens menés par la chancelière allemande, Angela
Merckel.
Brown avait cependant insisté
sur le fait qu’il devait tout d’abord respecter un autre
engagement — une session du Comité de liaison de la chambre des
députés, qui en fait avait été planifiée après que la date
du meeting de Lisbonne fut connue. Le ministre des Affaires étrangères
du « cabinet fantôme » (le « gouvernement »
de l’opposition), William Hague, l’a couvert de ridicule
disant qu’il avait réussi à « transformer quelque chose
d’aussi simple que la signature du traité de l’Union européenne
en un embarras national » et l’a accusé d’« indécision,
manque de courage et promesses électorales non tenues ».
Brown s’est une fois de
plus montré comme un invertébré politique, arrivant en cachette
à la dernière minute, le résultat avant tout de sa peur de se
faire critiquer par les journaux contrôlés par Murdoch qui sont
farouchement hostiles à toute extension des pouvoirs de l’UE et
qui sont aussi, et dans la même mesure, résolument atlantistes.
Mais la pièce jouée par ses homologues européens n’était en
rien plus distinguée, juste un peu plus effrontée. Leur joie
venait du fait qu’ils avaient signé un traité se distinguant
à peine de la Constitution européenne résolument rejetée par
des référendums en France et en Hollande en 2005.
Par un simple stratagème
consistant à redéfinir la constitution et à en faire un traité
et à abandonner les références explicites au mot « constitution »
et des symboles comme le drapeau et l’hymne européens ornant le
projet de constitution de 2004, les divers gouvernements européens
ont l’intention de rendre impossible tout autre rejet populaire
de mesures considérées comme vitales pour les intérêts du
grand patronat.
Le président français,
Nicolas Sarkozy, déclare maintenant qu’il escompte bien que le
parlement français sera le premier à ratifier le Traité de
Lisbonne après avoir rejeté l’idée de tenir un second référendum.
Un congrès extraordinaire de
révision de la constitution se tiendra dès le 4 février,
ouvrant la voie à la ratification du traité par le parlement le
8 février. Sarkozy affirme qu’il a le soutien des trois cinquièmes
requis de députés et de sénateurs. Sa seule exigence a été
qu’une référence à la concurrence « libre et inaltérée »
soit retirée des objectifs de l’Union européenne, permettant
à son gouvernement de prendre des mesures protectionnistes pour
ce qu’il considère relever des intérêts stratégiques français.
De telles exigences étaient
pour beaucoup de ceux qui avaient fait campagne pour le Non en
2005, y compris dans la gauche officielle et la soi-disant
« extrême gauche », d’une grande importance.
Ceux-ci opposaient en effet au libéralisme économique épousé
par la constitution des mesures de protection sociale basée sur
une économie capitaliste réglementée.
Sarkozy a endossé le
protectionnisme en partie pour essayer de neutraliser
l’opposition politique à ses propres mesures de libéralisation
en faveur du patronat et en partie parce qu’il est, lui aussi,
opposé à des changements lorsqu’ils nuisent aux intérêts
nationaux de la France et du capital européen. Il a déclaré de
façon fameuse, en parlant de la campagne du Non, que la
mondialisation était « la cause du vote de contestation et
du ralliement de parties de plus en plus importantes de la
population à des arguments protectionnistes » avant
d’affirmer sa propre croyance que l’Europe « avait
besoin de protection », ajoutant « Le mot protection
ne m’effraie pas. » Sarkozy a critiqué la reprise du
trust de l’acier Arcelor par Mittal Steel en juin et l’a appelée
un « gâchis ».
Il n’y aura pas non plus de
référendum sur le nouveau traité au Danemark. Le premier
ministre danois, Fogh Rasmussen a déclaré, après une réunion
du cabinet le 11 décembre, que le traité ne représentait aucune
menace pour la souveraineté du Danemark et qu’il serait par
conséquent ratifié par le parlement danois. Le parlement, y
compris l’opposition (sociaux-démocrates et sociaux-libéraux),
a endossé sa position dans la même journée. Selon la
constitution, un référendum est obligatoire si un examen
juridique décide que la souveraineté est transférée du
Danemark à l’Union européenne. En 1992, les Danois avaient
rejeté l’adoption du traité de Maastricht lors d’un référendum,
l’acceptant en 1993 après l’adoption d’une suite de
« clauses dérogatoires individuelles ». En 2000 un
autre référendum s’était prononcé contre l’adoption de
l’Euro.
Les Pays-Bas ont dit en
septembre qu’il n’y aurait pas de référendum sur le nouveau
traité européen et qu’il sera voté au parlement. La Hollande
n’est pas obligée, du point de vue de sa constitution, de tenir
un référendum.
L’Irlande elle, est tenue
par sa constitution d’organiser un référendum, mais le premier
ministre, Bertie Ahern, n’en a pas encore fixé la date. Le
ministre de la justice irlandais a confirmé qu’un référendum
était requis et devrait être tenu à temps pour que le traité
puisse entrer en vigueur au premier janvier 2009. Si un état
membre manque de ratifier le traité il ne pourrait pas entrer en
vigueur. Mais on s’attend à ce que l’Irlande, qui a bénéficié
massivement de son adhésion à l’Union européenne, vote en
faveur du traité.
Brown a éprouvé des
difficultés considérables dans sa propre campagne en faveur
d’une adoption du traité, des problèmes qu’il partage avec
son prédécesseur Tony Blair. Mais à la différence de la
France, où la campagne du « Non » au référendum
avait obtenu le soutien des trois quart des travailleurs de
l’industrie et des deux tiers des travailleurs des services,
l’opposition à la constitution en Grande-Bretagne est en général
restée parlementaire, de droite, et dominée par le Parti
conservateur.
Brown a déclaré son soutien
au traité en octobre, après avoir insisté pour que soient gardées
les « lignes rouges », une série de clauses dérogatoires
inclues dans la précédente constitution et négociées par Blair
et Brown. Ces « lignes rouges » exemptent la
Grande-Bretagne d’approuver une politique commune européenne
dans le domaine de la justice et de l’intérieur, de la défense,
de la politique extérieure, de la protection sociale et de la
Charte des droits fondamentaux. Sur cette base Brown, comme Blair,
a rejeté la tenue d’un référendum sur ce traité-constitution.
Les conservateurs, eux,
s’opposent au traité qu’ils voient comme une menace à la
souveraineté nationale. Brown a apporté son propre soutien à
cette position insistant pour dire que « L’intérêt
national britannique a été protégé. » Il y a des
questions liées à la capacité d’instances non élues de
dicter la politique, mais une concentration exclusive sur cet
aspect sert à cacher les questions plus fondamentales soulevées
par le traité de Lisbonne.
Le traité, tout comme la
constitution, ont été conçus comme un moyen de renforcer l’Union
européenne en tant que bloc commercial et militaire suivant
l’accession à l’Europe de dix nouveaux pays en 2004, pour la
plupart des anciens Etats staliniens d’Europe de l’Est, afin
de concurrencer plus efficacement leurs rivaux sur la scène
mondiale, en particulier les Etats-Unis, dans le domaine économique
et militaire. A cette fin, le traité préconise des mesures économiques
qui accéléreront la destruction et la privatisation de ce qui
reste du système étendu de protection sociale et du travail en
Europe et pour faciliter la recherche du profit des plus grandes
entreprises.
Les présidences de l’Union
européenne seront remplacées par un président du conseil européen
qui restera en fonction pendant deux ans et demi.
Un nouveau poste sera créé
combinant les fonctions du chef actuel de la politique extérieure
européenne, Javier Solana et celles de la commissaire des
affaires extérieures Benita Ferrero-Waldner. Ce poste n’aura
cependant pas le titre de premier ministre. Une clause mutuelle de
défense entre les membres de l’UE a, elle aussi, été approuvée.
Le bureau exécutif de l’Union
européenne sera réduit de 27 membres actuellement à 17 en 2014
et le groupe européen des ministres de finances qui ont adopté
la monnaie unique européenne sera formalisé.
Le parlement européen et la
cour européenne de justice recevront tous deux des pouvoirs supplémentaires.
Le système actuel de prise
de décision de l’UE continuera d’exister jusqu’en 2014,
mais sera ensuite remplacé par un système renforçant le contrôle
des Etats les plus puissants, en particulier de l’Allemagne, sur
les petits pays nouvellement arrivés. Le processus de prise de décision
dans d’autres domaines politiques, y compris celui de la justice
et de l’intérieur, sera basé sur un vote majoritaire au lieu
d’un vote à l’unanimité. Les vetos nationaux ont été éliminés
dans certains domaines.
On rendra légalement
obligatoire une Charte des droits démocratiques de 50 pages, mais
son texte n’apparaît pas dans le traité parce que ses mesures
sur la protection du travail, telles que la protection du droit de
grève, sont contestées, entre autres, par la Grande-Bretagne.
C’est là une des fameuses « lignes rouges » de
Brown. Une grande partie du reste, comme la liberté de parole, le
droit au logement, à l’éducation, à la négociation
collective et à des conditions de travail décentes est en réalité
attaqué systématiquement par les gouvernements de toute
l’Europe.
Sarkozy a peut-être réussi
à faire enlever les mots concurrence « libre et inaltérée »
du traité de Lisbonne, mais l’engagement en faveur du « libéralisme
économique » que cela était censé signifier reste un
objectif clé de l’Union européenne. La directive sur les
services dans le marché intérieur européen (connue sous le nom
de directive Bolkestein) a l’intention de créer un marché
unique européen des services, préparant le terrain pour des
privatisations en grand. La sous-traitance au secteur privé et
l’élimination de la protection du travail des anciens secteurs
publics ont déjà été adoptées en décembre de l’an dernier.
C’est cet ordre du jour économique,
dirigé contre la classe ouvrière au nom des entreprises
transnationales, et l’impératif politique du renforcement de
l’influence militaire et politique de l’Europe au niveau
mondial qui a réuni Merckel, Brown, Sarkozy et compagnie à
Lisbonne.
Merckel a affirmé que le
traité était « le fondement d’une nouvelle Europe au 21e
siècle », mais n’a rien dit de ce que cette nouvelle
construction allait être. Le premier ministre portugais, Jose
Socrates, a déclaré lors de la cérémonie d’ouverture que
« Le monde [avait] besoin d’une Europe plus forte »,
mais n’a pas dit pourquoi. Le commissaire européen au commerce,
Peter Mandelson a été plus direct : « Il y a des
puissances qui ont la grandeur de continents que nous voulons soit
engager soit rattraper, que ce soit la Chine, l’Inde ou les
Etats-Unis et pour le moment nous boxons en-dessous de notre catégorie. »
(Article original paru le 14
décembre 2007)
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Publié le 24 décembre 2007 avec l'aimable autorisation du WSWS
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