Opinion
Le combat pour la
liberté ne fait que commencer,
les manipulations continuent... Mais la Tunisie vaincra !
Mohamed Ali Khelil
Mercredi 2 février 2011
Beaucoup, parmi ses enfants, s’inquiètent pour la Tunisie
après plusieurs semaines de révoltes et de manifestations.
Au lendemain du 14 janvier 2011, les prévisions et
affirmations catastrophistes se suivent et ne se ressemblent pas
: « Moody’s vient de baisser la note du pays » ; « les
opérateurs de tourisme ont suspendu les vols » ; « la croissance
tunisienne va perdre 2 ou 3 points cette année » ; « les
événements ont couté 3 milliards de dinars » ; « les islamistes
vont s’organiser dans le pays pour prendre le pouvoir » etc.…
Cette longue litanie de mauvaises nouvelles, maintes fois
rabâchée et souvent égrenée sur un ton à la fois scandalisé et
atterré, ne parvenait pas à briser mon euphorie, ma joie de voir
mon pays libéré du joug tyrannique de la dictature.
Mais ce qui m’a vraiment horrifié et a fait disparaître ma
joie, ce sont les événements qui ont eut lieu autour de la
Kasbah les 27 et 28 janvier… Ces événements m’ont fait prendre
conscience que la Révolution est loin d’être finie : nous sommes
en guerre pour notre liberté. Et nos « ennemis » dans cette
guerre sont les fidèles à l’ancien régime qui ont beaucoup à
perdre dans cette révolution.
L’ennemi a tenté d’appliquer une des plus vieilles ruses de
l’histoire humaine pour tirer son épingle du jeu et tenter de
renverser la situation : Diviser pour mieux régner !
Ils ont tenté de briser l’unité du Peuple tunisien, opposer
Nord et Sud, créer la division entre les citoyens et les faire
s’opposer pour masquer la mascarade que représentait le 1er
gouvernement de transition (dominé par des hommes du RCD proches
de ZABA).
Leur première tentative pour nous opposer les uns aux autres
a été de jouer sur les régionalismes et sur le
mépris/dédain/ignorance qu’on parfois les citadins envers les «
campagnards ». Ils ont voulu ridiculiser la Caravane de la
Liberté (pour les profanes, il s’agit du nom donné aux
manifestants regroupés sur l’esplanade de la Kasbah, venus à
pied de toutes les régions de la République, et particulièrement
du centre de la Tunisie [Sidi Bouzid, Gasserine, Thala etc…]).
Ils ont échoué une première fois !
Ils ont échoué car les « tunisois » n’ont pas cru à la
propagande répandue par les miliciens du RCD. Une propagande
honteuse qui a qualifié nos compatriotes « d’hordes de barbares
sales qui viennent se saouler et fumer du cannabis sous nos
fenêtres », « d’animaux ivres qui forniquent contre le mur de
nos mosquées ». La police elle même a contribué à colporter ces
mensonges éhontés (et je m’appuie pour étayer ces affirmations
sur l’Ordre National des Avocats de Tunisie et la centaine de
mes confrères qui ont été ainsi dissuadé par les forces de
sécurité de rejoindre les membres de la Caravane de la liberté).
Ces policiers ont-ils agi sur ordre d’une hiérarchie fidèle
au 1er ministre Ghannouchi ? J’en doute.
Mais la collusion entre la police et le groupement que
j’appelle « les miliciens du RCD » (à défaut de lui trouver un
meilleur nom) est flagrante et inquiétante!!
Dieu merci, les tunisiens ont su faire preuve d’une force de
caractère inouïe pour faire face à cette situation. Après un
premier mouvement de panique, la population de la capitale s’est
organisée et a tentée d’apporter soutien, ravitaillement, et
encouragements à ces manifestants de la liberté. Leur tâche n’a
pas été facilitée par les forces de l’ordre (armée y compris)
qui ont filtré les déplacements et confisqué une quantité non
négligeable de l’aide destinée aux manifestants.
Dormant à la belle étoile (en plein hiver !!) et réclamant
avec constance le départ des ministres proches de ZABA (y
compris Mohamed Ghannouchi), ces manifestants d’un genre
particulier ont éveillé la curiosité des habitants de Tunis.
Beaucoup de « tunisois », qui aspiraient à reprendre le cours
de leurs vies et réclamaient la veille encore la fin de la «
Dégage Attitude », ont été intrigué par ces manifestants têtus
et bornés qui ont marché plusieurs centaines de kilomètres et
qui ont bravé plusieurs nuits d’affilés le couvre-feu pour
réclamer la tête des RCDistes.
Certains de ces « tunisois » ont franchi le pas et ont été à
la Kasbah pour voir par eux-mêmes cette fameuse Caravane… Quelle
ne fut pas leur surprise lorsqu’ils ont pris contact avec les
tunisiens de la caravane de la liberté : ils se sont aperçus
qu’il s’agissait de gens dignes, éduqués, respectables… rien à
voir avec les animaux décris par les rumeurs… Et ce sont ces «
tunisois » (dont parmi eux multitude de médecins et d’avocats)
qui ont permis grâce à leurs témoignages de rétablir la vérité
sur cette Caravane de la liberté.
Sous la pression de ces manifestants et de l’UGTT, le
gouvernement de transition à été purgé des RCDistes et
Benalistes.
Seulement voilà, Mohamed Ghannouchi a été maintenu. Et pour
la plupart des manifestants de la Kasbah, Ghannouchi est comme
les autres RCDistes (11 ans comme 1er ministre !). Même s’ils
étaient globalement divisés sur la question, une majorité des
manifestants penchaient pour continuer le mouvement jusqu’au
départ de Ghannouchi… Ils pouvaient et voulaient faire durer le
bras de fer pacifique.
Je différai sur ce point avec leur analyse politique de la
situation : depuis le remaniement du gouvernement de transition
du 27 janvier 2011, je n’étais plus en phase avec leur volonté
de dégager M. Ghannouchi.
Mohamed Ghannouchi est à mes yeux un mal nécessaire.
Je n’ai que peu de sympathie pour l’homme lui-même, et
j’espère qu’il peut se regarder tous les jours dans une glace
sans rougir de honte devant son passé de vil serviteur décérébré
de dictateur.
Mais Mohamed Ghannouchi a pour lui une qualité importante
pour notre pays au vu des circonstances : c’est un technocrate
doué (Je ne me prononcerai pas sur son éventuelle intégrité ou
honnêteté dont nombreux de ses partisans nous rabâchent les
oreilles, j’attendrai pour cela les résultats d’une Commission
d’enquête nationale indépendante…).
Alors soit, Mohamed Ghannouchi a été le suppôt du « Satan »
Ben Ali pendant les 11 dernières années et beaucoup ne veulent
pas le lui pardonner. Mais la Tunisie a besoin aujourd’hui d’un
technocrate zélé qui puisse mener à bien la période de
transition.
C’est pourquoi je pensais proposer à mes compatriotes une
solution intermédiaire : Nous, Peuple tunisien, donnons à
Ghannouchi une chance de racheter sa conduite des années
précédentes. Il va subir une sorte de purgatoire, une mise en
liberté très surveillée. 10 millions de tunisiens vont scruter
le moindre de ses faits et gestes. Et il devra payer de sa vie
la moindre trahison à cette confiance.
C’est à ce moment là de mes réflexions que la répression
contre la Caravane de la liberté est intervenue.
J’ai pensé à cet instant (comme beaucoup de mes compatriotes)
: « C’est dommage de renier à ces gens le droit de manifester
pacifiquement leur désaccord! J’étais d’accord avec leurs
revendications pour dégager les ministres RCD trop proches du
président déchu. Mais les traiter comme ça et les pourchasser à
travers la ville alors qu’ils ne font qu’exercer leur droit de
manifester (ils n’ont empêché personne d’aller travailler),
c’est honteux!! ».
Mais les témoignages de médecins et d’avocats sur la violence
de l’intervention des forces de l’ordre qui a dispersé manu
militari cette foule pacifique sont tout simplement surréalistes
!!!
Violences gratuites, tentatives de poursuite jusque dans les
couloirs de l’hôpital Aziz Othmana, dégradation des biens
publics pour faire croire à un saccage par les manifestants,
agression contre la maison des avocats (Dhar el mouhami) où mes
confrères ont tenté de protéger certains manifestants,
disposition de fausses preuves (notamment des stupéfiants, cf.
le témoignage du Docteur Sami Ben Sassi) dans les effets
personnels abandonnés par les manifestants sur place etc.… La
liste est longue et horrifiante. Pire, on y apprend une
complicité passive d’éléments de l’armée sur place qui ont
laissé les manifestants se faire tabasser.
Et la seule question logique qui vient à l’esprit est : QUI
??? Qui a osé faire ça??
Qui a donné cet ordre ? Qui se cache derrière ces agissements
que la Tunisie pensait disparus avec le départ de ZABA ?
Ma première réaction a été de rejeter la faute sur le
gouvernement de transition.
« Le gouvernement de transition et les forces de sécurité »,
me suis-je dis, « doivent se rappeler qu’ils sont là pour servir
et protéger le peuple… Si c’est Ghannouchi qui a donné l’ordre,
alors il s’est comporté comme ZABA aurait pu le faire dans les
mêmes circonstances… ».
Puis une autre hypothèse m’est très vite apparue… Une
hypothèse qui s’est renforcée d’heure en heure avec l’afflux de
témoignages et de confidences : la véritable cible « finale » de
ces événements, c’est le gouvernement de transition nationale
lui-même.
Au lendemain d’une mise à l’écart des caciques du RCD du
gouvernement, l’intervention inhumaine d’une unité spéciale de
la police (la tristement célèbre BOP, Brigade de l’Ordre Public,
qui a fait 4 morts et plusieurs centaines de blessés à la
Kasbah) contre des manifestants que tout le monde savait
pacifiques a choqué l’opinion publique. Tout le monde s’est
demandé à quoi jouait le Ministre de l’intérieur à jeter ainsi
de l’huile sur le feu. Une partie de l’opinion publique acquise
au gouvernement de transition a été interloquée et a commencée à
se poser des questions sur les agissements dudit gouvernement.
C’est encore une tentative de manipulation !
Après l’échec de la première tentative de manipulation qui a
voulu faire passer ces manifestants pour des sauvages, les
milices du RCD ont tiré profit de l’éviction des ministres
RCDistes lors du remaniement : maintenant que le gouvernement de
transition nationale est épuré des proches de ZABA (hormis
Ghannouchi), toutes les actions officielles des appareils de
l’Etat seront imputées à la nouvelle équipe gouvernementale !
Or selon tous les témoins et sources civiles présents sur la
place du Gouvernement à la Kasbah, l’encerclement de la place
par le BOP datait du 26 janvier (un jour avant le remaniement),
alors qu’Ahmed Friaa était encore ministre de l’intérieur !
L’opération semblait donc planifiée avant le remaniement…
Ai-je besoin ici de rappeler la puissance et l’omniprésence
du RCD au sein des administrations étatiques, et
particulièrement au ministère de l’intérieur ?
Quelqu’un doute-t-il de l’existence d’un appareil d’Etat
RCDiste fidèle à ZABA au sein de l’administration tunisienne ?
Cela semble-t-il si peu vraisemblable que le nouveau ministre
de l’intérieur (nommé la veille) ne contrôle pas l’ensemble des
effectifs de son ministère qui ont servis avec autant de zèle
ZABA ?
Se pose alors la question du POURQUOI ?
Pourquoi ces milices agissent-elles ainsi ? Pourquoi les
personnes qui composent ces milices continuent-elles à obéir à
un parti rejeté massivement par le peuple ?
Leurs motivations sont aussi diverses que leur composition et
leur statut social.
Certains agissent ainsi pour sauvegarder leurs positions ou
acquis liés au régime ZABA. D’autres veulent tout simplement
garder leur liberté et éviter la prison : tout les tortionnaires
(et Dieu sait qu’ils sont nombreux) qui ont maltraité et humilié
le Peuple tunisien, que ce soit par le passé ou durant la
Révolution. Tout les corrompus, qui ont contribué au pillage du
pays et/ou qui ont parasité par la « Rachoua » les efforts des
citoyens tunisiens… Et je n’aborde même pas le cas de ceux qui
ont du sang sur les mains !
Toutes ces personnes savent qu’à court terme, en cas de
succès de la Révolution, elles feront l’objet d’enquêtes et de
procès (que ce soit sur le modèle des procès de Nuremberg ou à
travers la Cour Pénale Internationale) où la justification des
actes par l’obéissance aux ordres (particulièrement pour la
torture et les meurtres) sera caduque…
Nous, tunisiens, ne devons pas les laisser faire. C’est notre
devoir de nous y opposer !
Pour notre pays, pour nos enfants, pour nos martyrs, pour
notre honneur… Pour tout autant de raisons différentes, nous
devons résister, garder la tête haute et ne pas nous laisser
berner !
Ni la menace physique, ni la menace économique ne doit nous
restreindre de réclamer et obtenir notre dû : La Liberté, la
Démocratie, la Dignité !
Nous devons prendre conscience de ces manipulations pour les
dénoncer (comme je le fais ici) et nous devons nous entraider
pour venir à bout de ce danger.
A Mr. Mohamed Ghannouchi, j’aimerai adresser ce
message :
Arrêtez d’avoir peur ! La peur a changé de camp au soir du 14
janvier et le Peuple n’a plus peur, nous n’avons plus peur de
rien.
Appuyez vous sur le Peuple pour neutraliser ces milices qui
ont infiltré l’ensemble de notre société.
Appuyez vous sur le Peuple pour démanteler l’appareil d’Etat
RCDiste laissé par l’ex-dictateur et qui cherche à jeter le
discrédit sur la nouvelle équipe gouvernementale.
Nous les pourchasserons et nous les mettrons en échec comme
nous les avons mis en échec les soirs de veilles populaires
lorsqu’ils tentaient de piller nos maisons et plonger le pays
dans le chaos.
Appuyez vous sur le Peuple pour relancer l’économie et
préserver la croissance. Mohamed Bouazizi et beaucoup de martyrs
ont souffert du chômage, n’oubliez jamais cette revendication
économique d’une population qui veut travailler.
Ne nous mentez pas ! Dites nous lorsque vous ne maîtrisez
plus les évènements ! Le Peuple saura vous soutenir au nom du
bien suprême de la Nation.
Et surtout, n’oubliez jamais plus que votre allégeance va au
PEUPLE, pas à une personne physique particulière ou un parti…
Vous êtes le garant de l’intégrité physique de la population :
vous ne devez donc pas faire couler son sang.
A mes amis et au Peuple de Tunisie, j’aimerai dire :
Nous avons tous tremblé de peur pour nos proches lorsque la
police et les snipers tiraient dans la foule. Nous avons tous
hurlé de joie en apprenant le départ de Ben Ali. Nous avons tous
été choqué par les pillages qui ont suivis. Nous sommes tous un
peu de Sidi Bouzid/Gasserine/Thala/Kef/Sfax/Zarzis etc. Nous
avons tous un peu de Mohamed Bouazizi en nous. Nous sommes tous
Tunisiens.
Et, pour le moment, nous sommes tous libres.
Mais la révolution n’est pas finie, loin s’en faut ! Elle ne
fait que commencer !
Nous entrons dans une période où les manipulations deviennent
de plus en plus vicieuses et difficiles à déceler (et a fortiori
à contrer). Nous nous devons d’être vigilant et de lutter contre
les agissements des milices du RCD qui veulent faire régner le
chaos et nous opposer les uns aux autres. N’ayez aucune
confiance dans les institutions car elles sont gangrenées par le
RCD.
Faites votre devoir de citoyen en dénonçant tout abus commis
devant vous ou contre vous.
Nous devons nous opposer par tous les moyens possibles à un «
vol » de la Révolution ou à un retour en arrière, un retour aux
anciennes pratiques !
Nous devons préserver pour nos enfants cette liberté si
chèrement payée avec le sang des martyrs…
Mais cette opposition ne doit pas systématiquement signifier
descendre dans la rue. Le temps de la rue est à mon avis
théoriquement achevé. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas
descendre manifester notre mécontentement dans la rue si l’on a
l’impression de se faire voler NOTRE révolution… Non, nous
devons tous être prêt à cela, quelle qu’en soit les
circonstances et le prix à payer ! Mais ce type d’expression
doit rester rare et utilisée uniquement en cas d’extrême
urgence, en dernier recours !
Si nous voulons préserver notre pays du chaos et de
l’islamisme politique (même modéré), nous devons relancer
l’économie. Travailler et être productif deviens dans ces
conditions une nécessité nationale, un acte patriotique. Et
investir en Tunisie deviendra une marque de confiance dans le
succès (inévitable) de la démocratie…
Ne perdons pas de vue ce qui nous unis et luttons tous
ensemble contre ceux qui nous divisent.
Merci de partager si vous agréez, merci d’argumenter si vous
désapprouvez.
Mohamed Ali Khelil Charef
Avocat opérant dans le domaine du commerce international,
Mohamed Ali est né en juin 1981 à Tunis. Après un Maîtrise de
Droit International et Européen à l’Université des sciences
sociales de Toulouse, et un Master de Droit International
Comparé des Pays Arabes à l’Université Panthéon-Sorbonne, il est
inscrit auprès du barreau de Tunis depuis mars 2009.
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