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Silence total sur le million d’Irakiens
tués sous l’occupation américaine
Patrick Martin
24 septembre 2007
Lorsque les responsables de la guerre lancée
par les Etats-Unis en Irak répondront publiquement de leurs énormes
crimes, le week-end du 15 et 16 septembre 2007 constituera une
preuve accablante contre eux. Vendredi le 14 septembre furent
publiés de courts articles sur un sondage scientifique mené par
la firme de sondage britannique ORB, qui concluait que 1,2 million
de morts violentes étaient survenues en Irak depuis l’invasion
américaine.
Ce nombre ahurissant démontre deux faits
politiques : 1) la guerre américaine en Irak a créé une
catastrophe humanitaire aux proportions historiques, avec un total
de victimes dépassant déjà celui du Rwanda en 1994; 2) ceux qui
s’opposent à un retrait des Etats-Unis sur la base que cela
entraînerait une guerre civile, ou même un génocide,
dissimulent délibérément le fait qu’un tel massacre se déroule
présentement sous le contrôle de l’armée américaine.
La réaction au rapport de l’ORB dans
l’establishment politique et médiatique fut un silence quasi
total. Après quelques articles isolés publiés dans les journaux
le 14 septembre, aucune couverture de la nouvelle ne fut présentée
aux bulletins d’information de soirée et sur les chaînes de
nouvelles spécialisées. La Maison-Blanche, le Pentagone et le département
d’État ne firent aucun commentaire et aucun candidat à la présidence
ou chef du Congrès, républicain comme démocrate, n’aborda la
question. Aucun des quatre principaux réseaux de télévision
n’abordèrent le sujet lors des talk-shows du dimanche matin.
Et ce n’est pas parce que les personnes
concernées n’étaient pas au courant de l’étude, qui a
profité d’une grande diffusion sur Internet et qui a été
rapportée abondamment dans la presse britannique. La validité
des conclusions de l’étude n’a pas vraiment été remise en
question.
Opinion
Research Business (ORB), fondée par l’ancien directeur
britannique des opérations de la firme de sondage Gallup, est une
firme de sondage commerciale bien établie. Elle a présenté une
description technique détaillée des méthodes utilisées pour
extraire un échantillon aléatoire de manière scientifique.
Par contraste, six mois plus tôt, un
sondage de l’ORB en Irak avait été acclamé par la
Maison-Blanche car certaines de ses conclusions pouvaient fournir
un éclairage favorable à la propagande de l’administration. Ce
sondage, réalisé en février et rendu public le 18 mars dans le Sunday
Times de Londres, concluait que seulement 27 pour cent des
Irakiens croyaient que leur pays était en état de guerre civile
et que la majorité appuyait le gouvernement Maliki et
l’augmentation des troupes militaires américaines, et croyait
que la vie s’améliorait au pays.
Ce sondage rapportait aussi des statistiques
sur la violence correspondant à celles du sondage mené en août
et publié vendredi dernier, notamment que 79 pour cent des résidents
de Bagdad affirmaient avoir assisté à une mort violente ou à un
kidnapping dans leur famille immédiate ou au travail. Mais ses
conclusions sur les opinions politiques irakiennes — et non
celles sur les statistiques concernant les victimes — furent
publiées à la une des quotidiens américains, dans le Washington
Post, le Christian Science Monitor et d’autres
journaux nationaux.
Le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony
Snow, avait mentionné le sondage de l’ORB lors d’un point de
presse le 23 mars, utilisant ses conclusions pour réfuter les résultats
d’un sondage en Irak par ABC News, la BBC, le réseau allemand
ARD et le journal USA Today. Lorsqu’on lui avait mentionné
les conclusions du sondage de ABC soutenant que les Irakiens étaient
davantage pessimistes face à leur avenir, Snow avait déclaré :
« il y a eu au même moment un sondage britannique avec des
résultats presque diamétralement opposés ». Il avait
ajouté que l’échantillon du sondage britannique était deux
fois plus grand que celui de ABC, et qu’il avait ainsi davantage
de crédibilité.
Le sondage ORB de mars avait été largement
salué par les médias de droite, y compris le réseau Fox News.
Le magazine de droite National Review déclarait :
« Les partisans de l’Opération Liberté en Irak seront réconfortés
par un nouveau sondage indiquant un haut niveau d’appui pour le
plan de sécurité de Bagdad et pour le gouvernement élu qui le
met en oeuvre. »
Le dernier sondage ORB, qui se concentre sur
l’énorme taux de mortalité produit par l’invasion américaine,
n’a pas été reçu aussi positivement par la Maison-Blanche. Il
y a, bien sûr, suffisamment de raisons pour une telle hostilité.
Les chiffres rapportés par le sondage ORB mine les prétentions
de l’administration Bush que son objectif en Irak est de
« libérer » le peuple irakien de la tyrannie et
terrorisme, ou de défendre la « liberté et la démocratie ».
La véritable raison de la guerre a été révélée
par l’ancien président de la réserve fédérale, Alan
Greenspan, dans ses mémoires nouvellement publiés, dans lesquels
il écrit : « Quelles que soient leurs craintes
exprimées quant aux "armes de destruction massive de Saddam
Hussein", les autorités américaines et britanniques étaient
également préoccupées par la violence dans une région qui
abrite une ressource indispensable au fonctionnement de l’économie
mondiale. Je suis attristé qu’il soit politiquement inapproprié
de reconnaître ce que tout le monde sait : la guerre en Irak
est essentiellement une question de pétrole. »
Tout aussi significatif est le silence des démocrates
au Congrès et des candidats démocrates aux présidentielles, qui
prétendent tous être opposés à la guerre en Irak. Cependant,
cette posture anti-guerre n’a rien en commun avec un véritable
sentiment de compassion pour les souffrances du peuple irakien ou
avec une opposition de principe aux intérêts prédateurs de
l’impérialisme américain dans ce pays riche en pétrole.
Les démocrates s’opposent à la façon
d’ont l’administration Bush mène la guerre, non pas parce que
c’est une opération sanglante et criminelle, mais parce
qu’elle est mal gérée et parce que les succès escomptés dans
l’opération de pillage des ressources pétrolières et la
consolidation de la position stratégique de l’impérialisme américain
au Moyen Orient n’ont pas été réalisés.
Les démocrates ne veulent pas souligner
l’ampleur du bain de sang en Irak, tel que le suggère le
sondage ORB, parce qu’ils partagent la responsabilité politique
de la guerre, du vote autorisant l’utilisation de la force en
octobre 2002 jusqu’au passage par le Congrès d’une série de
lois finançant la guerre et totalisant plus de $600 milliards.
Dans un procès pour crimes de guerre liés au quasi génocide en
Irak, les dirigeants démocrates trouveraient leur place dans le
box des accusés, juste derrière la cabale Bush/Cheney/Rumsfeld.
Invité à l’émission
de télévision Meet the Press du dimanche 16 septembre, le
candidat des démocrates à l’élection présidentielle américaine
de 2004, le sénateur John Kerry, a dénoncé toute suggestion que
les démocrates au Congrès permettraient une défaite des
Etats-Unis en Irak. Il a critiqué l’administration Bush pour la
façon dont elle mène la guerre parce que les intérêts
nationaux des Etats-Unis en matière de sécurité s’en
trouvaient affaiblis, surtout face à l’Iran.
« Nous ne disons pas
qu’il faut abandonner l’Irak, a dit Kerry. Nous disons qu’il
faut un changement de la mission et un ajustement de la mission
pour que le gros des troupes de combat soit retiré au plus tard
d’ici un an pendant que nous continuons à offrir en arrière-garde
le soutien de base nécessaire pour terminer l’entraînement
[des troupes irakiennes], pour qu’elles puissent se tenir debout
seules et que nous puissions pourchasser al-Qaïda. »
Kerry a clairement dit
qu’il était en faveur d’une politique plus, pas moins,
agressive au Moyen-Orient. « Nous devons sortir d’Irak
dans le but d’être plus fort face à l’Iran, a-t-il dit, dans
le but de nous occuper du Hezbollah et du Hamas, de restaurer
notre crédibilité dans la région. Et je crois, très profondément,
qu’ils comprennent ce qu’est la puissance. »
Le présentateur de Meet
the Press, Tim Russert, a insisté pour que Kerry prenne
position sur le refus des démocrates de forcer la Maison-Blanche
à mettre un terme à la guerre en refusant de voter les crédits
de guerre. Kerry a éludé la question, déclarant, faussement,
qu’un tel geste exige 67 voix au Sénat pour contrecarrer le
veto présidentiel. Le soi-disant problème des 67 voix est un
obstacle que les démocrates au Congrès ont sciemment construit
dans le but de continuer leur double jeu de prendre publiquement
la posture d’opposants à la guerre tout en continuant de
permettre à l’administration Bush de la poursuivre.
Kerry a ajouté :
« Je vais octroyer aux troupes les fonds nécessaires pour
la protection des intérêts américains en matière de sécurité,
pour l’accomplissement d’une mission qui améliore notre sécurité
nationale et qui protège les troupes elles-mêmes. Nous ne
proposons pas l’échec… »
Que signifie le « succès »
dans le contexte de rapports faisant état de 1,2 million de morts
violentes en Irak depuis l’invasion et l’occupation américaine ?
Il signifie que la dévastation de ce pays continuera tant que la
classe ouvrière américaine et internationale n’interviendra
pas pour y mettre fin.
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Publié le 25 septembre 2007 avec l'aimable autorisation du WSWS
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