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Elections américaines
Conférence de presse
d'Obama
François-Bernard Huyghe
François-Bernard Huyghe - Photo IRIS
8 novembre 2008
Guère de surprise dans la toute première conférence de presse du
44° président des États-Unis. Qu'il annonce son intention de
donner la priorité à la crise et qu'il élabore un plan d'urgence
pour les contribuables les plus fragilisés n'a rien pour
étonner. Entouré d'une pléiade d'économistes, il esquisse
quelques mesures aux tonalités keynesiennes, de grands travaux
publics, la distribution d'aides en particulier à l'industrie
automobile, des baisses de taxes pour les plus modestes. Donc
grand classicisme des solutions en des temps où l'on redécouvre
les recettes anciennes.
Plus surprenante, en revanche, est cette hâte d'Obama, l'homme
pressé. Dès jeudi, il a parlé au téléphone avec les dirigeants
de neuf grands pays esquissant déjà des projets pour
l'Afghanistan, pour l'Iran, pour lutter contre le réchauffement
climatique... Pendant qu'il forme son nouveau gouvernement, il
entretient ses bonnes relations bipartisannes avec
l'administration sortante, prépare déjà sa visite de lundi à la
Maison Blanche..., mais a l'habileté de refuser de participer au
sommet du G 20 pour ne pas troubler le message d'une Amérique
qui semblerait bicéphale.
L'homme qui a conquis le parti démocrate puis le pays au pas de
charge, tient à faire savoir qu'il y a un pilote dans l'avion et
qu'il agira vite. Affaire de tempérament sans doute tempérée
d'une intention stratégique : faire savoir qu'il peut commander
autant que séduire, tout risquer pendant qu'il bénéficie d'une
incroyable vague porteuse.
Jamais sans doute une élection n'a soulevé un sentiment si
extatique ni été célébré par de si grandioses hyperboles. Et
comme ses adversaires en politique intérieure semblent
discrédits par huit ans de bushisme et maintenant divisés, il
est tentant de répondre que son seul ennemi est le principe de
réalité donc le temps. On ne peut pas avoir suscité de tels
espoirs en des temps où les contraintes sont si prégnantes, ni
promis de tels miracles de la foi (Oui, nous pouvons !) sans
risque de décevoir.
Resterait d'ailleurs à savoir si les Américains l'ont élu pour
retrouver en une nuit leur statut d'Empire du Bien et pour se
faire féliciter de leur "courage" d'avoir élu un candidat "de la
diversité". Il se pourrait, pour une part au moins de
l'électorat, que ce soit au contraire le désespoir de voir
s'effondrer tant de certitudes qui les ait poussés à parier sur
ce qui n'avait jamais été tenté.
Même s'il est quelque temps en droit de rejeter une large part
de responsabilités sur un héritage que nul ne songe plus à
défendre, Obama sait que le grand avantage de n'être responsable
de rien et d'invoquer les lois globales de l'économie s'épuisera
vite. Et, à la mesure de l'immense pouvoir politique, mais aussi
médiatique pour ne pas idéologique et culturel qu'il possède
aujourd'hui, le nouvel élu démocrate aura à payer le prix du
rêve.
Mais plus concrètement, qui s'opposera à lui ?
Oublions pour le moment la trentaine de suprématistes blancs à
gros tatouages qui planifieront des attentats contre Obama et se
feront cueillir par le FBI dès qu'il consultera leurs annonces
sur Internet. Une bonne partie de l'électorat républicain,
disons celui qui acclamait Palin, va probablement se sentir
révulsé. Il attendra le pire de celui qu'il voit comme un
gauchiste tiers mondiste présumé musulman (sans parler de son
pool génétique) : qu'il leur prenne leurs armes ou autorise le
mariage des homosexuels. Mais, d'une part il y a peu de chances
qu'Obama entretienne la "guerre des cultures" en s'en prenant
aux sujets symboliques. D'autre part, l'électorat
fondamentaliste et droitier est encore sous le choc et n'a guère
de leader pour canaliser sa rage.
Et les néoconservateurs ? Si vous vous attendiez à ce qu'ils
fulminent (eux qui, rappelons-le, préféraient depuis toujours Mc
Cain même à G.W. Bush) à ce qu'ils annoncent l'Apocalypse,
détrompez vous. Certes, ils ne réjouissent pas du risque de voir
revenir deux de leurs bêtes noires - l'État providence et le
risque d'une politique extérieure moins ferme - et ils
s'inquiètent du pouvoir que vont prendre leurs pires ennemis :
les "médias libéraux au cœur saignant" toujours prêts à
s'excuser pour l'Amérique et à se repentir. Mais les réactions
des grandes institutions néo-conservatrices (American
Entreprise, le Weekly Standard ou Commentary) sont étonnantes de
modération dans leur façon d'annoncer une opposition loyale et
raisonnable. Aucun ne semble analyser l'élection d'Obama comme
un immense effondrement idéologique. Ils semblent au contraire
rassurés : les progrès de la méthode Petraeus en Irak leur
semblent si avancés que les promesses de retrait ne les affolent
guère. Et ce qu'a dit le candidat sur la lutte anti-terroriste
en Aghanistan et au Pakistan, son attitude anti-russe, sa
fermeté affichée face à l'Iran et surtout son soutien aux
positions pro-israéliennes les plus fermes, tout cela ne les
plonge guère dans l'angoisse.
Effet d'un étrange état de grâce après la lame de fond (le "juggernaut"
disent les Américains) ? Ou connivence plus profonde ? Rarement
on se sera dirigé vers des heures aussi décisives dans une telle
incertitude. François-Bernard Huyghe
Docteur d’État en Sciences Politiques
Habilité à diriger des recherches en Sciences de l’Information
et Communication
Intervient comme formateur et consultant
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