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Opinion
Ben Ali contre le peuple tunisien
Gilles Devers

Le 28 décembre 2010,
Ben Ali au chevet de Mohamed Bouazizi
Une justice digne de son nom aurait décerné un mandat d'amener à
son encontre
Jeudi 6 janvier 2011
Les Tunisiens vont-ils parvenir à se débarrasser du dictateur
Ben Ali, le grand ami des pays occidentaux ?
N’importe quel autre dirigeant aurait été dézingué de longue
date par les belles âmes qui nous gouvernent. Mais Sarkozy,
comme Chirac, adore Ben Ali. Les visites présidentielles en
Tunisie n’ont été que de sinistres provocations. Le Parti
Socialiste fait semblant d’agiter ses petits bras, mais il est
sur la même ligne. Ben Ali est un bon gars qui fait régner
l’ordre, et impose à son peuple le rôle du gentil sous traitant
institutionnel de l’ancienne puissance coloniale. Alors chez
ceux qui de longue date ont fait le choix de l’ordre contre
celui de la justice, c’est un héros. Ben Ali, un brave arabe
absent de toutes les causes arabes...
Le régime ne tient pas par son économie ou sa société, mais par
le contrôle policier qu’impose Ben Ali depuis 1987, avec des
élections bidon saluées comme des réussites par les pays
européens. Il suffit de s’écarter des grands axes, des centres
touristiques, et des alignements d’immeubles beaux comme la
Silicon Valley pour sentir l’air puant de la dictature
policière. Allez dans les banlieues, ou l’arrière pays, restez
quelques heures dans les cafés, regardez la télévision d’Etat.
Glissez-vous dans un congrès médical, et allez discuter à côté
de la salle officielle. Observez les réponses gênées des
salariés des hôtels qui ne veulent parler de rien d’autres que
du soleil, des épices ou des beautés du pays. Et n’oubliez pas
les préfectures et les sous-préfectures, couvertes de photos de
Ben Ali, comme les locaux de permanence électorale. La Tunisie
est un Etat policier, au service de l’enrichissement d’un clan.
Le régime joue sur sa soit-disante lutte contre l’islamisme pour
obtenir les grâces absolues des occidentaux, et tout se
permettre contre son peuple.
Loin du miracle économique, la société se scinde sous les coups
de l’injustice économique et de la répression. Le peuple
tunisien est grand, et la société n’a jamais abdiqué de rien. La
pensée libre n’a jamais été contenue sur les campus
universitaires ; le barreau ne cesse de se battre, procès après
procès ; le syndicalisme vit, sous les structures étouffantes
qu’impose le pouvoir ; la jeunesse se forme, étudie et tire
d’Internet tout ce qu’elle peut pour échapper aux flics.
Ben Ali n’a jamais pris le risque de vraies élections, car il
serait balayé. Gbagbo a accepté le jeu électoral. Ben Ali n’est
pas assez courageux. Et ceux qui font les matadors devant Gbagbo
n’ont pas un mot à dire à Ben Ali.
Quand la situation est explosive, une étincelle peut mettre le
feu.
Cette étincelle, c’est l’histoire de Mohamed Bouazizi, ce jeune
vendeur de fruits et légumes, âgé de 26 ans, qui s'était immolé
le 17 décembre à Sidi Bouzid, dans le centre du pays. Un chômage
endémique et une famille à nourrir. Mohamed s’est essayé à
vendre dans la rue des fruits et légumes, sur sa carriole. Pas
d’autorisation : la police a embarqué ce qui permettait à une
famille de survivre. Mohamed s’est rendu à la préfecture, pour
rencontrer quelqu’un : niet. Il s’est immolé, et il est décédé
hier.
Lors des funérailles, 5 000 personnes étaient réunies, dénonçant
cette injustice qui fait mourir. Les manifestations se répandent
dans le pays, mêlant la lutte contre l’injustice sociale et la
revendication des libertés. Ben Ali a repris sa tronche des
mauvais jours pour dire que « la loi sera appliquée avec
fermeté ». Appliquer la loi… Un jour, la loi sera appliquée
contre toi, Ben Ali. C’est tout ce que je te souhaite.
Pour ce jeudi, on attend de nouvelles manifestations. Les
réseaux cherchent à se constituer. Les avocats ont annoncés
qu’ils seraient en grève. Tous les démocrates rêvent d’un
dénouement, avec des forces qui parviendraient à renverser le
dictateur honni, qui ruine son peuple pour mieux enrichir ses
proches. Parviendront-ils, alors qu’il y aura un flic pour
chaque manifestant, à créer le rapport de forces ?
Avec un courage infini, les Tunisiens seront aujourd’hui devant
celui qui usurpe le pouvoir. Si je savais que faire pour leur
donner le moindre coup de main…
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