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France : Sarkozy choisit comme
ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner du Parti
socialiste
Antoine Lerougetel
26
mai 2007
Le nouveau président gaulliste de droite
Nicolas Sarkozy, sorti vainqueur au second tour des élections présidentielles
du 6 mai contre sa rivale du Parti socialiste Ségolène Royal, a
nommé Bernard Kouchner, membre de l’équipe de campagne de
Royal, ministre des Affaires étrangères dans son premier
gouvernement. L’invitation faite à Kouchner et l’acceptation
de ce dernier en disent long sur le nouveau régime et sur le camp
de la « gauche » officielle.
La passation de pouvoir officielle entre le président
sortant Jacques Chirac et Sarkozy s’est déroulée lors d’une
cérémonie d’investiture très soignée au Palais de l’Elysée
le 16 mai. Le nouveau président a nommé son proche collaborateur
de l’UMP au pouvoir (Union pour un mouvement populaire) François
Fillon au poste de premier ministre. Sarkozy a donné des signes
d’ouverture dans toutes les directions possibles. Il a nommé de
façon ostensible sept femmes, un fait sans précédent en France,
dans son équipe ministérielle réduite à 15 personnes et qui
comprend aussi un membre du Parti de centre droit UDF (Union pour
la démocratie française), l’ancien parti de Bayrou. Un autre
membre de l’équipe de campagne de Royal, Eric Besson, et Martin
Hirsch, soi-disant de « gauche », président de
l’association caritative Emmaüs du défunt abbé Pierre, ont
aussi été nommés secrétaires d’Etat.
Le saut de Kouchner – à quelques semaines
seulement des deux tours des élections législatives du 10 et 17
juin – du camp du Parti socialiste (PS) à celui de l’UMP,
suivant de près la défection de Besson, révèle la grande
similitude des programmes et de la vision des deux principaux
partis politiques du pays. Le premier secrétaire du PS François
Hollande peut bien maintenant exprimer sa rancune contre les
transfuges, mais lui-même et d’autres personnalités en vue du
Parti socialiste, dont Ségolène Royal, ont fait, lors de la
campagne électorale, des avances prononcées au conservateur,
anti-Etat providence et partisan du libéralisme qu’est François
Bayrou, candidat de l’UDF.
Sarkozy fait grand cas du fait qu’il est en
train de former un gouvernement composé de personnalités qui
sortent des confins étroits de la politique traditionnelle
droite-gauche. Mis à part la parité homme-femme dans son
cabinet, dont Rachida Dati, avocate d’origine maghrébine, le
fait d’inclure des centristes et des gens de gauche participe
d’un effort de se présenter en représentant de tous les Français,
au-dessus les conflits de partis et de classes sociales.
Plusieurs des lieutenants les plus loyaux de
Sarkozy dans sa longue et impitoyable ascension au poste le plus
élevé de l’Etat n’ont pas été retenus. Il semblerait
qu’il y ait beaucoup de « grincements de dents » au
sein de l’UMP.
Une des premières mesures du nouveau président,
à peine sorti vainqueur des urnes, a été d’inviter les
dirigeants des cinq principales confédérations syndicales (CGT,
CFDT, FO, CFTC et CFE-CGC) à le rencontrer individuellement,
avant même son investiture. Les dirigeants syndicaux se sont
empressés de le rencontrer et ont exprimé leur satisfaction à
être inclus dans les consultations de septembre sur la
politique sociale réactionnaire de Sarkozy. Le bloc que Sarkozy a
formé avec les syndicats, contre le premier ministre de Chirac,
Dominique de Villepin, dans l’opposition au CPE (Contrat première
embauche) l’année dernière, a contribué à ouvrir la voie à
une telle coopération. Sarkozy cherche à donner à son régime
quelque chose qui ressemblerait à un gouvernement d’unité
nationale voire même une « Grande coalition » à la
manière d’Angela Merkel en Allemagne.
Dans l’immédiat, la tâche de Sarkozy est
d’obtenir une majorité de députés à l’Assemblée
nationale, et son « débauchage » d’une personnalité
en vue comme Kouchner a approfondi la crise dans les rangs démoralisés
du Parti socialiste. Les sondages prédisent une victoire écrasante
pour l’UMP aux élections législatives. Un sondage Ipsos/Dell,
paru le 24 mai, fait état de 41,5 pour cent des intentions de
vote pour l’UMP et ses alliés, contre 29 pour cent pour le
Parti socialiste.
Plus fondamentalement, l’apparente hétérogénéité
du cabinet de Sarkozy (comprenant les « trois pôles »,
soit la droite, le centre et la « gauche ») a pour
objectif d’élargir sa base sociale et de lui fournir une légitimité
politique plus grande pour mettre en place ses attaques sur l’Etat
providence, l’éducation nationale et les droits syndicaux.
D’aucuns prétendront alors que ces mesures réactionnaires sont
désirées par « tous les Français », ce qui est très
loin d’être le cas.
De plus, Sarkozy a besoin d’appliquer un
vernis « humanitaire » à sa politique étrangère
nouvelle et plus agressive. Et c’est là bien sûr que Kouchner
intervient.
Le discours de Sarkozy le 16 mai, jour de son
investiture, donne une idée du rôle qu’il espère faire jouer
à Kouchner en tant que ministre des Affaires étrangères. Il
veut que Kouchner contribue à poursuivre la défense énergique
des intérêts de l’impérialisme français dans le monde arabe
et en Afrique subsaharienne, où la France a de nombreux
contingents militaires (au Liban, au Gabon – 1000 soldats, à
Djibouti – 3000, au Sénégal – 1200, au Tchad – 1100, au
Togo – 300) et désire étayer ou renforcer sa position contre
ses rivaux, notamment les Etats-Unis et l’influence rapidement
grandissante de la Chine et de l’Inde.
C’est cette réalité colonialiste sordide
qui se cache derrière l’appel grandiloquent de Sarkozy à faire
« rayonner dans le monde les valeurs universelles de la
France » et sa promesse de lutter pour « l’union de
la Méditerranée et le développement de l’Afrique. » Et
de poursuivre, « Je ferai de la défense des droits de l’Homme
et de la lutte contre le réchauffement climatique les priorités
de l’action diplomatique de la France dans le monde. »
Sa référence au réchauffement de la planète
lui a valu un grand soutien de la part de personnalités de la
mouvance écologiste.
En qualité de ministre des Affaires étrangères,
Kouchner aura aussi pour tâche d’imposer le document qui
remplacera la Constitution européenne qui avait été rejetée
par la population lors de référendums en France et en Hollande.
Sarkozy a appelé à « une Europe qui
protège », autre façon de dire « préférence
communautaire », expression qui a été interprétée en
Allemagne et dans certaines capitales comme l’intention de défendre
de façon agressive les intérêts commerciaux français contre
ses rivaux européens.
Le
parcours de Kouchner
La biographie politique de Bernard Kouchner est
révélatrice et démontre l’évolution de toute une couche
sociale. Né en 1939 d’un père juif et d’une mère
protestante, il commença sa carrière politique comme membre du
Parti communiste dont il fut exclu en 1966. Il organisa une grève
d’étudiants en médecine en 1968. La même année, il quitta le
ferment politique de la France de cette époque et partit
travailler comme médecin de la Croix rouge au Biafra (durant la
brutale guerre civile au Nigeria.)
Suite aux frustrations nées de l’expérience
au Biafra, il contribua avec d’autres à lancer le mouvement
appelé les « French doctors », organisations non
gouvernementales d’aide humanitaire, parmi lesquelles on compte Médecins
sans frontières, fondés en 1971 et Médecins du monde.
Kouchner fait partie de ces ex-staliniens,
ex-maoïstes et autres militants « d’extrême-gauche »
qui ne savaient trop que faire, voire même pire, suite à la
grande grève générale de mai-juin 1968. La question
fondamentale qui se posait après cette opportunité révolutionnaire
trahie était la nécessité de démolir politiquement
l’influence du Parti communiste stalinien dans la classe ouvrière.
Ces individus furent soit dépassés par cette tâche, soit y
furent hostiles. Ils cherchèrent quelque chose à faire.
L’année 1971, en plus de la création de Médecins
sans frontières, vit la naissance du quotidien Libération
fondé par d’anciens maoïstes, ainsi que du premier parti
écologiste de France.
Kouchner n’est pas un cas isolé. Régis
Debray rejoignit Che Guevara dans une aventure de guérilla en
Bolivie pour ensuite devenir un proche conseiller du président
François Mitterrand. Daniel Cohn-Bendit, « Dany le Rouge »
en 1968, est devenu un homme politique respectable du parti
bourgeois Vert en Allemagne et l’un des principaux conseillers
de Ségolène Royal, l’encourageant à faire des alliances avec
les centristes de l’UDF, dont la plupart des députés ont à présent
rejoint Sarkozy.
Bon nombre de ces anciens gauchistes qui se
sont enrichis et se sont détournés des larges couches de la
population, se retrouvent dans l’autoritarisme de Sarkozy. Max
Gallo, historien et romancier, était lui aussi à une époque
membre du Parti communiste et plus tard collaborateur de
Mitterrand et de Hollande. Maintenant Gallo accueille à bras
ouverts l’autoritarisme de Sarkozy. Il admire Napoléon pour
avoir abjuré à la fois la révolution et la réaction
aristocratique et pour être « un pur nationaliste »
Gallo fait le commentaire suivant, « C’est la source du
bonapartisme, qui n’a pas encore tari, en tant que courant
politique, et Sarkozy semble en être l’héritier. »
Ces anciens gauchistes ressentent une profonde
antipathie envers la population française qui s’est rebellée
à maintes reprises contre la politique d’austérité des
gouvernements successifs de gauche et de droite durant la dernière
décennie ou plus. Ils espèrent sincèrement que le régime de
Sarkozy sera capable de réprimer les révoltes sociales que ce
système provoque. Ils justifient leur ralliement au statu quo par
un anticommunisme enragé et en appellent à l’impérialisme
pour intervenir sur toute la planète au nom des « droits de
l’Homme. » (voir Des
intellectuels français en vue se rallient au candidat à la
présidentielle Nicolas Sarkozy, par
Stefan Steinberg, 6 mars 2007)
Kouchner est précisément un spécialiste en
la matière. En qualité de ministre d’Etat pour l’action
humanitaire dans les années 1980, il avait été surnommé le
« ministre de l’Indignation. »
C’est alors qu’il travaillait avec les
organisations des « French doctors » dans les années
1970 et 1980 que Kouchner avait développé ce concept d’« ingérence
humanitaire. »
Cette idée avait été adoptée par une couche
d’intellectuels qui rejetait l’analyse de classes du système
actuel. Certaines urgences sociales étaient tellement graves,
disaient-ils, qu’elles passaient avant toute considération de
souveraineté nationale et de relation entre nations opprimées et
nations qui oppriment. Retirant les événements de leur contexte
historique et social, ce qui signifie généralement que l’on
ignore le terrible héritage du colonialisme, Kouchner et
d’autres comme lui avaient fait appel aux grandes puissances
pour qu’elles interviennent dans différentes parties du globe,
dans une version nouvelle, postmoderniste du « fardeau de
l’homme blanc. » (the white man’s burden.)
Que de telles interventions coïncident généralement
avec des projets un peu moins généreux, notamment la recherche
de ressources naturelles de grande valeur ou la mise en place de têtes
de pont militaires dans des endroits d’importance stratégique,
passa inaperçu dans les brillants hommages rendus à ces nouveaux
humanitaires.
Les guerres civiles dans l’ancienne
Yougoslavie pendant les années 1990 fournirent l’occasion à de
nombreux anciens militants d’« extrême-gauche » de
rejoindre le camp impérialiste. Se servant, en guise de
raisonnement, des déprédations du régime nationaliste de
Milosevic à l’encontre des minorités ethniques, les puissances
occidentales encouragèrent l’intensification des mouvements séparatistes
dans la région comme moyen de justifier une intervention
militaire et même le « bombardement humanitaire » de
l’OTAN, afin établir une hégémonie impérialiste dans les
Balkans.
Kouchner devint le premier haut représentant
de l’ONU et président de l’Administration intérimaire des
Nations Unies au Kosovo de juillet 1999 à janvier 2001, incitant
à l’autonomie du Kosovo et plus généralement servant les intérêts
des grandes puissances.
Il avait entre-temps développé un nouveau
concept, celui de « frappe humanitaire préventive. »
Dans un article du Los Angeles Times d’octobre 1999,
intitulé Perspective sur la politique du monde : Il faut établir
un droit d’intervention contre la guerre, il affirmait, « Il
est à présent nécessaire de franchir le pas suivant pour arrêter
les guerres avant qu’elles ne commencent et arrêter les
assassins avant qu’ils ne tuent… Nous savions ce qui allait se
produire en Somalie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo bien
avant que la guerre n’éclate. Mais nous n’avons pas agi.
S’il y a une leçon à tirer de ces expériences, c’est que
l’heure est venue d’un changement décisif de la conscience
internationale. »
Un tel raisonnement le conduisit à apporter
son soutien à la frappe préventive de Bush contre l’Irak en
2003 visant à résoudre la question des armes de destruction
massive non existantes et à « libérer le peuple irakien »
de l’oppression. Il est de ce fait complice de la dévastation
de l’Irak perpétrée par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et
leurs alliés, dont la France (qui fournit une logistique
essentielle aux envahisseurs et qui soutient l’occupation dans
les instances internationales). Et leur tentative de s’emparer
des ressources pétrolières du pays n’est rien d’autre
qu’un pas vers la recolonisation du Moyen-Orient.
Il a soutenu ouvertement et avec toujours plus
de conviction la politique néolibérale visant à appuyer les intérêts
du capitalisme français. En 1995, tout comme l’ancien premier
ministre Michel Rocard du Parti socialiste, il avait soutenu le
projet du premier ministre gaulliste de l’époque, Alain Juppé,
de réduire les retraites et les autres droits sociaux, ce qui
avait provoqué des grèves massives. Il avait aussi soutenu le
CPE (Contrat première embauche) introduit par le gouvernement de
Dominique de Villepin, qui avait soulevé une tempête de
protestations similaire au printemps 2006.
La décision de Kouchner de s’engager aux côtés
de Sarkozy est la continuation logique de sa dérive à droite et
de la dérive de l’ensemble de la direction du Parti socialiste
et de la gauche officielle en France. François Hollande s’est récemment
plaint du fait que Sarkozy va chercher d’anciennes personnalités
du PS, tel Kouchner au motif que le nouveau président essayait de
faire croire aux gens qu’il « n’y avait plus de différence
entre la gauche et la droite » ! Bien sûr qu’il
n’y a pas de différence de principe entre l’UMP et le PS,
mais si tout le monde devait suivre sur les traces de Kouchner,
alors les masques tomberaient.
En même temps, le fait que Sarkozy fasse
entrer Kouchner dans son cabinet, en qualité de ministre des
Affaires étrangères, signale l’instabilité du nouveau régime.
Dans sa campagne électorale, Sarkozy a promis tout à tout le
monde : des hausses de salaire, mais aussi une « réforme »
du code du travail ; la sécurité de l’emploi mais aussi
des conditions d’embauche plus flexibles et de meilleures
conditions pour l’enrichissement de l’élite dirigeante ;
de meilleurs services sociaux, mais des baisses d’impôt et
moins de fonctionnaires ; de meilleures écoles, mais
davantage de réductions des dépenses de l’éducation.
L’impossibilité de réconcilier ces diverses promesses ne
tardera pas à devenir une évidence.
Sarkozy reconnaît l’étroitesse de sa base
sociale ce qui l’a conduit aussi à concentrer le pouvoir entre
ses mains afin d’affaiblir le rôle de l’UMP, dont il avait
pris la direction puis qu’il avait utilisé pour mettre Chirac
sur la touche. L’entrée au gouvernement de Kouchner et d’Hervé
Morin de l’UDF de centre-droit, qui doivent leur poste ministériel
au président, contribue aussi à diminuer le pouvoir de l’UMP,
tout comme les entraves qu’il met à son propre parti. Libération
du 17 mai commente, « Dans l’euphorie de la victoire
du 6mai, l’ancien patron de l’UMP a réussi ce coup inouï en
début de semaine : supprimer la démocratie directe au sein
de son parti ! Il n’y aura plus de président de l’UMP élu
par les militants, mais une direction collégiale, cornaquée par
un secrétaire général aux pouvoirs accrus, inféodée à
Nicolas Sarkozy. »
Soutenu par la minuscule élite de
millionnaires, concentrée dans l’association patronale du MEDEF,
et attirant les couches de petits patrons qui craignent la compétition
mondialisée, ainsi que des travailleurs désorientés, Sarkozy
sait que les victoires électorales écrasantes et les grandes
majorités parlementaires ne sont pas une garantie contre les
explosions sociales. Le numéro deux de son nouveau gouvernement,
Juppé, l’avait appris à ses dépens lorsqu’il avait tenté
de mettre en place la réduction des droits de retraite et de sécurité
sociale, quelques mois seulement après sa prise de fonction en
tant que premier ministre en 1995, tandis qu’il jouissait
d’une écrasante majorité de droite. Il fut confronté à des
grèves et des manifestations de masse, que les bureaucraties
syndicales avaient eu beaucoup de mal à contenir, mais qui
recueillirent le soutien de la vaste majorité de la population.
Cela avait été le début de la fin de son gouvernement, qui était
tombé moins de deux ans après.
Les dangers que le gouvernement de Sarkozy représente
ne devraient pas être sous-estimés. Il fait partie d’une
offensive à échelle européenne visant à détruire les acquis
sociaux de la classe ouvrière et à imposer le régime
autoritaire nécessaire pour y parvenir. Les partis de la gauche
officielle et les syndicats sont les protagonistes actifs de ces
attaques contre les travailleurs et les jeunes. Ce n’est que
lorsque la classe ouvrière rompra consciemment avec ces agences
du régime capitaliste et qu’elle établira son indépendance
politique en un mouvement authentiquement socialiste et
internationaliste, qu’elle pourra alors écarter ces dangers et
passer à l’offensive pour avancer ses intérêts qui sont ceux
de la masse de la population.
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