Nicolas Dupont-Aignan, député
de l’Essonne, 44 ans, a annoncé, le 14 janvier 2007 au Congrès
de l’UMP, vouloir se présenter aux élections présidentielles.
À cette occasion, il a dénoncé la « dérive libérale
atlantiste et conservatrice » de Nicolas Sarkozy et de son
parti et quitté son mouvement. Il se dit aujourd’hui « soulagé
à l’idée de pouvoir s’exprimer librement et en cohérence
avec ses convictions résolument « gaullistes et républicaines ».
Il a répondu aux questions de Silvia Cattori pour
l’hebdomadaire suisse Horizons
et débats, membre du Réseau Voltaire.
Silvia
Cattori : Vous n’avez pas mâché
vos mots pour indiquer votre désaccord avec la ligne politique
de M. Nicolas Sarkozy, à l’annonce de votre candidature
aux présidentielles le 14 janvier 2007. Votre démission de
l’UMP n’est-elle pas l’expression d’un rejet des
clivages qui enveniment le débat sans répondre aux véritables
préoccupations des citoyens ? Une candidature hors des
partis et appareils, comme la vôtre, peut-elle créer la
surprise, amener les électeurs de droite comme de gauche à
voter dans le sens contraire à celui du vent, comme lors du
referendum de mai 2005 où les Français ont rejeté le traité
constitutionnel alors que les médias et les grands partis
appelaient à voter « oui » ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Aujourd’hui, je ne sais pas. Ce
qui est certain, c’est que les Français n’en peuvent plus
de cette bipolarisation imposée par les grands médias, qui est
totalement déconnectée de la réalité et de leurs problèmes.
Sommes-nous encore en démocratie ? À lire les sondages,
on peut s’interroger mais, heureusement, en France, il y a
toujours une énorme différence entre les sondages et le vote.
Donc je crois qu’il peut y avoir des surprises demain.
Silvia
Cattori : Lors du référendum,
vous étiez allé à contre courant de votre parti en appelant
à voter « non ». Or, sur ce traité qui confisquait
les libertés [1]
et les conquêtes sociales, dotait l’Union européenne d’un
programme néolibéral [2]
et subordonnait la politique de sécurité européenne à l’OTAN
et aux États-Unis [3],
le Parti socialiste avait lui appelé à voter « oui ».
Et, à ce jour, ni Mme Royal ni M. Sarkozy ne semblent
vouloir renoncer. Le débat droite-gauche, tel qu’il
s’exprime, ne s’est-il pas vidé de son sens ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Si, puisque les deux partis
proposent de faire revoter la constitution européenne, soit par
le Parlement pour M. Sarkozy soit pas le peuple pour Mme Royal,
alors même que les Français ont clairement refusé cette
Constitution. Voilà pourquoi je suis candidat ! Pour dénoncer
ce double discours permanent.
Silvia
Cattori : Par votre candidature,
entendez-vous intervenir de façon à faire respecter le vote
des Français ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Je crois qu’il est vital de
bloquer cette proposition, de faire revenir les candidats sur la
constitution. Je veux, pendant cette campagne, obliger
l’ensemble des candidats à clarifier publiquement leur projet
européen.
Silvia
Cattori : L’endettement de la
France n’est-il pas un problème qui risque de la priver en
partie de cette indépendance que vous voulez sauvegarder ?
Nicolas
Dupont-Aignan : L’endettement de la France est,
certes, encore trop élevé. Pour autant, il est inférieur à
celui de beaucoup d’autres pays. C’est pourquoi je crois
qu’il faut d’abord relancer la croissance économique en
changeant de politique économique et que la réduction de
l’endettement viendra après.
Silvia
Cattori : Aujourd’hui, il y a
des indices de nouvelles guerres israélo-américaines en préparation
au Moyen-Orient. Or, force est de constater que, ni Ségolène
Royal, ni Nicolas Sarkozy n’ont exprimé aucune vision claire
sur ces questions de politique étrangère et de défense qui
intéressent les citoyens et qui sont, en France, de la compétence
du président. Les rares fois où ils se sont exprimés,
n’ont-ils pas jeté de l’huile sur le feu ? Nous
pensons en particulier à la visite de Ségolène Royal au
Moyen-Orient et à ses propos sur le nucléaire iranien [4].
Et aussi aux propos adressés par M. Sarkozy à M. Bush,
qui désapprouvaient la position adoptée par M. de
Villepin à l’ONU, c’est-à-dire le refus de participer à
la guerre contre l’Irak en 2003. Quelle est votre position sur
ces questions de politique étrangère ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Nous sommes à la veille d’un
changement profond de la politique étrangère de la France si
M. Nicolas Sarkozy ou Mme Ségolène Royal devaient être
élus. L’un et l’autre n’ont jamais caché leur proximité
des États-Unis et de la Grande Bretagne, qu’ils citent
souvent pour modèle. Il va de soi, là aussi, qu’il faut
ouvrir les yeux des Français et obliger les deux candidats à
faire évoluer leurs positions car un changement de politique étrangère
serait très dommageable à notre pays. Je crois au contraire
que l’on a besoin, plus que jamais, d’une politique indépendante
à l’égard des États-Unis. Il ne s’agit pas de s’opposer
aux États-Unis par principe, mais il s’agit simplement d’être
un acteur du futur monde multipolaire qui est en train de naître
car, plus que jamais, si l’on veut désamorcer les crises, il
est temps que la France affirme ses positions, voire sorte de
l’OTAN pour amorcer une ébauche de défense européenne.
Silvia
Cattori : Après l’effondrement
de l’Union soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie,
quelle raison y avait-il de conserver l’OTAN ?
N’aurait-il pas fallu alors que chaque pays européen se
retire de l’Alliance atlantique ? Ne pensez-vous pas que
les États-Unis se servent aujourd’hui de l’OTAN comme
d’une sorte de légion au service de leurs guerres anti-arabes
et antimusulmanes et que les États européens membres de l’OTAN
sont sous leur dépendance ? [5]
Nicolas
Dupont-Aignan : L’OTAN n’a plus de raison d’être.
Il est normal qu’il y ait une organisation et que la France siège
au Conseil de l’organisation générale. En revanche je
regrette la manière dont elle rentre progressivement, par des
accords négociés, dans l’organisation militaire. Il faut rétablir
la position qu’avait décidée le général De Gaulle. Oui à
la participation à l’alliance, non à la participation à
l’organisation militaire intégrée. L’OTAN ne doit pas être
un moyen pour les États-Unis d’organiser leur garde rapprochée
et d’alimenter le choc des civilisations. C’est pourquoi la
France devrait prendre ses distances avec l’OTAN le plus
rapidement possible et inviter les pays européens qui veulent
en sortir à se rapprocher pour vraiment créer un pôle européen
de défense.
Silvia
Cattori : La France a envoyé des
troupes en Afghanistan où l’OTAN a engagé 40 000 soldats
dans une guerre états-unienne offensive qui n’est pas
compatible avec ses statuts. Sur l’OTAN et les États-Unis, la
vision de Mme Merkel [6]
contraste avec l’esprit d’indépendance dont le ministre de
la Défense Michèle Alliot-Marie a fait montre quand elle a dénoncé
les violations par Israël de l’espace aérien au Liban ;
et plus récemment, quand elle a refusé de laisser les troupes
spéciales françaises au sud de l’Afghanistan sous le
commandement du Pentagone et a annoncé leur retrait. La France
n’a-t-elle pas indiqué par là, qu’il n’appartient pas à
l’Alliance atlantique de réprimer une insurrection en
Afghanistan et qu’il est urgent de modifier la stratégie de
l’OTAN ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Je crois que c’est à la France
de tirer les leçons de cette dérive. Je crois que la France
devrait se retirer d’Afghanistan le plus vite possible, et
laisser l’OTAN devant ses responsabilités.
Silvia
Cattori : Le fait que l’Alliance
Atlantique a cessé d’être une alliance défensive semble
vous préoccuper. Or, curieusement, les dérives de l’OTAN, le
fait de savoir que des membres de l’OTAN sont enrôlés dans
des guerres illégales, ne semblent pas inquiéter les partis,
à droite comme à gauche. On n’entend pas non plus les
dirigeants du Parti socialiste et des Verts dénoncer ces dérives.
Et pourtant, ne s’agit-il pas là de questions qui touchent à
la sécurité des peuples et qu’il est urgent de soumettre à
un débat public ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Il est clair que l’OTAN est en
train de changer de rôle. Les socialistes et les Verts ne
veulent pas prendre leurs responsabilités en matière de défense.
Je crois, au contraire, qu’il est indispensable d’être cohérents.
À partir du moment où je pense que l’OTAN sort de son rôle,
il va de soi que je suis en faveur d’un effort de défense
important de la France et des autres pays de l’Europe. Car, on
ne peut pas critiquer les États-Unis et, en même temps, s’en
remettre à eux pour assurer notre protection. Il faut donc, à
la fois être un partenaire franc des Américains, et leur dire
la vérité ; et d’autre part renforcer notre budget de
la défense nationale en harmonisant davantage notre programme
militaire européen.
Silvia
Cattori : Il y a de grandes
divergences de vues entre les États européens. Les
Britanniques, les Allemands, les Néerlandais apportent un appui
total à la politique belliciste des États-Unis. Les États
n’ont-ils pas perdu leur souveraineté ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Oui, mais le temps viendra où les
opinions publiques évolueront. La France ne doit pas être
complexée de sa propre position. Elle doit être elle-même,
sans animosité à l’égard de ses partenaires, mais en devançant
les choses. Nous seront des précurseurs. L’Europe, si elle
veut un jour conquérir son indépendance, devra fournir un
effort militaire. Et il s’agit pour nous simplement de montrer
le chemin.
Silvia
Cattori : Le rejet du référendum
ne demandait-il pas la réorientation d’une construction européenne
qui a été agrandie à 27 sans consulter les peuples ? Or,
n’avez-vous pas le sentiment qu’avec Mme Merkel, qui
assure la présidence européenne pour six mois, l’Union Européenne
va s’acheminer, vers une politique hostile à l’Europe et
conforme aux intérêts bellicistes des Etats-Unis ? [7]
Nicolas
Dupont-Aignan : Mme Merkel veut, avec les
dirigeants européens, couper la parole aux peuples, imposer à
la France et aux autres peuples une constitution dangereuse pour
l’Europe elle-même. La France doit résister. C’est
pourquoi je suis candidat à l’élection présidentielle,
parce que je veux mobiliser un maximum de Français pour dénoncer
cette tentative de contournement de la souveraineté populaire
française. Il ne s’agit pas d’un conflit entre la France et
les autres pays. Il s’agit d’un désaccord majeur entre les
élites européennes et les peuples.
Silvia
Cattori : On comprend que vous
entendez contribuer à élever le débat et à servir une
politique qui aille dans le sens des intérêts des Français et
d’une politique internationale qui respecte le droit. Mais
comment faire entendre sa voix dans ce débat polarisé sur deux
candidats, que vous avez qualifié vous-même de « verrouillé
par la pensée unique et la politique-spectacle » ? [8]
Les médias électroniques vont-ils être le lieu d’un débat
honnête et pluriel ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Les médias électroniques sont
essentiels [9].
Internet va prendre une importance considérable dans la
campagne. Je crois qu’il ne faut pas se décourager, que toute
l’histoire de France a été le lieu de ce conflit entre
certaines élites aveugles et démissionnaires et certaines
personnalités, quelles que soient leurs origines, qui essayent
de réveiller les peuples. Ce n’est que le début d’un long
combat.
Silvia
Cattori : En résumé. Vous
semblez motivé par l’idée de revenir à un monde
multipolaire et de veiller à ce que les décisions prises à
Bruxelles ne soient pas contraires à la démocratie. Ce qui
reviendrait à dire que, face à une Ségolène Royal compromise
dans le soutien à un traité qui brade l’indépendance de la
France et à un Nicolas Sarkozy totalement inféodé aux États-Unis,
vous allez vous battre pour protéger votre pays de tout
alignement sur la superpuissance états-unienne et d’une américanisation
de l’Europe ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Exactement, j’ai écrit un livre
qui s’appelle Français reprenez le pouvoir.
Dans ce livre, j’explique mon projet politique. Je suis
convaincu, qu’un jour ou l’autre, les Français reprendront
le pouvoir. J’espère qu’ils ne tarderont pas trop.
Silvia
Cattori : Pensez-vous que, face
aux candidats des autres partis, votre projet peut drainer une
majorité de Français, toutes tendances confondues ?
Nicolas
Dupont-Aignan : Pas aujourd’hui. Mais il faut
toujours préserver l’avenir dans la vie, et on ne sait
jamais. Il faut faire son devoir. Voilà. Je fais mon devoir de
citoyen libre, et de candidat libre pour une France libre et une
Europe libre et indépendante.
Silvia
Cattori : Avez-vous le sentiment
que les électeurs de l’UMP attachés à sauvegarder l’indépendance
de la France — donc à maintenir leur opposition à
l’atlantisme — sont nombreux à désapprouver l’alignement
de M. Sarkozy sur les États-Unis, et prêts à vous suivre ?
Et, maintenant que Jean-Pierre Chevènement, ouvertement non
atlantiste, a renoncé à présenter sa candidature,
comptez-vous également sur l’appui d’électeurs de gauche ?
Nicolas
Dupont-Aignan : J’en suis sûr. Il y a beaucoup
de gens de gauche, comme de droite, qui me rejoignent, des gens
libres, qui ne croient plus du tout dans les deux candidats du
show biz et de la politique-spectacle.