|
Liban
Quel compromis pour quelle paix ?
Au-delà du « tribunal
à caractère international »
Marie Nassif-Debs
9 juin
2007
Le 10
juin, l’accord signé entre l’ONU et le gouvernement de Fouad
Sanioura sur la formation du tribunal à caractère international
entrera en vigueur afin de statuer sur les crimes commis, depuis
le 14 février 2005, contre des personnalités politiques et médiatiques
qui avaient un rôle important dans la vie publique du Liban. Et,
en premier lieu, l’ex Président du conseil Rafic Hariri dont
l’assassinat fut à la base de la création de ce tribunal.
En créant ce tribunal, le Conseil de sécurité
de l’ONU a fait appel, dans sa résolution 1757, au « strict
respect de la souveraineté, de la sécurité territoriale, de
l’unité et de l’indépendance politique du Liban ».
Cependant, ce même Conseil a dépassé tout de suite ses prérogatives
en violant la Constitution libanaise, puisqu’il a ajouté, à la
fin du paragraphe mentionné, « sous la seule et unique
autorité du gouvernement », tout en sachant que le pouvoir
exécutif libanais réside, depuis la signature de l’accord de
Taëf, dans le Conseil des ministres, réuni sous l’autorité du
Président de la République, et non dans le seul gouvernement.
Cependant, et sans trop insister sur les
discussions que soulève, depuis quelques mois, la légalité du
gouvernement présidé par Fouad Sanioura, ni sur celles
concernant la légalité du Président de la République bien
avant cette date, ni, enfin, sur les réserves émises, au Conseil
de sécurité par certaines grandes puissances et certains représentants
de groupements régionaux ou autres, il nous est nécessaire de
nous arrêter sur certaines tendances politiques très claires
contenues dans la résolution 1757, parce qu’elles auront, sans
aucun doute, des répercussions qui camoufleront des parts de la
« vérité » recherchée par les Libanais sur les
assassinats politiques... Sans oublier qu’elles mettent le Liban
sous une nouvelle tutelle, même si cette tutelle relève, cette
fois, des Nations Unies.
Donc, le retour à la résolution internationale réside
dans son contenu, mais aussi dans le groupe de facteurs qui ont
accompagné sa naissance et qui se sont envenimés à la suite de
sa parution et qui ne se résument pas seulement dans la situation
explosive vécue, à nouveau, par le Liban mais aussi dans
l’escalade politique et les transformations qui caractérisent
certains programmes politiques, dont, en premier lieu, la feuille
de route des « Forces du 14 mars »[2], parue le soir
du jeudi 31 mai, c’est-à-dire quelques heures seulement après
la parution de la résolution 1757.
I.La résolution sur la création
du tribunal à caractère international
La résolution 1757 a constitué une violation
flagrante de la souveraineté libanaise sur deux points essentiels :
Le premier réside dans le recours du Conseil de sécurité
à un précédent dangereux, non encore utilisé dans toute
l’histoire de la constitution de tribunaux internationaux. Ce précédent
est : l’imposition d’une convention à un Etat souverain,
parce que le gouvernement de cet Etat souverain n’a pas réussi
à assurer l’unanimité nationale autour de lui... Et, un tel précédent
va aboutir, non seulement au Liban, mais aussi là où les
Etats-Unis le jugeront nécessaire, à une intervention directe
dans les affaires intérieures et les désaccords existant dans
des pays membres de l’ONU, ajoutant ainsi un nouveau danger à
celui que constitue déjà le droit de veto sur le devenir des
petits peuples.
Quant au second point, il réside dans la mise de
cette convention sous le chapitre sept de la Constitution des
Nations Unies. Ce qui veut dire que l’Etat libanais est « obligé »
d’exécuter le contenu d’une convention dans laquelle certains
grands juristes internationaux ont trouvé des failles qui la
mettait en contradiction avec le concept de la souveraineté
libanaise et, surtout, avec le contenu du code pénal en vigueur
au Liban... Surtout que le chapitre 7 prévoit des « sanctions »
dont nous avons vu les résultats tant dans l’ex Yougoslavie
qu’en Irak, tous deux investis par les hordes internationales
commandées par les Etats-Unis...
Le premier responsable d’une telle situation
est, sans doute aucun, le gouvernement présidé par Fouad
Sanioura, ou ce qui en reste. Ce gouvernement a hâté le vote de
la résolution sans étudier les amendements nécessaires à la
sauvegarde de la souveraineté libanaise et des intérêts du
Liban, dans le seul but d’avoir, rapidement, un atout
infaillible dans le combat qui l’oppose, depuis six mois, aux
« forces du 8 mars »[3]. De même, l’opposition a émis
une position très ambiguë sur le contenu de la résolution, à
tel point qu’elle a paru vouloir empêcher la création du
tribunal suivant un agenda et des intérêts régionaux, syriens
ou autres, et non pour des raisons intérieures visant à améliorer
les statuts de ce tribunal...
Et ces deux positions ont abouti à donner à
l’administration de Georges Bush une victoire gratuite, à un
moment où elle pataugeait dans la boue de ses guerres contre l’Afghanistan
et l’Irak...
II.Le communiqué des « Forces du 14 mars »
Ou l’appel à quitter le conflit arabo-israélien
Une responsabilité complémentaire, donc, entre
les deux parties confessionnelles : le gouvernement et
l’opposition traditionnelle. Et non seulement à propos de la résolution
1757. Puisque, quelques heures plus tard, les pourparlers entre
les deux ont repris grâce à une médiation tripartite (la
France, l’Arabie Saoudite et l’Iran) selon un projet contenant
la formation possible d’un gouvernement dit « d’unité
nationale » sur la base d’une nouvelle répartition du gâteau
confessionnel présentée par le communiqué, déjà mentionné,
des « forces du 14 mars ».
Que dit ce communiqué ?
Après un préambule saluant la résistance du
gouvernement de Fouad Sanioura face à l’opposition, le
communiqué parle de l’accord de l’année 1943 qu’il caractérise
de « compromis historique ayant pu dépasser le grave
conflit existant à ce moment-là ». Ce qui veut dire que
l’appel de la majorité actuelle vise à liquider l’Accord de
Taëf et la nouvelle Constitution qui lui fit suite, et ce afin de
mettre au point une nouvelle répartition du pouvoir, basée sur
l’accord « historique » de 1943, dont le contenu
fut, comme nous venons de le dire, à la base des guerres civiles.
Pourquoi cette brusque
volte-face ?
Parce que la revendication visant la mise au point
des réformes politiques essentielles contenues dans l’Accord de
Taëf devient de plus en plus pressante, surtout parmi les jeunes
et surtout en vue de supprimer le confessionnalisme au Parlement,
mais aussi dans l’administration publique, et de créer le
« Comité national pour la suppression du confessionnalisme
au Liban ». D’ailleurs, la majorité ne cache pas son jeu
sur ce plan, puisqu’elle parle dans son communiqué de la nécessité
de satisfaire toutes les demandes « confessionnelles »,
et non seulement celles des représentants des trois confessions
les plus grandes, à savoir : les maronites, les sunnites et
les chiites...
En plus de ce retour à 1943, le communiqué met
l’accent sur la nécessité de « changer l’époque qui a
commencé à la fin des années Soixante, quand la lutte armée[4]fut
introduite au Liban », à la suite du pouvoir exercé,
alors, par l’OLP sur certaines régions du Sud et sur les camps
des réfugiés palestiniens.
La mention de cette époque a un seul et unique
but : quitter le conflit arabo-islamique. Ce but fut,
d’ailleurs, traduit par les forces signataires du communiqué à
travers les trois points suivants :
1. Obliger la résistance nationale libanaise (le
Hezbollah, essentiellement) à se défaire de ses armes, selon la
clause contenue dans l’Accord de Taëf et concernant « les
armes des milices » (ce qui relègue la Résistance au rôle
d’une milice et crée une certaine égalité entre elle et les
forces qui avaient sévi durant la dernière guerre civile sur
tout le territoire libanais).
2. Demander à l’ONU (qui ne nous ont,
d’ailleurs, pas attendus) de négocier, au nom du Liban, avec
Israël et la Syrie afin de tracer les frontières libanaises.
3. Retourner à l’armistice mis au point, à la
suite du partage de la Palestine, entre le Liban et Israël ;
ce qui limitera, au strict minimum, la présence de l’armée
libanaise sur les frontières Sud du pays et permettra, à
nouveau, à l’armée israélienne de reprendre ses « promenades »
dans nos terres quand elle veut et comme elle veut...
D’ailleurs, les « forces du 14 mars » ne cachent pas
leur intention de normaliser au plus tôt les relations du Liban
avec Israël, puisqu’elles parlent de leur adhésion
inconditionnelle au contenu de « l’accord de Riad »
paru à la suite du dernier Sommet arabe dans cette ville.
Ainsi, apparaît clairement l’objectif de la
majorité. Ce qu’elle veut, au-delà du tribunal à caractère
international, ce n’est ni le principe de justice ni l’arrêt
des crimes politiques... Ce qu’elle veut, c’est, plutôt, la
mainmise complète sur les pouvoirs, dont, en particulier, la présidence
de la République « qui doit être occupée par un indépendantiste » ;
et, alors seulement, la discussion pour former un gouvernement
d’unité nationale pourra avoir lieu !
Qui est cet indépendantiste ? Est-ce Samir
Geagea, par exemple, ou bien Nassib Lahoud ou, encore, Johnny Abdo ?
. En attendant de connaître la réponse à cette
question et, aussi, à l’initiative tripartite, les chefs de la
majorité et de l’opposition se jettent la pierre quant à la
responsabilité des uns et des autres dans l’introduction des
conflits internationaux et régionaux au Liban qui est soumis,
aujourd’hui, à une nouvelle arme, celle du terrorisme, parvenue
dans notre vie quotidienne à travers des organisations nombreuses
semblables au « Fath al Islam » et dans lesquelles se
recoupent les services de renseignements de tous bords qui dépensent
des fortunes pour entretenir ces organisations et leur permettre
de manœuvrer en toute impunité.
Marie NASSIF-DEBS est une des dirigeantes du Parti
communiste libanais
(Article paru en arabe dans le bimensuel « An-Nidaa »)
Notes
[1] Ce compromis, basé sur des
directives conçues par la France « mandataire »,
comportait la division du pouvoir à égalité entre les Chrétiens
et les Musulmans, avec des prérogatives très étendues pour le
président de la République (chrétien maronite). De même, et
dans la Constitution, l’article 6 bis prévoyait la parité
entre chrétiens et musulmans dans l’administration publique. Ce
compromis fut à la base des deux guerres civiles, en 1957 et
1975-1990.
[2] Ces forces, représentées par
Saad Hariri, Walid Joumblat, Samir Geagea et d’autres « loyalistes ».
[3] Ces forces, qui constituent ce
qu’on appelle l’opposition traditionnelle, sont formées par
le Hezbollah, Nabih Berri et Michel Aoun...
[4] Entendre « contre Israël »
|