Les 4 000 puits creusés dans
la bande de Gaza, pour la moitié illégalement,
accélèrent gravement la salinisation des sols.
LA RARETÉ de l’eau est un éternel problème
au Moyen-Orient mais à Gaza il est pire que nulle part
ailleurs. « C’est un microcosme de toute
la région », précise Eric Pallant, un spécialiste
de l’environnement à l’Allegheny College de Meadville en
Pennsylvanie qui a collaboré à la fois avec des Israéliens et
des Palestiniens sur la question. " Si vous
trouvez le moyen de garantir l’approvisionnement en eau ici,
ajoute-t-il, alors vous pouvez le faire n’importe où."
Plusieurs projets ont été élaborés par des
pays donateurs ces dernières années, y compris des stations
d’épuration modernes et des usines de dessalement, mais ils
ont tous capoté à cause des soucis de sécurité et des
sanctions qui se sont abattues sur le gouvernement palestinien
dirigé par le Hamas. Le retrait par Israël de ses colons et de
ses troupes de la bande de Gaza l’an passé a été une
victoire douce-amère pour les Palestiniens. Bien qu’ils aient
pour la première fois le contrôle total de leur eau, ils
doivent maintenant faire des pieds et des mains pour l’épargner
avant qu’elle ne soit irréversiblement contaminée.
À première vue, les problèmes paraissent
insurmontables. La seule source d’eau naturelle est l’aquifère
côtier formé par des couches de sédiments imprégnés d’eau
qui se trouve à quelques dizaines de mètres sous terre. Il est
principalement alimenté par les 20 à 40 cm d’eau tombant
chaque année sur les 360 km2 de la bande de Gaza et par des
eaux d’écoulement provenant d’Israël. La majeure partie
des précipitations s’évapore, le reste s’infiltre dans le
sol sableux et rejoint l’aquifère. Au total, la nappe se
recharge chaque année de 75 à 125 millions de mètres cubes
(Mm3).
Le seul débouché naturel de la couche aquifère
se fait vers la Méditerranée et constitue une barrière
cruciale contre l’intrusion des eaux marines. Si les prélèvements
annuels n’étaient que de 100 Mm3, la nappe pourrait durer
sans fin. Mais les 4 000 puits creusés sur le territoire, trop
nombreux, soutirent jusqu’à 160 Mm3 par an. Cette
surconsommation de 60 Mm3 par an fait baisser la nappe phréatique
qui se trouve parfois maintenant à 13 mètres sous le niveau de
la mer. Les eaux salées de la Méditerranée et des poches de
saumure plus en profondeur viennent combler le vide créé par
les prélèvements. « L’intrusion de
l’eau de mer est bien avancée, confirme Ahmad al-Yaqoubi,
l’hydrologue qui dirige l’Agence palestinienne de l’eau,
notamment dans les zones côtières et vers le sud. »
Près de 90% des puits ont déjà une salinité supérieure au
maximum recommandé par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) et l’aquifère de Gaza pourrait s’avérer inutilisable
dans les deux ou trois prochaines décennies selon un rapport de
2003 du Programme des Nations unies pour l’environnement.
Excès de nitrates
Et cette échéance pourrait être encore plus
proche car la couche aquifère est polluée par les égouts et
l’agriculture du territoire. « Mis à
part le sel, notre premier contaminant sont les nitrates venant
des décharges et des engrais », indique Yousef Abu
Safieh, le scientifique à la tête de l’Autorité
palestinienne pour la qualité de l’environnement. La
concentration maximale tolérable en nitrates selon l’OMS est
de 45 ppm (partie pour million). « Dans
nos échantillons, la plupart des puits ont des taux d’environ
200 ppm et ceux proches des rejets de l’agriculture peuvent
atteindre 400 ppm », ajoute Yousef Abu Safieh. Deux études
qu’il a dirigées montrent des problèmes de santé - maladies
rénales et syndromes congénitaux chez les enfants - associés
aux aires contaminées.
L’épuration et la dépollution de l’eau
sont normalement assurées par des usines de retraitement. Mais
les trois stations d’épuration du territoire sont très
insuffisantes. La principale, au sud de la ville de Gaza, a été
conçue pour traiter 42 000 mètres cubes par jour, ce que
rejettent environ 300 000 personnes, mais doit faire face à 60
000 mètres cubes quotidiens d’après Al-Yaqoubi, et « l’étape
biologique du traitement ne suit pas ». En conséquence,
des eaux usées à peine traitées sont déversées dans la mer
pour éviter les débordements. Dans le même temps, les fosses
septiques se multiplient sur le territoire où 40% des habitants
n’ont pas de système de tout-à-l’égout centralisé. Au
nord de Gaza, un égout à ciel ouvert de 40 hectares s’est
formé et représente une menace pour les gens en surface et
pour l’aquifère souterrain.
Un contrôle plus serré de l’agriculture, qui
consomme 70% de l’eau dans la bande de Gaza et utilise les
engrais, source majeure de pollution aux nitrates, serait une
première étape pour éviter la dégradation de la couche aquifère.
Pourtant « les problèmes ne cessent de
s’amplifier, constate Mac McKee, un hydrologue de l’Utah
State University qui collabore depuis dix ans avec les
habitants, car l’autorité palestinienne n’a pas réussi à
instaurer un contrôle efficace des forages et des pompages
pratiqués ». Environ la moitié des puits ont été
creusés illégalement, la plupart par des fermiers pour
irriguer leur lopin de terre. « Si vous
dites aux fermiers d’arrêter d’utiliser leur puits, ils
sortent les fusils », dit Ehab Ashour, un ingénieur
hydrologue qui travaille pour des agences de développement
international à Gaza. Et avec la lutte pour le pouvoir qui
s’intensifie entre le Hamas et le Fatah, la perspective de
voir les choses rentrer dans l’ordre est plus faible que
jamais.
Des égouts à surveiller
Pour Mac McKee, toute solution à long terme à
Gaza devra passer par la désalinisation. En 2000, une usine
capable de fournir 60 millions de mètres cubes annuels d’eau
potable à la bande de Gaza était prévue dans un programme de
l’United States Agency for International Development (Usaid).
L’argent, 70 millions de dollars pour l’usine et 60 millions
pour les canalisations à travers le territoire, allait être
versé par l’organisme, mais la seconde intifada a commencé
peu après. Le projet a été officiellement gelé en 2003 quand
un attentat a fait trois morts parmi les membres d’un convoi
diplomatique américain à Gaza.
Une autre priorité selon Al-Yaqoubi est de régler
le problème des égouts dans la bande de Gaza, non seulement
pour éviter un désastre de santé publique mais aussi pour
recycler une partie du précieux liquide dans le système. Un
groupe de trois usines qui pouvaient traiter les eaux usées de
l’ensemble de la bande de Gaza avait été promis par l’Usaid,
la Banque mondiale, l’Allemagne, la Finlande et le Japon mais « il
ne s’est rien passé », dit-il, en raison de la
victoire du Hamas aux élections.
(*) Cet article est paru dans la revue
internationale Science, éditée par l’Association
américaine pour l’avancement des sciences (AAAS). Traduction
et adaptation de Pierre Kaldy pour Le Figaro.
John Bohannon