Opinion
Lettre à Martine Aubry et François
Hollande
Arnaud Montebourg
Paris, le 11 octobre 2011
A l'attention de Madame Martine Aubry
et de Monsieur François Hollande
Chère Martine, cher François,
Je voudrais en premier lieu féliciter
chacun d'entre vous pour sa
qualification au second tour des
Primaires citoyennes. Dans cette
campagne loyale et cordiale, j'ai
défendu des solutions nouvelles
destinées à répondre par des
propositions concrètes, réalisables et
efficaces à l'extrême gravité de la
crise financière, économique, sociale et
morale qui a commencé à ravager tous les
pays européens, dont la France. Je me
suis attaché à dégager des perspectives
d'actions nouvelles auprès de ceux qui
se sentent à juste titre écrasés par
l'économie et oubliés par la politique.
Cette lettre a pour objectif
d'éclairer avant dimanche l'opinion
finale des 450.000 Françaises et
Français qui m'ont fait l'honneur de
leur confiance. Ces femmes et ces hommes
sont libres et feront leur choix en
conscience. Mais je tiens à ce qu'ils
fassent ce choix important, en toute
connaissance de cause. C'est cela, la
VIème République en actes.
1 - La première des questions que je
souhaite vous poser concerne les
conditions précises et concrètes dans
lesquelles vous entendrez reprendre le
contrôle politique du système financier
qui soumet aujourd'hui l'économie réelle
et les entreprises à ses exigences
indues, tout comme il le fait des
gouvernements et des contribuables.
J'ai rappelé à maintes reprises que
les Français refuseraient à bon droit
-particulièrement ceux qui n'ont que
leur travail pour vivre- de payer les
conséquences des graves fautes commises
par le système financier, dans
lesquelles ils n'ont aucune espèce de
responsabilité. Mettre à contribution
par l'impôt les classes moyennes et
populaires pour secourir les banques,
leurs filiales, comme tel est d'ores et
déjà le cas dans les projets de
renflouement de la banque privée Dexia,
serait une faute morale et politique,
contre laquelle la gauche aura
l'obligation de nous prémunir.
Ceci implique des mesures de mise
sous tutelle publique des banques, sans
frais pour les contribuables, conduisant
à faire entrer des représentants de
l'Etat ainsi que des usagers du crédit,
avec droit de veto, dans les conseils
d'administration des banques.
En plus des mesures de séparation des
activités de collecte des dépôts et
celles d'affaires, il paraît logique et
juste d'utiliser les bénéfices des
banques profitables pour renflouer les
banques en difficulté par des mesures de
solidarité interbancaire, mesures qui
éviteront aux Français de payer les
futurs plans de renflouement des banques
fragilisées.
De surcroît, il sera nécessaire
d'interdire par la loi la spéculation
dans l'activité bancaire avec l'épargne
des Français et d'édicter une procédure
pénale sévère réprimant l'évasion
fiscale afin d'obtenir le rapatriement
des avoirs actuellement placés dans les
paradis fiscaux tout en faisant fermer
les filiales des banques dans ces
territoires.
Je veux rappeler avec force que la
dette publique accumulée au cours des
derniers mois est le prix direct et
indirect du secours accordé par les
Etats de l'Union Européenne au système
financier, embarqué dans une course à la
spéculation.
Un Président de la République issu de
nos rangs devra s'engager solennellement
devant les Français à mettre à
contribution le système financier et
bancaire européen et national par une
taxation européenne et nationale sur les
transactions financières afin de solder
le poids de la dette publique contractée
pendant la crise, évaluée à la somme de
450 milliards d'euros.
Ces mesures, dont beaucoup de
Français approuvent la nécessité comme
la sévérité, sont un préalable à tout
redressement de notre économie et, a
fortiori, à toute application du projet
socialiste.
C'est à ce prix que nous pourrons
reconquérir les marges de manœuvre dont
nous avons tant besoin pour reconstruire
la France. Ces choix devront s'articuler
avec une réforme nécessaire des statuts
de la Banque Centrale Européenne, afin
de lui permettre de racheter la dette
des Etats, ce qui lui est encore
interdit à ce jour.
2 - C'est ce même objectif que
poursuit le protectionnisme européen,
social et écologique, que j'ai, avec les
soutiens de nombreux économistes et
philosophes de renom, défendu dans cette
campagne.
Ce protectionnisme européen n'est
rien d'autre que la demande de remise en
ordre d'une économie internationale
affranchie de toute règle : règle
sociale, règle environnementale, règle
sanitaire, règle économique et, il faut
le rappeler, règle humanitaire. Le
« juste échange », contenu dans le
projet socialiste, ne saurait suffire
car il consiste à faire croire en une
régulation multilatérale négociée, que
l'OMC n'a jamais été capable d'imaginer
ni d'appliquer en 20 ans. Il reviendrait
à demander l'autorisation à nos
concurrents mondiaux dans la guerre
économique de pratiquer le
protectionnisme, ce que nous
n'obtiendrions jamais. Ce serait là
pécher par naïveté, car ces négociations
auraient dû commencer il y a 20 ans, et
n'ont jamais eu lieu. Aujourd'hui,
l'urgence exige que nous prenions des
mesures au plan européen et national.
Dans l'arsenal protectionniste à
créer, il serait utile que les prises de
contrôle de nos entreprises à forte
valeur technologique par des capitaux
extra-européens soient soumises à
autorisation publique, que des mesures
de sanction économique ciblées soient
codifiées contre les entreprises
transnationales ayant délocalisé leurs
productions au détriment de nos
territoires et de nos populations, et
que les marques appartenant à ces
entreprises puissent faire l'objet de
mesures d'expropriation publique en cas
de comportements déloyaux aggravés.
Goodyear, Lejaby, et l'Eléphant, autant
d'exemples du comportement inacceptable
de certaines firmes multinationales ;
autant de symboles de cette
désindustrialisation de la France que la
gauche doit désormais combattre
résolument.
Je souhaiterais donc connaître
quelles mesures précises et concrètes
vous envisagez de prendre pour protéger
notre industrie, nos savoirs-faire, nos
emplois, à l'abri desquelles nous
pourrons réindustrialiser le pays et
financer la révolution industrielle,
technologique et écologique.
Vous le savez, pour appliquer ces
mesures, pour retrouver aussi la
confiance des Français, la politique
doit redevenir plus forte que l'économie
et que la finance.
3 - Des dizaines de milliers de
Français que j'ai rencontrés, comme
vous, ont perdu espoir dans l'action
publique. Pour leur éviter l'errement du
vote extrémiste, les amener dans notre
rassemblement populaire issu des
primaires, il nous faut, ensemble,
rendre à la politique force et
respectabilité. C'est ce que je défends
depuis 12 ans avec le projet de VIème
République.
L'un comme l'autre, vous avez, dans
le passé, soit renoncé, soit refusé
d'engager notre parti que vous dirigiez
dans ce projet de renaissance de la
démocratie française que j'ai appelé la
VIème République, projet dont
l'essentiel consisterait dans :
- l'augmentation des pouvoirs de
contrôle du Parlement par des
commissions d'enquête parlementaires
libres et par le contrôle parlementaire
des nominations aux postes clés dans
l'administration ;
- la fin de l'impunité présidentielle
s'agissant des actes sans rapport avec
sa fonction ;
- la protection de l'indépendance de
la justice par la naissance d'un
Procureur général indépendant chargé des
poursuites dans les cas sensibles ;
- le renforcement des moyens de lutte
contre la corruption en limitant
notamment la portée du secret défense ;
- la transformation du Conseil
constitutionnel en une véritable Cour
constitutionnelle indépendante ;
- l'instauration du mandat
parlementaire unique ;
- le référendum d'initiative
populaire, y compris abrogatif et
révocatoire des élus afin d'organiser la
responsabilité politique de ceux-ci ;
- le vote aux élections locales des
personnes de nationalité étrangère
présentes de façon régulière sur notre
territoire depuis 5 ans ;
- la libération des données publiques
dans les collectivités locales et dans
l'Etat (Open Data).
Ce programme que je vous soumets est
ambitieux mais parfaitement réaliste et
réalisable. Il ne coûterait pas un euro
aux Français ; mieux, il générerait des
ressources financières nouvelles et
permettrait un essor industriel et
productif.
Sans lui, j'en suis convaincu, aucune
victoire de la gauche face à Nicolas
Sarkozy, au printemps prochain, n'est
envisageable. Pire, c'est Nicolas
Sarkozy, lui-même qui, si nous n'avons
pas le courage de l'assumer, le
proposerait alors aux Français, dans une
ultime contorsion politique.
Les propositions que je formule sont
majoritaires chez nos concitoyens. Elles
correspondent à une remise en ordre de
notre pays et à un retour à la sagesse
dont nous nous sommes beaucoup trop
éloignés depuis 25 ans.
C'est donc confiant dans votre
intelligence politique et dans votre
volonté de l'emporter demain face à la
droite que je vous ai écrit. Beaucoup de
Français, avec moi, attendent votre
réponse.
Chère Martine, Cher François, soyez
assurés de ma meilleure estime et de
toute mon amitié socialiste.
Arnaud MONTEBOURG
Le dossier élections présidentielles
2012
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