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La conférence internationale sur
l’Irak dominée par de vifs antagonismes
Peter Symonds
7 mai 2007
Malgré de nombreux
efforts déployés à la conférence internationale qui a eu lieu
au centre de villégiature égyptien de Charm el-Cheikh les 3 et 4
mai derniers, l’administration Bush a échoué dans ses
tentatives d’obtenir des appuis en faveur de la désastreuse
occupation américaine de l’Irak. Sous les pressions de
Washington, quelques créanciers de l’Irak ont accepté une réduction
de la dette de Bagdad et les pays voisins de l’Irak ont accepté
de faire davantage pour bloquer les armes et les insurgés entrant
en Irak. Toutefois, l’accroissement des tensions régionales
produites par l’invasion illégale de l’Irak et par les
menaces d’agression contre l’Iran et la Syrie n’étaient
jamais loin.
Les commentaires des médias
sur la conférence, à laquelle assistaient tous les voisins de
l’Irak ainsi que d’autres pays du Moyen-Orient et les membres
permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, étaient
pour la plupart à la limite du comique. Quelle était la
signification de la rencontre de trente minutes entre la secrétaire
d’Etat américaine, Condoleezza Rice, et le ministre syrien des
Affaires étrangères, Walid al-Moallem? L’échec du ministre
iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, à
s’asseoir à la même table que Rice est-il vraiment le résultat
de ses objections envers un violoniste russe et sa robe trop décolletée ?
La rencontre de trois minutes entre l’ambassadeur américain en
Irak et le premier ministre adjoint de l’Iran signifiait-elle un
dégel des relations entre les deux pays ? Ces questions et
plusieurs autres aussi importantes ont été disséquées en long
et en large.
Au cours des six derniers
mois, Washington a pris une attitude de confrontation et de
provocation envers Téhéran en déployant ses forces navales dans
le Golfe persique et en laissant entendre de façon peu subtile
que des frappes militaires sur les installations nucléaires de
l’Iran étaient possibles. Les Etats-Unis se sont fermement
opposés à toute négociation sur la question des programmes nucléaires
iraniens à moins que l’Iran n’accepte à l’avance de fermer
ses litigieuses usines d’enrichissement de l’uranium. Avant la
conférence, Rice a limité toute possibilité de dialogue avec
son homologue iranien à la question de la « sécurité en
Irak », c’est-à-dire aux déclarations non prouvées de
Washington que Téhéran fournit des armes et de l’entraînement
aux insurgés anti-américains en Irak.
Sans la moindre ouverture
au compromis de la part de Washington, il n’est pas surprenant
que l’Iran ait décliné l’offre américaine d’une
discussion informelle. Comme l’a expliqué aux médias le
ministre iranien des Affaires étrangères, Mottaki: « Il
n’y avait pas d’heure fixée, pas de rendez-vous et pas
d’ordre du jour. Une rencontre entre ministres des Affaires étrangères
a certaines exigences telle la volonté politique et il faut aussi
que la base sur laquelle la rencontre aura lieu soit claire. »
Si elle avait voulu montrer sa bonne foi, l’administration Bush
aurait pu libérer les cinq responsables iraniens que l’armée
américaine a arrêtés lors d’un raid sur un bureau de liaison
iranien au nord de l’Irak en janvier dernier. Mais elle a refusé
d’accéder aux demandes en ce sens de Téhéran.
La courte discussion avec
le ministre syrien des Affaires étrangères, Moallem, souligne le
fait que les ouvertures très publicisées de Rice n’impliquent
pas de changement essentiel de la politique américaine.
Washington a coupé tout contact avec Damas après l’assassinat
en février 2005 de l’ancien premier ministre libanais, Rafik
al-Hariri, et a fait pression sur l’ONU pour qu’un tribunal
international juge cette affaire. La Syrie, qui a été accusée
d’avoir organisé le meurtre, s’est fortement opposée à un
tel développement. L’administration Bush a décrit la Syrie,
tout comme l’Iran, comme un « Etat finançant le
terrorisme » pour avoir appuyé l’organisation chiite
libanaise, le Hezbollah, et le parti palestinien, le Hamas.
Selon les médias, les pourparlers entre Rice
et Moallem ont consisté essentiellement en des demandes américaines
visant à ce que la Syrie stoppe l’infiltration d’insurgés
antiaméricains en Irak. Rice a qualifié la discussion de
« professionnelle » tandis que Moallem a déclaré que
la Syrie « souhaitait sérieusement améliorer les relations ».
Cependant, aucune décision ne fut annoncée. Des questions
importantes comme l’affaire Hariri et le Liban ne furent pas
abordées. De plus, la Maison-Blanche, qui le mois dernier avait
critiqué sans ambages la présidente de la Chambre des représentants
américaine, Nancy Pelosi, pour sa visite en Syrie, a minimisé
l’importance de la rencontre à Charm el-Cheikh en la qualifiant
de « conversation privée ».
Au cours des derniers mois, l’administration
Bush a tenté d’établir une alliance anti-iranienne au
Moyen-Orient en exploitant les craintes des Etats « sunnites »
conservateurs au sujet de l’influence croissante de Téhéran en
Irak. L’Arabie saoudite, en particulier, a assumé un rôle
diplomatique beaucoup plus actif au Liban, menant des pourparlers
avec les partis palestiniens et d’autres de la région afin
d’isoler l’Iran.
Selon le groupe de réflexion américain
Stratfor, la rencontre entre Rice et Moallem pouvait bien faire
partie des efforts visant à briser l’alliance de longue date
entre la Syrie et l’Iran. « L’Arabie saoudite semble être
le principal instigateur de la décision américaine d’engager
des pourparlers avec la Syrie, avec l’idée d’éloigner la
Syrie de l’Iran. Les efforts pour ramener la Syrie dans le monde
arabe ont consisté essentiellement à inonder l’économie
syrienne de pétrodollars du Golfe », soutient l’article.
Un
contrat international à l’avenir incertain
Des manœuvres semblables ont entouré le
Contrat international pour l’Irak d’une durée de cinq ans —
le seul résultat concret de la rencontre. En échange d’une réduction
de la dette de quelque 30 milliards $, le gouvernement
irakien du premier ministre Nouri al-Maliki a accepté de mettre
en place des normes économiques et politiques, élaborées
essentiellement par l’administration Bush.
L’élément le plus important est la mise en
place d’une loi sur le pétrole qui permettra aux entreprises américaines
d’exploiter les immenses réserves du pays. Le Contrat établit
des objectifs de production de pétrole brut à 3,5 millions de
barils par jour d’ici 2011, soit le double de ce qui est produit
présentement, ce qui nécessitera un important investissement étranger
dans les infrastructures délabrées et désuètes de l’Irak. Il
établit aussi un objectif de croissance économique de 15,4 pour
cent en 2007, comparativement à un faible 3 pour cent pour 2006.
La plupart des autres critères visaient à
satisfaire aux exigences des Etats voisins concernant la
participation des sunnites, qui formaient la base sociale du régime
baasiste de Saddam Hussein, au gouvernement et à l’appareil
d’Etat. Sous le mot d’ordre de la « réconciliation
nationale », ceux-ci visent un arrêt de la « débaasification »,
de nouvelles élections provinciales et le démantèlement des
milices chiites.
Les soi-disant voisins sunnites de l’Irak,
dont l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Egypte et les Etats du
Golfe persique, croient que le gouvernement chiite à Bagdad est
trop aligné sur les positions de Téhéran. Comme l’a affirmé
au magazine Time un diplomate arabe, dont le nom n’a pas
été dévoilé: « Al-Maliki ne représente pas tout le
peuple d’Irak. Il est trop iranien. Il sert les intérêts de
l’Iran. » La profonde hostilité qui existe a été démontrée
par le refus du ministre saoudien des Affaires étrangères, le
prince Saud al-Faisal, de rencontrer Maliki à la conférence.
Avant la conférence, le roi saoudien Abdullah avait aussi refusé
de rencontrer le premier ministre irakien Maliki lors de la tournée
effectuée par ce dernier dans les Etats voisins.
Dirigeant ses critiques sur le gouvernement
Maliki, le prince Saoud a dit au New York Times :
« Nous ne voyons rien se réaliser en Irak. Nos amis américains
disent qu’il y a des améliorations : des améliorations
quant à la violence, des améliorations quant au niveau de compréhension,
des améliorations dans le désarmement de la milice. Mais
nous ne le voyons pas. »
L’ancien ambassadeur égyptien aux
Etats-Unis, Abdel Raouf el-Reedy, a dit au International Herald
Tribune que les Etats arabes étaient en situation de défaite.
« Ils réalisent que plus les Etats-Unis restent en Irak,
plus le problème de l’Irak va se compliquer et s’approfondir.
D’un autre côté, si les Etats-Unis quittent l’Irak, il va
y avoir un vide, et qui va être capable de le combler ?
L’Iran est la force la plus disponible pour le combler. »
Alors que la plupart des pays voisins de
l’Irak, sous la pression de Washington, ont offert avec réticence
une certaine forme de soulagement de la dette à l’Irak, les éléments
clés contenus dans l’entente offrent plusieurs prétextes pour
annuler les promesses. Le Koweït a refusé de faire une promesse
définitive, disant que toute mesure sur la dette doit au préalable
être ratifiée par le parlement. Maliki, dans un commentaire à l’Associated
Press, a lancé l’avertissement suivant : « Nous
allons voir jusqu’à quel point ces pays sont sérieux et prêts
à s’engager sur la base de qu’ils signeront aujourd’hui.
Si ces promesses ne sont pas respectées, nous allons le voir, et
il n’y aura plus de raison de tenir d’autres conférences à
l’avenir. »
Aucun des alliés « sunnites »
de Washington à la conférence n’a élevé la voix contre
l’occupation américaine de l’Irak, la violation des droits démocratiques
de base et du désastre social auquel est confronté le peuple
irakien. Leur soumission à la politique criminelle de
l’administration Bush, qui a provoqué une large opposition
populaire en Irak et dans tout le Moyen-Orient, les met en
position de faiblesse devant l’opposition limitée que l’Iran
offre aux Etats-Unis.
Ayant tacitement soutenu l’invasion américaine
en 2003 pour déloger son rival de longue date à Bagdad, l’Iran
a appelé lors de la conférence à un échéancier établissant
le retrait de toutes les troupes étrangères. Répondant aux
accusations américaines que l’Iran armait les insurgés, le
ministre iranien des Affaires étrangères, Mottaki, a dit aux délégués :
« Si les actes terroristes continuent d’augmenter en Irak,
c’est à cause de l’approche erronée adoptée par les troupes
étrangères. Donc, selon nous, la poursuite de l’occupation est
à la source de la crise. Les Etats-Unis doivent accepter les
responsabilités qui découlent de l’occupation de l’Irak, et
ne devraient pas pointer du doigt ou blâmer les autres. »
En dehors du milieu élitiste de la conférence,
des sections de la presse du Moyen-Orient ont reflété quelque
peu l’opposition de masse qui existe à l’occupation de
l’Irak. Un commentateur du Al Akhbar de l’Egypte a déclaré:
« Si nous voulons une explication claire et franche de cette
conférence de Charm el-Cheikh et de ses objectifs, nous dirions
sans hésiter que la situation en Irak a atteint un cul-de-sac et
qu’il y a un échec quasi-total des Etats-Unis dans ses
objectifs et réalisations. » Un éditorial dans le Al-Arab
Al-Alamiyah s’est montré direct : « La conférence
de Charm al-Cheick a été tenue non pas pour sauver l’Irak,
mais pour sauver l’administration Bush de ses nombreuses
positions fâcheuses – fâcheuses au niveau de la sécurité en
Irak – et politiquement fâcheuses en Amérique même. »
Loin d’avancer des moyens pour stabiliser
l’occupation américaine en Irak, la conférence n’a fait
qu’illustrer la montée des tensions régionales provoquées par
l’invasion américaine et par les préparatifs de
l’administration Bush pour de nouvelles aventures militaires
contre l’Iran.
(Article original paru le
7 mai 2007)
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