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L'EXPRESSIONDZ.COM
LANCEMENT DE L’UNION POUR LA MÉDITERRANÉE
Paris vaut-il une messe ?
N. Krim
Photo RIA Novosti
19 juin 2008 Paris joue gros et un échec de
son «Sommet» signera les funérailles de la diplomatie française.
Le président français, Nicolas Sarkozy qui
porta en «gestation» le projet de l’Union méditerranéenne
- devenue, par le vouloir de la puissante et intransigeante
chancelière allemande, Angela Merkel, «Union pour la
Méditerranée» - joue son crédit dans une partie difficile
dont il ne contrôle ni ne maîtrise, c’est le moins qui puisse
être dit, toutes les pièces du puzzle. Et pour cause! Dès le
moment où la Commission européenne s’est emparée du projet et
l’a remanié aux normes et à l’aune de l’Union européenne,
c’était l’officialisation de la mort du «grand» projet
sarkozien dans son module initial. Mais le problème n’est déjà
plus là dès lors que le dessein du président français a été
repris, et profondément modifié, par l’Union européenne qui en a
fait un succédané en vue de «redynamiser» un Processus de
Barcelone, en cale sèche. En fait, la question se pose toujours:
pourquoi l’Union pour la Méditerranée. Quelle Union, pour qui,
et quelle plus-value les pays sud-méditerranéens doivent-ils en
attendre? Ce sont ces «clarifications», outre celle
concernant la place d’Israël dans le processus méditerranéen,
qu’Alger, en particulier, n’a cessé de demander à la partie
française sans que les réponses apportées soient satisfaisantes,
comme l’indiqua le chef de la diplomatie algérienne, Mourad
Medelci, lors du Forum d’Alger qui eut lieu au début du mois
courant. Les intérêts des pays de la rive Sud, en fait les pays
arabes, sont-ils pris en compte et protégés? Ces partenaires
arabes ont-ils été consultés, ne serait-ce que sur la «faisabilité»
du projet d’Union? Il y a comme un doute lorsque l’on voit la
manière autoritaire avec laquelle la chancelière allemande
Angela Merkel avait opposé une fin de non-recevoir à un projet
dans lequel elle voyait le germe de la division entre les
Européens du Nord et du Sud et la mise à mal de l’Union
européenne. Elle eut gain de cause. On constate en revanche que
les Arabes n’ont pas eu leur mot à dire dans un projet qui s’est
réduit à une affaire euro-européenne. Il est superflu de
souligner que les pays du «Sud» n’ont eu aucun droit de
regard dans cette petite cuisine franco-allemande. De fait, le
projet revu et corrigé par Mme Merkel, porte désormais le nom
officiel de «Processus de Barcelone: Union pour la
Méditerranée». Ceci pour dire le peu de cas fait des pays «sudistes»,
desquels on attend uniquement l’approbation aux idées et
propositions venant du Nord et aussi qu’ils ne gâchent pas la
fête du 14 juillet.
Israël dans le même processus que les
Arabes
Aussi, Nicolas Sarkozy, malgré son recul face à Angela Merkel,
préfère encore cette «UPM» tronquée et ne répondant pas
totalement à ses aspirations - du moins pour ce qui est de «l’estampille
de fabrique» - dans laquelle il ne perd pas au change, dans
la mesure où l’important, aux yeux du président français, reste
«l’intégration» d’Israël dans le même processus que les
pays arabes. Dès lors, la question nodale est et reste la place
d’Israël dans le puzzle méditerranéen, imaginé par Sarkozy, à
moins que toute cette stratégie n’a pour finalité que d’imposer
l’Etat hébreu aux pays arabes récalcitrants, ou qui tardent à «normaliser»
leurs relations avec Israël, alors que la question de la
création de l’Etat palestinien est chaque jour renvoyée un peu
plus dans les limbes du futur. Le chef de la diplomatie
française, Bernard Kouchner, indiquant que le Premier ministre
israélien, Ehud Olmert, et le président syrien, Bachar Al Assad,
seront côte à côte à Paris. Ce qui n’empêche pas M.Kouchner,
réagissant à la polémique induite par l’invitation faite à
M.Assad, de déclarer à la radio Europe 1 que la venue de Assad
ne «l’amuse» pas, indiquant avec morgue: «Moi, ça ne
m’amuse pas spécialement (...) Mais je pense que si on fait
l’Union de la Méditerranée et si les Israéliens parlent aux
Syriens en ce moment, ne faisons pas les malins.» Ce qui
explique beaucoup de choses.
Aussi, pour le président français, réunir autour de lui à Paris
une brochette de dirigeants arabes assis à la même table qu’Ehud
Olmert...serait une grande réussite. Or, des pays arabes
s’estiment en guerre avec Israël, tant que le peuple palestinien
n’aura pas été rétabli dans ses droits, recouvré ses terres et
sa liberté confisquées par Israël depuis 60 ans. M.Sarkozy a
ignoré cet aspect du problème et peu réfléchi à un dossier
directement lié au sort du peuple palestinien, SDF dans son
propre pays, occupé et colonisé par Israël alors que la
judaïsation de Jérusalem-Est s’accélère, que l’expansion des
colonies en Cisjordanie bat son plein et la menace de
bantoustanisation de ce territoire laisse peu de chance à l’Etat
palestinien d’être jamais créé. Il est évident que des chaises
risquent fort de demeurer vides le 13 juillet. Vous imaginez
Bouteflika assis à la même table qu’Olmert? On ne peut
l’imaginer pour notre part et aucun Algérien ne «voit» le
président de la République algérienne assis face au Premier
ministre israélien et cohabiter avec lui - hors des instances de
l’ONU - dans une organisation régionale. Expliquant son projet,
le président français a déclaré au Figaro (6 mars 2008) que «tous
les pays membres de l’Union européenne (ils sont 27) et tous les
pays riverains de la Méditerranée pourront participer». A
quel titre Israël certes riverain de la Méditerranée - qui n’est
membre ni de l’Union européenne (UE) ni du Conseil de l’Europe
(CE) - (ce qui est le cas de la Turquie, membre du CE) - et
encore moins de la Ligue arabe - peut-il prendre part à une
organisation qui va regrouper un ensemble, l’UE, avec des pays
membres d’un autre ensemble, la Ligue arabe? L’Appel de Rome (20
décembre 2007) affirme que «convaincus du fait que la
Méditerranée, creuset de cultures et de civilisations, doit
reprendre son rôle de zone de paix, de prospérité, de tolérance,
le président de la République française, le président du Conseil
des ministres de l’Italie et le président du gouvernement de
l’Espagne se sont réunis à Rome le 20 décembre 2007 pour
réfléchir ensemble aux lignes directrices du projet d’Union pour
la Méditerranée. L’Union pour la Méditerranée au-ra pour
vocation de réunir Europe et Afrique autour des pays riverains
de la Méditerranée et d’instituer un partenariat sur un pied
d’égalité entre les pays du pourtour méditerranéen».
De quelle «égalité» et de quel partenariat parle «l’Appel
de Rome» quand ce sont les Européens qui se réunissent entre
eux pour réfléchir et définir les «lignes directrices» du projet
en l’absence de représentants du Sud et de l’Est de la
Méditerranée, outre le fait que nous avons d’un côté, un bloc
uni et solidaire (l’Union européenne) face à des pays arabes
désunis qui partent à l’aventure dans un processus à la
réflexion duquel ils n’ont pas été associés et dont les
objectifs réels restent vagues.
Enorme fossé entre le nord et le sud de
la Méditerranée
Or, le fossé entre le développement scientifique, technologique,
industriel, agricole de l’Union européenne par rapport à la rive
Sud de la Méditerranée est tel que ce serait une véritable
mystification que de prétendre construire entre ces deux entités
(l’Europe et les pays arabes riverains de la Méditerranée) un
vrai partenariat politique ou encore de mettre en place des
sortes de marchés communs comme il en existe en Amérique latine
(Mercosur), en Amérique du Nord (Alena), en Asie (Asian) ou même
le Marché commun européen. Mais, à l’évidence, nous n’en sommes
pas là et aucun de ces schémas ne s’applique au projet «UPM».
Alors quelle est sa finalité? Selon les déclarations de
responsables européens - notamment celle du ministre français de
l’Environnement, Jean-Louis Borloo, lors d’une récente visite à
Alger -, la priorité est donnée au domaine environnemental et
scientifique:lutte contre les aléas climatiques, dépollution de
la mer Méditerranée, agroalimentaire, énergie solaire, outre le
volet éducationnel et les échanges culturels. Ce qui ne
correspond pas nécessairement aux préoccupations du Sud, en
manque de développement et ayant besoin de redynamiser son
économie, mettre à niveau son industrie, revaloriser son
agriculture. Est-ce que les initiateurs du projet UPM, en ont
discuté avec leurs partenaires de la rive Sud? On en doute,
d’autant plus que c’est au niveau de la Commission européenne
que s’est effectuée la «reconfiguration» de l’Union pour
la Méditerranée. Or, l’activisme français débordant ne peut
faire oublier que tout n’a pas été dit sur cette Union, et que
les pays arabes, notamment l’Algérie, attendent d’autres
explications plus en phase avec les demandes de nos pays. Ces
explications seront-elles fournies par François Fillon, attendu
à Alger le 21 et 22 juin? S’exprimant devant le Think Tank «The
Center», (Bruxelles, 26 février 2008), Jean-Pierre Jouyet,
secrétaire d’Etat français, chargé des Affaires européennes,
déclarait: «La Méditerranée est aujourd’hui une frontière
déterminante pour l’Union européenne. (...).Maintenant, il est
clair que nous devons faire cela en associant pleinement tous
les membres de l’Union européenne qui souhaitent participer à
cette aventure (...)» Il s’agit en fait de compléter «l’imperméabilité»
de cette frontière ultime de l’UE qu’est la Méditerranée, et
l’un des rôles assignés à l’Union pour la Méditerranée est
d’être le dernier rempart qui conforte la sécurité de l’Europe.
De fait, beaucoup d’inconnues limitent la visibilité et la
lecture d’un projet dont le flou est savamment entretenu. Il est
patent toutefois que nombreux sont les responsables arabes qui
seront présents le 13 juillet à Paris. A juste raison, Antoine
Basbous, de l’Observatoire des pays arabes, note dans Le Figaro
(17 avril 2008) que «la principale préoccupation de ces
dirigeants (arabes) n’est pas d’intégrer un club de démocraties
méditerranéennes, mais de sanctuariser leurs régimes et de
maintenir leurs clans au pouvoir (...) Donner la liberté à leur
peuple, instaurer un État de droit ou offrir à leur jeunesse une
véritable perspective, cela n’est pas à l’ordre du jour».
D’où l’empressement de certains d’entre les dirigeants arabes à
adhérer au projet «UPM» sans autre garantie que les
imprudentes promesses de Sarkozy selon lesquelles l’un aura la
coprésidence, l’autre le siège de l’Union et le troisième le
secrétariat de l’organisation.
Pourquoi pas, du moment que ces dirigeants aiment que l’on
flatte leur ego. Mais, peut-on se demander, Paris vaut-il une
messe?
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Publié le 19 juin 2008 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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