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3e carrefour de la solidarité étudiante de l’école des Mines de Douai

LES ENFANTS DE LA GUERRE ONT-ILS LE VIRUS DE LA VIOLENCE ?


Crédits : Centre International d’initiation aux Droits de l’Homme. France

7 février 2008

Fériel Berraies Guigny

Criminologue Doctorante à Paris II

3e carrefour de la solidarité étudiante de l’école des Mines de Douai

Thématique de l’enfance

Donnons l’envie d’agir !

Sous le haut patronage de Rama Yade
Secrétaire D’Etat chargée des Affaires Etrangères et des droits de l’Homme

Présidé par Jacques Hintzy Président d’UNICEF France

Atelier : les enfants et les conflits armés

Modérateur Bernard de la Villardiére

(Avec le soutien de Région Nord Pas de Calais, Unicef, ACPE, Virlanie et la Conférence Régionale des Grandes Ecoles)

 
Le Nouveau Siècle:
Le grand auditorium                                               Une salle des commissions
Crédits photos : Conseil régional Nord Pas-de-Calais

Bibliographie :

Feldman B I, Enfants victimes de guerre. In Psycho traumatologie, chapitre 15. Editions Dunod, 2006
Cyrulnik B, De chair et d’âme. Editions Odile Jacob, 2006
Sous la direction de Cyrulnik, B., & Seron C, La Résilience ou comment renaître de sa souffrance ? Editions Fabert, 2003
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Collection Médecine et Société. Editions PUF, 2001
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Introduction :

Au cours des cent dernières années, les questions relatives à la vulnérabilité psychologique des enfants exposés à la guerre, ont été soit ignorées, soit sujettes à controverse. Et cela, indépendamment de l’époque, des enjeux politiques et sociaux. Durant la première guerre mondiale, très peu d’études ont exposé le cas des enfants. Cet intérêt modéré s’explique par le manque de méthodes de recherche spécifiques à cet âge. Mais aussi par le fait qu’avant la seconde guerre mondiale, les conflits n’engageaient que les militaires et non la population civile. La seconde guerre mondiale, encore plus meurtrière que la première, avec ses 38 millions de morts, dont 20 millions de civils parmi lesquels 10 millions auront péri dans les camps de concentration et de déportation nazis, sera particulièrement pourvoyeuse en chocs psychiques.
La seconde guerre mondiale, mettra en lumière une stratégie des combats qui avait pour objectif principal de semer terreur et démoralisation auprès des populations, amenant dans son sillage une nouvelle typologie psycho traumatique. La souffrance morale d’après guerre fut tenue secrète par crainte de représailles et les victimes de la Shoah, vécurent pendant un certain temps, une nouvelle forme de victimisation. Pourtant, c’est à cette même période, dans ces conditions d’opacité et de rétention d’information quant à l’existence des traumas de guerre, que le mot « stress » allait faire son apparition avec les écrits de deux psychiatres américains (Grinker et Spiegel, 1947). Ces chercheurs ouvriront le champ à toute une symptomatologie clinique auprès des militaires, qui sera également appliquée aux rescapés civils.
Mais les guerres post-coloniales, d’Indochine, d’Indonésie, d’Algérie et de Rhodésie, sans oublier d’Angola, feront oublier pendant un temps, les leçons des guerres précédentes (Glass, 1953). Il faudra attendre quinze ans après la fin de la seconde guerre, pour une réelle prise de conscience sur l’impact dévastateur de ces conflits sur l’humanité.
Les pays anglo-saxons marqueront cependant, une nette avancée dans la réflexion psychiatrique de guerre Cependant, i
l faudra attendre le milieu du XX e siècle pour espérer trouver des travaux qui se soient penchés sur la perception infantile des événements violents. S’agissant particulièrement, des effets des bombardements, de l’évacuation, du placement en nurseries, de la déprivation affective du pédopsychiatre britannique (Winicott, 1943) et toutes autres situations hors normes, qui procuraient un grand désarroi aux enfants des conflits. Mais on continuera de taire toute éventualité de stress, névrose et encore moins de traumatisme infantile liés directement à la violence de la guerre.
La fin de la seconde guerre mondiale, et les quelques années qui s’ensuivirent pour reconnaître la souffrance morale des victimes de la Shoah, allaient marquer les premières études scientifiques sur les traumas de la population civile.
Les conflits contemporains à l’inverse, n’apporteront pas d’avancée significative en terme de pathologie psycho traumatique. S’agissant notamment des conflits du Moyen Orient qui auront opposé cinq fois le nouvel Etat d’Israël à ses voisins arabes ;( 1948,1956,1967,1973 et 1982), puis la guerre opposant l’Iran à l’Irak (1980-1989), et la guerre contre l’Irak effectuée par une coalition occidentale, ( guerre du Golfe, 1991).
Cependant, dès les années
1970, un nouveau type de violence allait voir le jour. Il s’agit de ce qu’on appelle communément aujourd’hui, le terrorisme ou la violence politique. Une guerre très spéciale qui aura la particularité de frapper également en temps de paix la population civile. Une guerre en temps de paix, basée sur l’effroi, l’imprévu et l’absurde.
L’étude d’(
Ochberg, Soskis, 1982) l’a abordé et met en lumière la venue d’un genre nouveau en terme de psychopathologie traumatique.
Les prises d’otages ou kidnappings, constitueront également, un nouveau terrain de réflexion avec des pathologies nouvelles comme le « Syndrome de Stockholm ». Syndrome qui se caractérise par
un attachement affectif au ravisseur, impliquant pour la victime, une distorsion de la perception, du jugement, du raisonnement et une démission de la volonté.

Face à cette profusion de la littérature sur les nouveaux « syndromes » de guerre des nouveaux terrains de conflits, l’intérêt modéré concernant l’enfance, continue de contraster cruellement.

Le réveil viendra avec les guerres africaines post-coloniales inter Etatiques, les luttes interethniques et inter tribales, qui introduiront de nouvelles formes de souffrances morales chez les adultes et les enfants. Des conflits sanglants qui mettront finalement au premier plan, la participation et le rôle de l’enfance. Ces guerres seront par ailleurs, caractérisées par une violence sauvage (massacres à l’arme blanche) introduisant entre autre, l’épineux problème des enfants violents et ou tueurs sous influence des pairs et induisant des ravages psychologiques énormes, qu’il est difficile encore aujourd’hui, de contenir cliniquement.

Ces guerres mettront au grand jour de nouveaux types de violence perpétrés sur les enfants, par des enfants. Hier victime ou témoin, aujourd’hui, acteur réacteur, l’enfant de la guerre, a évolué au gré des nouvelles technologies de destruction et des nouvelles formes d’embrigadement.

L’enfant témoin et victime des conflits armés, qui est il ?

Penser au bien être psychologique de l’enfant est un concept relativement moderne. C’est aussi, un concept qui provient essentiellement des cultures occidentales.
Cette prise de conscience de la nécessité de veiller au bien être psychologique de l’enfant, s’est faite toutefois lentement. Au prix de beaucoup de douleur pour l’enfant à qui on a longtemps occulté la souffrance morale. Au départ, les priorités étaient autres, les Etats devaient assurer la survie de leur descendance. Il fallait faire face aux maux de l’époque : combattre des fléaux comme la peste et autres affections qui décimaient les populations et principalement les tout petits.
Jusqu’au XVIIe, les enfants qui étaient considérés comme des petits adultes, n’avaient pas droit à un traitement spécial. La fin du XVIe, marquera une étape décisive, puisque ces petits adultes seront enfin considérés comme une catégorie à part. Une catégorie, ayant des besoins spécifiques et à qui on devait donner les moyens pour pouvoir bien se développer.
Peu à peu, germera l’idée que l’enfant est différent de l’adulte.
Aries en 1962, Tucker en 1974 et Roussel plus tard en 1984, ont bien étudié cette période. Leur recherche indique que pour la société de l’époque, l’enfant devenait un cas à part, qui devait être protégé autant dans son intégrité physique que psychologique (Aries, 1962 ; Tucker 1974 ; Roussel 1989)..
Le XVIIIe allait renforcer cette inclinaison et l’enfant était désormais perçu comme un être vulnérable. Mais ce qui constituera véritablement une avancée dans les mentalités de l’époque sera le constat qu’outre la protection physique, la protection psychique du petit homme était tout aussi importante, selon l’analyse de (Roussel, 1989).
Cette évolution des mentalités considérable pour l’époque, aura permis de renforcer le statut spécial de l’enfant.
Pourtant, la place de l’enfant dans la guerre, sa participation à travers la littérature, l’histoire des batailles, des sociétés, restent encore aujourd’hui, source de nombreuses interrogations. D’hier à aujourd’hui, on ne sait toujours pas à quand date le véritable engagement des enfants dans les batailles ? S’ils ont-ils été des guerriers volontaires ou contraints ? S’ils étaient uniquement de la chair à canons ? Si on pouvait véritablement considérer qu’il y avait eu une véritable socialisation politique dans leur engagement militaire ? Le terme « infanterie » (le mot est emprunté de l'italien infanteria, dérivé de infante (enfant) qui prit au XIVe siècle le sens de « jeune soldat, fantassin ».) laisse présager que cette situation n’est pas récente.
La littérature est très friande de ces récits d’enfants marginalisés et les sources d’inspiration pour bien des fictions, n’ont pas manqué, ( André, 1973). Enfants des batailles, enfants ouvriers, enfants des rues. Dans l’Antiquité et les récits mythologiques on évoquait déjà l’existence d’une jeunesse prédestinée à la guerre. Des archétypes sont nés aussi de l’histoire et de ces mythes, qui ont fait de certains enfants, des héros de légende. Où commence la réalité et où finit la fiction ? Si les guerres humaines ont évolué, leurs traumas aussi.

L’enfant et le trauma de guerre

Les études sur les traumatismes de guerre de l’enfance, n’ont pas toujours fait l’objet de recherches systématiques. Il y aurait en effet, plus de récits médiatiques et journalistiques, qui les auraient abordées, que de recherches scientifiques. Un certain nombre de facteurs pourrait être à l’origine de ce vide théorique : les conditions d’insécurité dans lesquelles elles intervenaient, les situations d’urgence et le fait que ces recherches posaient plus de questions qu’elles n’amenaient de réponses. Si la traumatologie infantile fut longtemps le parent pauvre du champ psychiatrique de guerre, c’est parce que l’on a aussi toujours considéré que l’enfant n’était pas capable de comprendre les « évènements de guerre » Que tout ce qu’il transposait dans ses jeux était du registre du ludique, comme s’agissant par exemple de la fausse représentation de la mort.
Pourtant Freud avait déjà cerné le sens des jeux infantiles ; il les voyait comme une sorte de remise en scénario d’un événement qui aurait profondément choqué. Beaucoup de psychanalystes expliqueront plus tard le rôle du jeu compulsif et répétitif, comme exprimant une détresse morale.

Pour beaucoup la non-implication de l’enfant dans les préparatifs de guerre, dans les combats, le mettait à l’abri de tout sentiment de culpabilité ou de souffrance. Toutes ces croyances ont longtemps nourri le postulat d’une certaine inconscience et innocence de l’enfance. Un écrivain français ( Boyer,1947) a pourtant abordé cette problématique au travers de sa fiction littéraire « jeux interdits », roman porté à l’écran en 1952, par le réalisateur français, René Clément. Le sujet était donc tout trouvé, deux enfants dont l’actrice enfant à l’époque, Brigitte Fossey, s’amusant à enterrer des insectes vivants. Un acte qui met véritablement en lumière « l’origine psychique » des jeux post-traumatiques.
La « plasticité mentale » de l’enfant, définie plus tard comme la résilience, ( Cyrulnik, B ; Ceron C ; 2003 ) devait lui permettre de se réinsérer facilement dans son environnement, une fois la paix établie. Cela expliquera donc, dans un premier temps, la persistance de ce postulat et la rareté des ouvrages publiés sur la névrose de guerre de l’enfant ( Crocq, 1999)
Comment du reste, si l’on n’est pas issu de la profession médicale, comprendre la part de ludique, du pathogène, dans un jeu, ou un dessin! ?

Dans la pensée freudienne, les fantasmes infantiles étaient considérés comme des éléments essentiels, car prédicateurs du développement et du devenir psychique de l’homme. Paradoxalement, on continuera à faire de l’enfant un « patient » improbable dans une situation de guerre. Or le lien entre l’exposition à des événements violents durant l’enfance et la psychopathologie de la vie adulte, mis en exergue par les travaux de Sigmund Freud, n’était plus à démontrer.

Les aspects mortifères de la guerre et de toute autre catastrophe, sur la psyché, étaient bien réels. Et pour (Freud,1919) à la fin de la première guerre mondiale, le constat était que la guerre renvoyait inévitablement à des fantasmes mortifères antérieurs. L’évènement de guerre une fois vécu viendrait alors se superposer à des conflits intrapsychiques non résolus.
S’agissant du cas de l’enfant, les conflits intrapsychiques étaient le désir oedipien de mort d’un parent et la peur d’être détruit par celui-ci, une fois les envies meurtrières découvertes.

(Ferenczi, 1919) en bon élève de Freud, reprendra cette thèse en soulignant l’importance des expériences traumatiques de la toute première enfance, car elles marqueraient l’enfant au point de figer sa personnalité. Les rapports traumatogénes de l’enfant face à son environnement, devaient pour le clinicien impérativement être pris en compte

Anna Freud et Mélanie Klein durant la seconde guerre, présenteront les enfants comme des créatures essentiellement résilientes et très conscientes de leur environnement. Mais elles considèreront aussi, que le traumatisme, était la conséquence d’une fragilité antérieure. Il ne serait en aucun cas attribuable aux effets directs de la guerre ou à toute autre situation hors de l’ordinaire.

(Anna Freud, 1944), qui avait étudié plusieurs enfants placés dans des foyers pendant la guerre, nous relate le cas d’ « un enfant de 4 ans qui revivait en détail l’explosion de la bombe tombée à l’endroit où travaillait son père et ressentait l’anxiété qui l’avait envahi alors…) ; elle évoque aussi l’histoire d’un enfant dont le père avait été tué lors d’un bombardement en ces mots « il parvenait à jouer gaiement avec autres enfants, mais lorsqu’un raid aérien se produisait, il se trouvait forcé de se souvenir et répétait cette expérience ».
Avec sa consoeur Dorothy Burlingham, elle insistera sur l’importance du rôle de la présence parentale et de son interaction dans la réaction de l’enfant. Toutes deux mettront en lumière des changements de comportement et de personnalité : l’apparition d’une énurésie, des comportements régressifs, comme la succion du pouce, une avidité insatiable (sucreries, gâteaux), un comportement affectueux indifférencié avec tous les adultes.
Le jeu restera, le principal mode d’expression de l’enfant après l’exposition à l’évènement violent.
Alors que durant la seconde guerre mondiale, la névrose traumatique infantile sera apparentée à un signe de fragilité psychique antérieure, la période contemporaine introduira l’idée d’une véritable blessure morale à part entière.
Au début du vingtième siècle, les enfants anciennement hermétiques aux traumas de guerre, deviendront des « créatures ultrasensibles », incapables de la moindre élaboration et susceptibles « d’attraper le premier trauma qui passe ».
La reconnaissance des troubles infantiles dus aux événements traumatisants viendra dans les années 1980.
Dans les pays anglo-saxons, cette reconnaissance se concrétisera au travers de l’adoption en 1980 du diagnostic de l’état de stress post traumatique ou ESPT, dans le DSM-III de l’Association américaine de psychiatrie. A partir de là, les études récentes consacrées aux séquelles psychiques des psycho-traumatismes chez l’enfant utiliseront de manière systématique le concept d’ESPT.

Les névroses traumatiques enfantines ont constitué un nouvel essor dans la réflexion clinique de guerre, même si au départ, elle fut limitée en nombre. Le thème restera toutefois, quantitativement de grande importance, si l’on compte le nombre d’enfants confrontés aux catastrophes naturelles : tremblements de terre, inondations et cyclones ( Nîmes, Vaison la romaine, tremblement de terre d’Arménie et de Turquie, d’Algérie, de Californie, du Pakistan sans compter les inondations, (Bangladesh, Tsunami d’ Asie du Sud Est et la Louisiane), aux accidents dans les stades, de voitures, trains, ferry, avions ( Furiani, la gare de Lyon etc…) aux guerres « classiques » et civiles en ( Ex-Yougoslavie, Tchétchénie, Rwanda, et plus loin dans le passé, les guerres de Turquie, Algérie etc.), aux Etats totalitaires qui pratiquent encore aujourd’hui la torture et la violence politique.
Il s’agirait si l’on tient compte de tous ces évènements, de millions d’enfants à l’échelle planétaire, potentiellement traumatisés et traumatisables.

L’adolescent violent de la guerre qui est il?

Certaines études (elles restent minimes) se sont en effet penchées sur la « désorganisation » morale et comportementale, qui pouvait naître de situations « exceptionnelles » et qui contenaient à l’origine, une grande composante violente traumatisante.
Paradoxalement, la question de savoir si les violences de guerre pouvaient générer des comportements violents et délinquants, n’a pas véritablement été abordée de façon directe.
Toute une série de réfléxions a pourtant mis en lumiére, l’impact du milieu violent et ses répercussions psychiques sur l’enfance. Certaines études ont choisi des terrains de violence endémique pour se poser ces questions.
Il s’agit notamment de l’Irlande du Nord, de l’Afrique du Sud, d’Israel, de certains pays au Moyen Orient, des territoires occupés, sans oublier de certains pays d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie. Des terrains particuliers qui nous introduisent aussi à de nouvelles dynamiques de violence. Une violence caractérisée par sa dimension chronique et un contexte exogéne particulier. Car il ne s’agit pas nécessairement de guerre entre Etats, l’élèment de la durabilité est introduit alors que les cibles et les acteurs sont essentiellement civils, mettant de plus en plus en lumiére, des scénarios de luttes fratricides, sous couvert de mobiles ethniques et religieux. Des guerres pas très propres, qui engagent le voisin, l’ami, le membre de la famille et...l’enfant.

Avec ces terrains l’on verra naitre une violence d’un type nouveau, qu’on appellera communément à partir des années 90, violence sociopolitique.

La particularité de cette violence, est qu’elle inclut une large part de terreur vécue au quotidien, tout en étant imprévisible. Elle cible essentiellement les civils et n’hésite pas à faire participer des enfants. Une violence dont les répercussions psychologiques et comportementales sont désastreuses et dont on ne mesure pas encore assez aujourd’hui, l’étendue des dégats psychologiques, à long terme.
Pourtant la clinique traumatologiue va révéler que de ces nouveaux terrains de conflits et de violence sociopolitique, naitront des troubles étio-traumatiques propres. Ils divergeraient des symptômes rencontrés dans les situations de guerre conventionnelle. A cela, s’ajoutant la particularité d’une implication enfantine de plus en plus accrue. D’un côté, il y a les enfants qui subissent la violence au quotidien pour finir par la trouver normale et s’en accommoder. Et de l’autre, on trouvera des enfants qui tout en étant témoins ou victimes, décideront de la réagir ou de l’agir frontalement.
La pensée clinique ajoutera qu’il ne s’agit là que de mécanismes d’adaptation, voire d’une certaine forme de résilience. La pensée criminologique, considérera quant à elle, que l’adaptation a des limites à ne pas franchir, dès lors que la défense sociale est en question.
De plus en plus, sur toutes les scènes de violence, des adolescents et des enfants s’impliquent et agissent, dans la violence et l’agression. Ils sont tout à la fois témoins et acteurs, victimes et bourreaux, que ce soit dans des fictions ou dans la vie réelle, au travers de récits dramatiques ou dans de véritables guerres et catastrophes humaines.

Parmi ces enfants, on constate la présence grandissante des adolescents. Qui sont ces enfants guerriers du XXIe s ?

Dans un environnement hostile, les enfants confrontés à la cruauté et à l’agressivité finissent par perdre tout sens moral ou empathie envers autrui, (De la Garza, 2001).
Car l’environnement de guerre nourrirait avant tout leur peur et leur hostilité à l’égard des autres. L’enfant ou l’adolescent axerait ses priorités sur sa survie psychologique et physique, au détriment du comportement social positif.
Un mécanisme d’adaptation qui n’élude pas pour autant certains dangers.

La psychologue Ghislaine de Coulomme-Labarthe explique qu’il existe toujours chez l’enfant une « agressivité latente » qui peut être encouragée et exploitée. La situation de guerre à cet effet, ne peut que la stimuler. La prédisposition de l’enfant serait d’autant plus facile qu’il afficherait la plupart du temps, une parfaite inconscience par rapport à la mort qu’il ne craint pas. Il a même été constaté qu il serait davantage affecté par le drame engendré autour de la mort, que par la mort en elle-même. L’enfant est très malléable, il aurait une plasticité extraordinaire qui ferait qu’il s’identifierait rapidement à un parent adulte qui serait soldat par exemple. Bien que son sens du patriotisme ne soit pas inné, son mimétisme à l’égard d’un père soldat serait manifeste. Le danger viendrait alors du fait que l’enfant n’ayant pas la même échelle de valeurs que l’adulte, sa perception du danger ne sera pas la même. Il s’engagera donc, dans les combats avec une plus grande facilité et inconscience.
L’enfant au travers de son miroir veut tuer cet « autre » qui le « retient prisonnier » et qui l’aliène. Paradoxalement, cet « autre » est autant son semblable que son différent. En le « tuant » il ne le supprime pas, mais il tenterait au travers de ce geste d’anéantissement, de l’intégrer en lui.
La psychanalyse a de tout temps expliqué ce désir de l’enfant et surtout de l’adolescent de s’exprimer par la violence. Pour le courant médical, elle est même, une étape décisive dans la construction de la personnalité.

Déterminisme génétique, psychologique, conditionnement du milieu, mécanisme d’apprentissage, identification à l’agression ? D’où naissent les germes de la violence qui sont en nous ?

(Lacan, 1986) considérait que le sujet qui commettait un acte de violence ou d’agression, cherchait avant tout la satisfaction d’un plaisir, conçu comme l’apaisement d’une tension. Ce plaisir qu’on nomme « jouissance » Cette jouissance découle du franchissement inhérent à la pulsion de mort, et elle est une jouissance déshumanisante. Car le sujet transforme l’autre en un déchet, auquel il s’identifie. L’homme rejoindrait ainsi, par son acte de violence, la part de lui-même qu’il a exclue. Le sujet va frapper là où l’a atteint le corps de l’autre. La douleur de l’autre, viendrait à la place de la sienne, restée forclose, pour suppléer le moi anéanti. En infligeant aux autres sa souffrance psychique, restée non symbolisée, l’homme cherche à la voir sur le visage de l’autre. Ce processus on le retrouve chez un nombre important d’enfants soldats des conflits contemporains.

Un bon nombre de cliniciens ont abordé le cas des adolescents, à qui l’on aurait reconnu une véritable prédisposition guerrière. Des prédispositions qui seraient par ailleurs associées aux dégâts de la crise pubertaire.
L’adolescence, reste pour beaucoup de psychologues, psychiatres et sociologues, une période profondément crisique impliquant une « quête identitaire » chez l’enfant en passe de devenir adulte. Cette quête se traduirait chez lui, par le recours à l’autodestruction. Le choix de l’exercice de l’action est hautement privilégié et dans certains cas, cela pourrait se traduire par la violence et des attitudes revendicatrices. L’adolescence serait en fait, l’âge de tous les dangers.

(Piaget, 1955) entrevoyait l’adolescence comme l’âge des contradictions et des extrêmes. Les attitudes rebelles et revendicatrices qui en découleraient, seraient dans l’ordre naturel des choses, bien qu’elles naissent aussi d’un profond sentiment d’échec, capable de pousser à certains extrêmes.

Ainsi, le sentiment d’échec jouerait un rôle important dans le cas des enfants de la guerre.

(Houballah, M.O, 2001) psychiatre libanais qui a longuement étudié le cas des enfants miliciens durant la guerre civile, explique que durant l’adolescence, le langage en tant qu’instrument est naturellement perturbé. Sa fonction de communication disparaîtrait alors que le rôle médiateur du parent, entre l’enfant et le social, deviendra quasi inexistant. Cette lacune, fera que l’enfant « entrera plus facilement en guerre ». Il voudra ainsi, devenir adulte, pour suppléer à l’image « défectueuse du père ».En s’enrôlant dans la milice, il pensera donc « échapper à la castration du père ».Il se verra devenir tout « puissant » et préférera s’exprimer en actes violents, plutôt que d’avoir recours à la parole. Le terrain de la guerre serait avant tout, l’expression d’une révolte et d’une quête identitaire. Et les racines du “virus” de la violence qui sont en nous, viendraient de la peur de la castration du père. Ceci explique pourquoi l’adolescent passe à l’acte violent.
A cela viendrait s’ajouter, la gratification immédiate face à la reconnaissance précoce de la virilité. D’autres pulsions primaires, viendrait peser sur la balance, comme la jouissance que procure le terrain violent. En tuant “l’autre”, les enfants tuent dans leurs fantasmes, l’image du “père”. En quête essentiellement « d’un moi » unifiant, l’action de la guerre devient alors, un moyen de canaliser et de contenir des pulsions.

Mosseiran Osseiran Houballah, son épouse également psychiatre, évoque véritablement une « guerre des adolescents » s’agissant de la guerre civile libanaise. Pour elle, nul doute qu’il s’agissait avant tout d’une guerre fratricide, imbriquée dans un véritable terrain « sacrificiel » des « fils ».
Les adolescents qui s’y sont engagés, l’ont fait en réponse à un « chef de guerre » sorte de père de substitution. Une paternité au pouvoir absolu, qui leur commanditait et leur autorisait des gestes sacrificiels. Le sacrifice dans ce contexte précis, s’apparentant à une sorte de meurtre inconscient et ou/conscient du fils par le père. Cachant en réalité, un véritable fantasme du meurtre, tel qu’abordé par la pensée freudienne.

L’étude de (Marcelli et Braconnier, 1983) met en lumiére cette soif d’action adolescente qui traduit l’anxiété et les angoisses d’une part, et la quête d’identification et d’identité de l’autre.

(Naniwe A.,2001), psychologue burundaise, ajoute que l’adolescence est une période propice au changement et pour savoir ce qu’il est, la place qui lui est accordée dans la société, sa position par rapport à ses parents, l’enfant tente de se positionner. S’identifiant aux parents, il souhaite également s’en éloigner pour investir de nouveaux objets et se fixer à des nouvelles personnes qui pourraient incarner « l’idéal du moi ». Ces personnes idéalisées sur un terrain de conflit armé, peuvent être les chefs recruteurs.

(Maquéda,F.,2001) de Handicap International France, insiste sur l’impact désorganisateur de la puberté. Ambivalente, elle organise et désorganise l’enfant, fille ou garçon. A travers elle, l’enfant devient une personne sexualisée, femme ou homme. Pour Maquéda, chaque enfant singulier est repérable dans un développement psychoaffectif général, mais les positions qu’il va prendre sont à mettre en relation avec les us et coutumes de la famille, de sa société, voire de son histoire transgénérationnelle. Cette maturation reste donc quelque peu dépendante du lien plus ou moins protégé, du couple enfant/parent/adulte. Dans un contexte de guerre, il y aurait davantage le risque que l’enfant se sente moins protégé, voire « lâché ». En perdant confiance en une certaine « toute puissance » des parents, il perd confiance en lui même. Il considérera alors son prochain comme étant autant hostile, bienveillant que secourable .La puberté, période « crisique » par excellence agirait en quelque sorte, comme un réajusteur d’équilibre entre le « bienveillant versus malveillant » ou le « digne de confiance versus non digne de confiance ».

Comment expliquer que l’adolescence soit toujours en première ligne dans les conflits armés?

Sur la scène sociale d’hier mais également sur la scène contemporaine, l’adolescent a toujours dérangé. L’adolescent dénonce les règles, casse, fait preuve de vandalisme, règle ses comptes, participe à des manifestations etc…
Son personnage a autant fasciné qu’il a inquiété les instances sociales.
Les sociétés se sont souvent posées la question de savoir que faire de cet « adulte » en devenir qui devra un jour, jouer un rôle au sein de sa communauté.
Contestataire par excellence, oui l’adolescent l’est assurément. Mais il a plusieurs visages sur un terrain de violence : il peut être victime/ témoin, réacteur suite à une attitude d’autodéfense ou, acteur offenseur. Aujourd’hui, il est de la partie sur plusieurs fronts des conflits qui ont secoué et continuent de secouer nos sociétés : on le reconnaît dans l’enfant lapidateur des territoires occupés ( Gaza à Soweto) à l’enfant poseur de bombes ( Belfast, Palestine), à l’enfant endoctriné religieusement avec ( le Bassidje d’Iran) tel que décrit par (Khoskrokhavar, 1987) aux enfants démineurs d’Afghanistan, au soldat massacreur et mutilateur ( les enfants soldats du Rwanda et de Sierra Leone etc.), à l’enfant des rues et guérillero impitoyable ( de Colombie et Salvador etc.).

La multiplicité des terrains d’affrontements et ces nouveaux types de violence, ont fait de lui, un être en guerre avec lui-même, quand il n’est pas avec les autres !
Les diverses situations de « violence collective » qui ont secoué notre planète, nous amènent aujourd’hui à réfléchir sur le devenir de ces enfants témoins et guerriers par la violence, à long terme.
Qu’en est-il de l’impact à long terme de cette violence acquise sur la psyché et le comportement des jeunes? Comment prendre en charge toute une génération d’enfants d’après guerre, mais aussi cette génération qui continue de naître et de grandir dans la violence ? Comment les réintégrer alors qu’ils ne s’expriment que par la violence ?
Comment inculquer la culture de la non-violence dans des terrains de violence endémique et face à l’imprévu du terrorisme?
Les conflits armés sont ils des freins irrémédiables à la « moralisation » et à la « socialisation »?

La violence armée, désorganise les relations sociales et pour les enfants, cela se manifeste d’abord par des troubles psychologiques et une perte des repères.
La violence qui revêt des formes multiples : biologique, psychologique, sociale et même environnementale est vécue de façon individuelle ou collective. Elle existe également au travers de l’ « instrumentalisation » de l’autre et de soi même. Elle est possible à travers l’identification par le groupe et peut réagir contre un autre groupe. Ses motivations sont multiples : politiques, économiques ou sociale. Elle prend diverses formes : conflit armé entre Etats ou à l’intérieur d’un Etat, génocide, répression ou autres violations des droits fondamentaux, terrorisme ou criminalité organisée.

Mais ce qui rend tous ces scénarii de violence encore plus meurtriers, c’est le phénomène: de déparentalisation que l’on a rencontré sur plusieurs terrains (guerre civile libanaise, dans les territoires occupés ou en Irak).
Passant par la « dévalorisation des pères » elle met en exergue les différences intergénérationnelles. . Des facteurs qui créent véritablement « des situations à risques » induisant la probabilité de comportements criminogènes chez l’enfant. Car c’est bien par ces processus, que les adultes arrivent à instrumentaliser les enfants dans la violence et à les embrigader..
L’adolescent, être en souffrance par définition, va adopter une politique de désaveu, de récusation et de dénégation de son rapport avec le parent et l’adulte. Son attitude rebelle, le confortera dans une politique d’exclusion de soi, en même temps que de l’autre.
Dans un terrain de guerre, où les repères identificatoires sont disqualifiés, les parentés remises en question, les fratries en dislocation, l’instance familiale en question l’enfant et l’adolescent deviennent la frange sociale la plus vulnérable en passe de devenir des catégories à risque.

L’après seconde guerre mondiale, avait déjà donné naissance, à toute une série de Colloques et de Congrès, traitant des effets de la Guerre sur les enfants et les adolescents. Beaucoup de psychiatres s’étaient préoccupés du devenir des enfants marginalisés de la guerre. On avait tenté de comprendre les effets de l’évacuation, du placement en nurseries ou dans les familles d’accueil en campagne, ainsi que le problème de la carence affective. Les britanniques ont été parmi les premiers à aborder ce problème sur le terrain du pendant et d’après guerre. Viendront par la suite, les polonais, les allemands et les français.

Beaucoup de pédopsychiatres avaient tenté de démontrer les effets pervers des conflits sur les enfants, mettant l’accent notamment sur la destruction du foyer familial. En Grande Bretagne, le concept de déprivation affective, liée à l’absence du père, tentera d’expliquer certaines prédispositions à la délinquance dans le contexte des bombardements et des évacuations, comme ce fut évoqué dans les travaux de (Winicott, 1943; Freud et Burlingham, 1943).

L’école Autrichienne, avec Grassberger, avait aussi abordé l’idée, d’une délinquance qui se nourrirait de périodes de troubles et d’après guerre. Grassberger aurait en effet identifié une délinquance juvénile due à ce qu’il appellait ‘’ la mobilisation de l’armée de réserve de la délinquance’’. Un concept qui avance l’idée que dans le contexte d’un conflit armé, une foule de mineurs délinquants en puissance, trouveraient dans ces conditions anormales des temps troublés par la guerre, des circonstances favorables à la manifestation de leurs tendances antisociales. Tendances qui selon le scientifique autrichien, n’auraient jamais vu le jour, en temps normal, car elles seraient restées enfouies bien que latentes.

La Pologne qui fut cruellement touché en pertes humaines liées à la guerre, sera aussi confrontée à une horde incessante d’enfants orphelins, abandonnés, vivant dans les rues et sombrant dans la déviance. Ce phénoméne, inaugurera aussi un vaste courant de réfléxion sur la question. Les études de (Szymanska, Zajaczkowsky, et Jaroszynski; 1949etc...) l’aborderont également.
Une étude puisant dans une population à large échantillon d’orphelins, sera faite dans les centres de détention comme celui de Lodz. Malgré un effort intellectuel certain, ces études resteront cependant scientifiquement discutables, du fait de l’utilisation d’outils de recherche et de comparaison quelque peu archaiques.

En France, (Serge Lebovici,1949), dans son ouvrage, sur les enfants de la guerre, relèvera de nombreuses statistiques faisant état de la recrudescence des cas d’inadaptation plus ou moins graves.Il constatera l’augmentation du nombre de délinquants, ceci semblant être un fait quasi général, observé aussi bien dans les pays belligérants, que dans les Nations épargnées par la guerre, pourtant restées neutres. Il notera en effet la présence de nombreuses statistiques faisant état d’une recrudescence des cas d’inadaptation plus ou moins graves.
Les comportements déviants ou antisociaux seront constatés même dans les pays les moins touchés par la guerre (Etats Unis et Suisse). On constatera la persistance de ce phénoméne même après l’Armistice.

Cela se traduira principalement en terme d’agressivité, de comportements « révoltés », voire d’une délinquance « légère » constituée principalement de larcins, de vols ou de petits « délits ». Rien de très sanguinaire en somme, en contraste avec les conflits contemporains qui sont caractérisés par une très grande violence commise par les enfants.

Pourtant ces premières études sur la délinquance de guerre, ne feront pas l’unanimité et des contemporains dont (Bailly,1996) remettront en question les fondements des recherches qui s’étaient faites après la seconde guerre mondiale par ( Heuyer, Lebovici, Marcus-Jeisler, Brosse, Dellaert, etc.),

Lionel Bailly, en se référant à tous les rapports qui ont tenté d’expliquer le pourquoi de cette délinquance juvénile de guerre, considérait que la réflexion était essentiellement basée sur des préjugés. Sans aucun fondement scientifique, ces recherches décrivaient en somme le malaise des adultes et des autorités de l’époque.

La recherche et les Colloques après la seconde guerre mondiale en France et en Europe, tout en ayant témoigné d’une réelle prise en compte du phénoméne de la délinquance d’apres guerre, étaient scientifiquement peu crédibles. Ils exprimairnt avant tout une vision quelque peu alarmiste sous le prisme des mesures éducatives et psychohygiénistes de l’époque.

Pourtant aujourd’hui, il point n’est besoin d’être psychiatre pour comprendre que les enfants touchés par la guerre en ressortent avec une vision déformée de la vie, du Monde et des rapports avec les adultes. Des adultes qui pour beaucoup d’entre eux, ont pu être la cause de leur abandon et de leur misère. Des adultes qui aujourd’hui, vont aussi les manipuler jusqu’à l’embrigadement.
Si aujourd’hui l’ESPT est bien établi chez l’enfant, c’est parce qu’on a finalement admis qu’il survenait en réponse à une confrontation à une situation ou à un évènement exceptionnellement menaçant ou catastrophique, qui provoquerait des ravages psychiques évidents
( Terr,1991). Et cela est déjà une grande avancée en soi, s’agissant de la prise en charge thérapeutique.

Mais les nouvelles guerres, les nouvelles violences, les nouvelles formes de victimisation, mais également ces nouvelles formes d’actions, vont amener de nouvelles responsabilisations et derresponsabilisations de l’enfance.  Introduisant de nouvelles problématiques.
Car si la guerre a évolué, les instruments pour perpétrer sa violence aussi. L’enfant hier victime, est ajourd’hui acteur dans la guerre ( Métraux, 2001). Comment l’entrevoir dès lors? Est il victime  ou coupable? Responsable ou irresponsable? Conscient ou inconscient?

Conclusion: Que faire des enfants vivant la violence au quotidien et agissant par elle?

A l’instar de la recherche sur la maltraitance infantile, la recherche sur les enfants exposés à la violence sociopolitique ne dispose pas du recul temporel suffisant, pour évaluer les effets à long terme, et les manifestations de cette violence lors de la vie adulte. Le concept de durée et de chronicité d’un évènement traumatique, a amené pourtant certains spécialistes à tenter d’identifier les implications diagnostiques sur le long terme. D’autant qu’on a fini par accepter l’idée que l’ESPT classique ne décrivait qu’une partie des pathologies traumatiques enfantines.

Le contexte particulier de ces études, est lié au fait que la chronicité de la violence, se distingue de la violence ponctuelle, tant dans le vécu psychique de l’enfant, que dans son comportement prosocial.
Alors que la ponctualité de la situation de guerre, faisait que l’enfant pouvait établir un « avant et après agression », dans le contexte de la violence sociopolitique, l’enfant vit une situation de violence dans la durée et dans la chronicité.
Ce sont surtout les études sur les répercussions du terrorisme, de la violence politique et le fait de grandir dans les zones de conflits chroniques qui ont interpellé tant les spécialistes que les institutions internationales sur la nécessité d’une prise en charge clinique sérieuse de l’enfance de guerre.
Mais la multiplicité des terrains des conflits et les nouvelles formes de violence qui continuent d’augmenter, ont aussi amené l’extrême complexité de leur prise en charge.

Car chaque guerre, chaque conflit, chaque violence a ses spécificités et ses « pathologies » propres. Beaucoup de spécialistes sur le terrain ont tenté d’établir un « profil national » de la traumatologie de l’enfant, afin d’en identifier les spécificités. Une entreprise qui reste très aléatoire. Les enfants qui grandissent dans un terrain de combats continus, ne bénéficient d’aucune forme de sécurité dans leur environnement. La situation de violence chronique ajouterait en plus des pathologies normales rencontrées dans les guerres conventionelles, d’autres pathologies dont : le retrait par rapport au monde, l’émoussement affectif,et projectif. On parle même d’une forme particulière de L’ESPT, avec le concept de « l’engourdissement psychique » (Sadlier, 2001).

On s’accorde même à penser, selon les études de (Garbarino, Kostelny et Dubrow, 1991;Richter et Martinez,1991,1993)qu’il y aurait une forme spécifique de l’état de stress posttraumatique, chez l’enfant qui subirait la violence dans la durée.

Si l’on ne peut aisément maitriser la clinique traumatique de l’enfant de guerre, peut on pour autant, contrôler son comportement social ?

L’enfant de la guerre, va adhérer à un certain nombre de règles « symboliques » alimentées par un « terrain » qui n’a pas les mêmes normes qu’en temps de paix. Ces règles pourront soit le protéger, soit le détruire en l’exposant davantage. S’il a déjà des prédispositions antérieures à l’agressivité et au goût du risque, alors le terrain des conflits risque de le faire basculer plus facilement dans des comportements dangereux et antisociaux.

Le terrain de la violence qu’il subit le conduit à adopter de nouvelles règles et expériences au travers d’un parcours parfois digne d’un « rite initiatique ». Pour légitimer en quelque sorte, son choix du recours à la violence.
Lorsqu’un acte très violent survient, l’enfant est conduit à réviser ce qu’il pensait jusque là de l’attitude des adultes. Divers mécanismes vont dès lors s’enclencher, expliquant son passage de « témoin/victime » à « acteur/réacteur ».
Cette évolution dans son comportement, sera également le fruit d’un certain libre arbitre, et de l’interprétation qu’il se sera fait de l’évènement. Sa personnalité, ses acquis affectifs et sociaux dans la vie, détermineront si oui ou non il participera au milieu de guerre. Il n’y a donc pas de déterminisme absolu.
Comme nous l’avons indiqué, beaucoup enfants abordant ce terrain, se livreront dans leur inconscient à des fantasmes, à certains désirs d’héroïsme refoulés, à des questions de vengeance plus personnelle, et pourront même s’identifier à leur agresseur. Cette catégorie d’enfants vulnérables, pourra alors réagir en affichant une agressivité inhabituelle, en adoptant des comportements imprudents et autodestructeurs, ou à contrario, se plongera dans une inhibition envahissante.

Mais la plupart se mettront en danger du fait de la répétition inconsciente de certains comportements. Ils remettront en scène le traumatisme qui comportait l’acte violent, qu’ils auraient subi. Une maniére pour eux, de mieux digérer leur choc et le stress ou le trauma qui s’en est suivi.
Il ne faut jamais oublier la part de ludique dans la psyché enfantine. L’enfant en temps normal aime à jouer à la guerre et dans un contexte de conflit réel, la charge émotionnelle est telle, que parfois il en perd tout sens des réalités. Alimenté par des modéles « d’identification » et des rites initiatiques et des modèles « d’apprentissage », par le poids du mimétisme et de l’influence des pairs, il pourrait en ultime recours, basculer dans la violence
. La simple survivologie de guerre pourrait également le pousser à prendre part dans les conflits. La guerre, est pour beaucoup de jeunes, un terrain exutoire qui outre le fait de libérer certains besoins refoulés, met en scène des pulsions libidinales et mortifères inavouées. Elle est paradoxalement aussi, le foyer et la famille perdue, l’identité et les repères sociaux en déliquescence.
Mais elle est avant tout très grave, elle signifie pour les psychologues, une « cassure morale » profonde qui pourrait se véhiculer de la puberté à l’âge adulte.
Pour nous criminologues, l’enfant de la guerre est avant, tout le produit d’un milieu, mais il est aussi le fruit de son libre arbitre.
Comprendre le pourquoi et le comment de sa violence induirait une compréhension enracinée dans l’interaction de nombreux facteurs explicatifs : biologiques, sociaux, culturels, économiques et politiques. Dire pourquoi et comment ? Identifier l’enfant en passe de devenir un acteur de la guerre, reste très complexe.

Tout ce qu’il est important de retenir c’est que la mécanique de destruction qui inclut les actes d’hostilité envers un individu ou groupe, se mesure en fonction du taux de socialisation et d’expérience de vie de l’individu. Car il ne faut pas oublier que la guerre et sa violence déshumanisée, entrent de plain pied dans un contexte d’intimidation et de terreur. Et ce  sont donc dans les contextes où la vie humaine perd de sa valeur, que la moralité sociale entre en pleine déliquescence. Si l’on suit ce schéma, alors il est très probable qu’un grand nombre d’enfants deviennent exclus car déstructurés sur le plan familial et social. Ils évolueront en « hors la loi », ils se condamneront alors,  à l’exclusion et au rejet.

 

Contact : Fériel Berraies Guigny
ferielbg@gmail.com

Lien sur les interventions  en criminologie de Fériel Berraies Guigny :
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Source : Fériel Berraies Guigny


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