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Opinion
L'Intifada tunisienne
Corinne Quentin
Mercredi 5 janvier 2011
À la suite de l’immolation par le feu d’un jeune chômeur
le 17 décembre, se déroule en Tunisie la révolte la plus
importante depuis les « émeutes du pain » de 1984.
L’Intifada tunisienne est née dans un contexte de paupérisation
de la population et de chômage de la jeunesse, notamment
diplômée.
Face à cela, une première réaction a été la fuite dans
l’émigration, et pour des destinations qui en disent long,
l’Algérie étant devenue pour certaines populations frontalières
une terre d’exil économique. Une seconde conséquence a été le
suicide de jeunes chômeurs dont plusieurs par immolation (onze
suicides de chômeurs pour la seule ville de Bousalem en 2010).
Une troisième en a été une remontée des luttes ouvrières, avec
un pic de grèves en mars dernier et des révoltes pour l’emploi
et contre le chômage. Ces dernières ont notamment secoué de
janvier à juin 2008 la région du bassin minier de Gafsa-Redeyef
et, en 2010, la ville de La Skhira ainsi que la région de Ben
Guerdane.
Dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, une région agricole, les
paysans de Regueb ont les premiers occupé les terres dont ils
étaient menacés d’être chassés en juin dernier par les banques.
Regueb, d’où vient la famille du jeune Bouazizi dont
l’immolation, le 17 décembre, a été l’étincelle qui a mis le feu
à la Tunisie.
Le mouvement est parti du centre du pays, mais actuellement la
population manifeste partout spontanément pour l’emploi. Y
participent de nombreux diplômés chômeurs et des syndicalistes.
Le mouvement s’est élargi aux avocats, catégorie en pointe dans
la lutte contre la dictature, et la reprise des cours devrait
permettre l’entrée en lutte des lycéens et des étudiants, promis
au chômage. Les manifestants réclament des emplois. Ils
dénoncent la corruption, le parti au pouvoir, la « Trabelsia »,
c’est-à-dire la famille au pouvoir qui a pillé la richesse du
pays. Ils exigent le départ de Ben Ali, président depuis 23 ans.
Des locaux honnis sont attaqués, mis à sac ou incendiés :
police, garde nationale, stèles érigées à la gloire de la
dictature, locaux des chefs-lieux de délégations.
La réponse du pouvoir est la même depuis 23 ans : déploiement
policier, arrestations, torture, procès et agressions physiques,
notamment des journalistes et des avocats voulant briser
l’omerta. Mais la révolte spontanée s’est transformée en
résistance. Trois semaines après le déclenchement du mouvement,
les populations continuent de descendre dans la rue, malgré les
morts, les blessés et l’état de siège et en dépit de la
faiblesse, voire de l’inexistence de l’auto-organisation.
La seule force qui maille le pays, faute d’opposition en
capacité de le faire, est l’UGTT, la centrale syndicale unique.
On retrouve en pointe dans les mobilisations les mêmes
fédérations que celles qui avaient pleinement soutenu les
inculpés de Gafsa-Redeyef : enseignement, poste et
télécommunications, certains secteurs de la santé, etc. Nombre
d’unions locales et régionales soutiennent la population, mais
ne l’organisent pas, comme l’avaient fait en 2008 les
syndicalistes et les militants de Redeyef, permettant au
mouvement d’être centralisé dans cette région, afin de se
construire dans la durée. Reste à déplorer l’attitude de la
direction confédérale de l’UGTT qui s’est désolidarisée
officiellement de mobilisations organisées par certaines de ses
structures et des slogans hostiles au régime qui y étaient
scandés.
Ben Ali sait qu’il peut compter sur les puissances
impérialistes. Pour sa part, le NPA est pleinement engagé dans
l’élargissement du mouvement de solidarité qui s’est déjà
manifesté à Paris, Londres, Genève, Montréal, Berne, Bonn,
Munich et au Caire.
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