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Les inculpés du 11 novembre
A nos juges...
Lundi 16 mars 2009
Lettre de 8 des 9 inculpés de l'affaire de Tarnac, à leurs
juges. Voilà quatre mois que le feuilleton médiatico-judiciaire
intitulé l’"affaire de Tarnac" ne cesse de ne plus vouloir
finir. Julien (Coupat) va-t-il sortir à Noël ? Pour le Nouvel
An ? Aura-t-il plus de chance vendredi 13 ? Non, finalement on
le gardera encore un peu en prison, enfermé dans son nouveau
rôle de chef d’une cellule invisible. Puisqu’il semble que
quelques personnes aient encore intérêt à faire perdurer cette
mascarade, même au-delà du grotesque, il va nous falloir
endosser, encore une fois, le rôle que l’on nous a taillé ("les
9 de Tarnac"), pour un nécessaire éclaircissement collectif.
Alors voilà. ...
Primo. Pendant que des journalistes fouillaient jusque dans
nos poubelles, les flics reluquaient jusqu’à l’intérieur de nos
rectums. C’est assez désagréable. Depuis des mois vous ouvrez
notre courrier, vous écoutez nos téléphones, vous traquez nos
amis, vous filmez nos maisons. Vous jouissez de ces moyens.
Nous, les neuf, nous les subissons, comme tant d’autres.
Atomisés par vos procédures, neuf fois un, alors que vous, vous
êtes toute une administration, toute une police et toute la
logique d’un monde. Au point où nous en sommes, les dés sont un
peu pipés, le bûcher déjà dressé. Aussi, qu’on ne nous demande
pas d’être beaux joueurs.
Deuzio. Bien sûr vous avez besoin d’"individus", constitués
en "cellule", appartenant à une "mouvance" d’une fraction de
l’échiquier politique. Vous en avez besoin, car c’est votre
seule et dernière prise sur toute une part grandissante du
monde, irréductible à la société que vous prétendez défendre.
Vous avez raison, il se passe quelque chose en France, mais ce
n’est certainement pas la renaissance d’une "ultragauche". Nous
ne sommes ici que des figures, qu’une cristallisation somme
toute plutôt vulgaire d’un conflit qui traverse notre époque. La
pointe médiatico-policière d’un affrontement sans merci que mène
un ordre qui s’effondre contre tout ce qui prétend pouvoir lui
survivre.
Il va sans dire qu’à la vue de ce qui se passe en Guadeloupe,
en Martinique, dans les banlieues et les universités, chez les
vignerons, les pêcheurs, les cheminots et les sans-papiers, il
vous faudra bientôt plus de juges que de profs pour contenir
tout ça. Vous n’y comprenez rien. Et ne comptez pas sur les fins
limiers de la DCRI pour vous expliquer.
Tertio. Nous constatons qu’il y a plus de joie dans nos
amitiés et nos "associations de malfaiteurs" que dans vos
bureaux et vos tribunaux.
Quarto. S’il semble aller de soi pour vous que le sérieux de
votre emploi vous amène jusqu’à nous questionner sur nos pensées
politiques et sur nos amitiés, nous ne nous sentons pas, quant à
nous, le devoir de vous en parler. Aucune vie ne sera jamais
absolument transparente aux yeux de l’Etat et de sa justice. Là
où vous avez voulu y voir plus clair, il semble plutôt que vous
ayez propagé l’opacité. Et l’on nous dit que, désormais, pour ne
pas subir votre regard, ils sont toujours plus nombreux ceux qui
se rendent à des manifestations sans téléphone portable, qui
cryptent les textes qu’ils écrivent, qui font d’habiles détours
en rentrant chez eux. Comme on dit : c’est ballot.
Quinto. Depuis le début de cette "affaire", vous avez semblé
vouloir accorder beaucoup d’importance au témoignage d’un
mythomane, aussi appelé "sous X". Vous vous obstinez, c’est
courageux, à accorder un peu de foi à ce ramassis de mensonges,
et à cette pratique qui a fait l’honneur de la France il y a
quelques décennies - la délation. C’en serait presque touchant,
si ça ne conditionnait pas l’accusation de chef à l’encontre de
Julien, et donc son maintien en détention. Si ce genre de
« témoignage » ne justifiait pas des arrestations arbitraires –
à l’occasion, par exemple, de quelques balles envoyées par la
Poste, ou sur la police, dans l’Hérault, ou à Villiers-le-bel.
Enfin, étant entendu que la marge de liberté qu’il nous reste
est désormais fort réduite, que le seul point à partir duquel
nous pouvons nous soustraire à votre emprise réside dans les
interrogatoires auxquels vous nous soumettez à intervalles
réguliers. Que Julien s’est déjà vu refuser quatre demandes de
remise en liberté. Qu’il est notre ami. Qu’il n’est rien de plus
que ce que nous sommes. Nous décidons qu’à partir de ce jour,
dans l’héroïque tradition d’un Bartleby, "nous préférerons ne
pas". En gros, nous ne vous dirons plus rien et cela jusqu’à ce
que vous le libériez, jusqu’à ce que vous abandonniez la
qualification de chef pour lui et de terrorisme pour nous tous.
En résumé, jusqu’à ce que vous abandonniez les poursuites.
Pour tous ceux qui, là où ils sont, se battent et ne se
résignent pas. Pour tous ceux que le ressentiment n’étouffe pas
et qui font de la joie une question d’offensive. Pour nos amis,
nos enfants, nos frères et nos soeurs, les comités de soutien.
Pas de peur, pas d’apitoiement. Pas de héros, pas de martyrs.
C’est précisément parce que cette affaire n’a jamais été
juridique qu’il faut transporter le conflit sur le terrain du
politique. Ce que la multiplication des attaques d’un pouvoir
toujours plus absurde appelle de notre part, ce n’est rien
d’autre que la généralisation de pratiques collectives
d’autodéfense partout où cela devient nécessaire.
Il n’y a pas neuf personnes à sauver mais un ordre à faire
tomber.
Aria, Benjamin, Bertrand, Elsa, Gabrielle, Manon, Matthieu,
Yldune sont, avec Julien Coupat, mis en examen dans l’"affaire
de Tarnac".
(Publié aussi dans le journal Le Monde, du 17 mars).
Le site du
Comité de soutien aux inculpés du 11
novembre
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