Luis Lema, envoyé spécial
à Ramallah
http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&article=172285
Tête de liste, Salam Fayed entend «moderniser la société».
Son discours détonne
On murmure déjà son nom comme celui du futur premier ministre.
Et il est vrai que Salam Fayed en a la carrure et l'apparence.
Dans son impeccable costume de dirigeant «mondialisé», il est
celui qui donne confiance aux responsables internationaux: études
américaines en économie, haut
fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI), ancien
ministre des Finances. Mais cette confiance est aussi partagée
par bon nombre de Palestiniens, pour une raison bien précise: après
avoir remis en ordre les finances palestiniennes, l'homme a démissionné
en novembre dernier.
«Une réforme complète de tout le système est nécessaire. Mais
en tant que ministre, j'étais arrivé au bout de ce que je
pouvais faire», explique-t-il aujourd'hui, dans son bureau de
Ramallah, transformé en quartier général de campagne.
Salam Fayed est en tête de liste de la «Troisième voie», ce
parti qui s'est donné pour objectif de «moderniser la société
palestinienne» au moyen, notamment, de la bonne gouvernance. Aux
côtés d'autres personnalités de divers partis, y compris la
jeune garde du Fatah, ils sont le nouveau visage de la politique
palestinienne. Plus d'un an après la mort de Yasser Arafat, ils
incarnent la fin du système, fondé en partie sur la corruption
et le népotisme, que le cacique avait mis en place.
«Rationaliser, économiser»
Le discours détonne: «Nous devons rationaliser, économiser, réorienter
nos priorités vers les demandes des gens.» Ou encore: «Chaque
personne en charge doit connaître ses compétences et indiquer
quels sont ses objectifs. Et s'il ne les atteint pas, il doit être
saqué.» Même s'il ne cache pas (pourquoi le ferait-il?) que
l'occupation israélienne est, de très loin, la principale
entrave au développement des Territoires, il met en avant une
indispensable reprise en main des Palestiniens par eux-mêmes: «Il
ne faut pas chercher d'excuses. Prolonger le statu quo serait un
échec, un vrai désastre», juge-t-il.
Conscients de l'ampleur des enjeux, les Palestiniens se
passionnent pour le scrutin du 25 janvier. Au centre de Ramallah,
posters géants et guirlandes d'affiches donnent aux rues des
allures de Noël tardif. Même l'interminable paroi grise du mur
israélien qui ceinture désormais les territoires palestiniens
sert aujourd'hui de gigantesque panneau d'affichage. Les partis
rivalisent de prospectus en quadrichromie. D'un geste du doigt, un
homme trace une croix imaginaire sur le visage de trois des cinq
candidats de la liste que lui tend un militant du Fatah.
La course n'a jamais été aussi ouverte.
La mue du Hamas
Mais ce ne sont pas seulement les figures rassurantes qui rendent
ces élections inédites. L'irruption du mouvement radical Hamas,
qui talonne le Fatah dans les sondages, a aussi changé la donne.
Surprise: Salam Fayed, «l'Américain», n'y va pas par quatre
chemins, à l'heure de
défendre la participation du Hamas au scrutin. «Ou les élections
sont ouvertes et démocratiques, ou elles ne le sont pas»,
tranche-t-il. A ses yeux, ce qui est déterminant, c'est le
programme, clair et précis, qui devra être adopté par le
prochain gouvernement. «Indépendamment de qui
gagnera, il doit être le fruit d'un large consensus.» Pour lui,
l'heure est venue que l'Autorité palestinienne incarne la volonté
de tous les Palestiniens, et ne serve plus «à distribuer des sièges
aux seuls membres du Fatah».
A l'Université de Bir Zeit où il est professeur de sciences
politiques, Saleh Abdel Jawad, s'est fait une raison: «Il y a des
circonstances dans lesquelles Dieu devient le seul espoir»,
sourit-il. Mais l'analyste perçoit un changement fondamental de
stratégie de la part des fondamentalistes. En fait, dit-il, voilà
des années que le Hamas a entamé sa mue. «Ce mouvement se
trouve aujourd'hui dans la même position que le Fatah de Yasser
Arafat il y a trente ans. Ses dirigeants ont déjà accepté l'idée
d'un Etat israélien aux côtés du palestinien, mais ils
n'arrivent pas à se résoudre à le claironner sur les toits.
J'espère juste qu'ils ne mettront pas aussi longtemps qu'Arafat
pour oser l'avouer.»
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