WSWS
Le nouveau modèle de
l’administration Bush en Irak : le cas de la province d’Anbar
James Cogan
Photo RIA Novosti
1er juin 2007
L’amélioration des
conditions de sécurité pour les soldats américains dans Anbar,
province occidentale de l’Irak, est donnée comme preuve par
l’administration Bush que la politique de l’« escalade »
en Irak fonctionne et comme « modèle » pour le reste
du pays. Selon le New York Times, « ce progrès
suscite l’optimisme au sein de l’état-major américain,
atteignant presque le niveau de l’intoxication chez certains
officiels. »
Il n’y a pas de doute
qu’il y a eu un changement dans la province. En mai, seulement
douze soldats américains ont perdu la vie à Anbar malgré
qu’il y ait eu 124 morts à travers le pays – le troisième
plus haut total mensuel de la guerre. La plupart des mois depuis
l’invasion de 2003, un tiers à une moitié des pertes américaines
se produisait à Anbar. Au cours des quatre dernières années,
des combattants de la guérilla ont tué et blessé des milliers
de soldats américains dans les villes de Ramadi et de Fallouja
ainsi que les nombreux villages et hameaux qui longent l’Euphrate
aux environs de la frontière avec la Syrie.
Encore plus remarquable
que la diminution du nombre des victimes, les soldats américains
entreprennent des patrouilles à pied dans des régions de la
province dans lesquelles ils ne se rendaient que dans des véhicules
blindés et le doigt sur la gâchette. La haine populaire envers
l’occupation à Anbar est très profonde. Les efforts américains
pour subjuguer la province ont été très brutaux.
Il n’y a pas de chiffres
précis, mais des milliers d’Irakiens ont été tués lors des
deux assauts sur Fallouja, le premier en avril 2004 suivi d’un
second en novembre, six mois plus tard. La ville est pratiquement
en ruines. Ramadi, la capitale provinciale, est aussi en ruines
après des années d’incessants combats, tirs d’artillerie et
frappes aériennes. Toutes les facettes de l’infrastructure
sociale (l’électricité, l’eau potable, le système d’égouts,
les hôpitaux, les écoles) ont implosé. Les deux villes ont été
transformées en prisons, les déplacements des résidants étant
surveillés à des points de contrôle et à des barricades, ou
interdits par des couvre-feux.
Il est raisonnable de
penser que plus de 100.000 personnes, soit près de dix pour cent
des 1,3 million d’habitants que comptait cette région avant la
guerre de 2003, ont été tuées sous l’occupation américaine.
La diminution des attaques sur les troupes américaines,
toutefois, n’est pas le résultat de ces années de répression.
Le modeste changement est attribué à la décision prise à la
fin de l’an dernier par les cheiks arabes sunnites traditionnels
d’Anbar d’ordonner à leurs tribus de lutter contre les
mouvements de guérilla se réclamant du fondamentalisme islamique
et alignés derrière al-Qaïda.
Une certaine légende
entoure le cheik Abdul Sattar al-Rishawi, le chef de l’alliance
tribale opposée à al-Qaïda et connue sous le nom de Conseil du
salut d’Anbar. Selon plusieurs reportages, Abdul Sattar, âgé
de 36 ans, est devenu un allié des Américains et a appelé à la
destruction d’al-Qaïda en Irak après que son père et trois frères
furent assassinés. En septembre dernier, quarante autres tribus
et sous-tribus, certaines ayant auparavant fourni des combattants
à l’insurrection anti-occupation, se sont jointes à sa tribu
de Risha, dans ce qui constitue une lutte sanglante contre les takfiris,
le nom donné aux fondamentalistes islamiques.
En décembre dernier, Abdoul Sattar a déclaré
à un correspondant de l’Institute for War and Peace
Reporting : « Nous combattons maintenant les
takfiris; ce seront eux ou nous qui survivront. » Depuis,
des milliers de loyalistes se sont enrôlés dans les forces de sécurité
irakiennes, formées et financées par les Etats-Unis, ou ont adhéré
aux forces paramilitaires tribales, les Unités d’interventions
d’urgence (ERU). Conséquemment, le nombre de policiers à Anbar
a grimpé de quelques milliers l’an dernier à 10.000 à la fin
avril. La division de l’armée à Anbar a recruté quelque 6.000
nouveaux soldats. Les ERU – dont l’apparence vestimentaire
serait pratiquement indissociable de celle des insurgés irakiens
– possèdent 2.000 combattants à Ramadi seulement.
La transformation au niveau de la sécurité
fut décrite ainsi par le New York Times le 29 avril :
« Durant les dernières années, le centre gouvernemental au
centre-ville de Ramadi, le siège du gouvernement provincial, a été
presque continuellement sous l’assaut des insurgés... Pour y
entrer il fallait se précipiter d’un véhicule blindé à
l’entrée de l’édifice afin d’éviter les tireurs.
Maintenant, par contre, l’édifice est en rénovation... Des hôtels
sont construits à proximité...
« La violence a rapidement chuté
à travers Ramadi et ses grandes zones rurales, ont déclaré des
résidents et des officiels américains et irakiens. L’été
dernier, l’armée américaine enregistrait quelque 25 actes
violents par jour dans la région : des fusillades, des
kidnappings, des attentats à la bombe ou des attentats-suicides.
Au cours des dernières semaines, la moyenne est tombée à
quatre... »
Selon le général américain David Petraeus,
les informateurs tribaux ont permis à l’armée américaine de débusquer
plus de caches d’armes d’insurgés durant les cinq premiers
mois de cette année que durant toute l’année 2006. Il s’est
vanté du fait que la situation anciennement instable dans la
ville de Hit était maintenant si tranquille que l’on pouvait
« marcher dans la rue en mangeant une glace ».
Bien que l’armée américaine jubile à la
vue d’un succès à court terme, elle est tout à fait
consciente du type de régime que les cheiks mettent en place à
Anbar. Un soldat a déclaré au New York Times :
« Ça ressemble à la mafia. »
Le but premier des cheiks n’est pas de
combattre al-Qaïda pour obtenir vengeance, mais pour les bénéfices
matériels qui résultent de la domination de la province. Avec
l’aide de l’armée américaine, ils éliminent leur principal
rival pour le contrôle des grands réseaux de contrebande qui
passent par Anbar pour atteindre la Syrie et la Jordanie.
Il est aussi probable que des alliés des
Etats-Unis comme l’Arabie saoudite et la Jordanie aient été
impliquées pour obtenir l’appui des tribus. L’administration
Bush a réussi à persuader l’Arabie saoudite, en particulier,
de participer à la consolidation de l’occupation. La monarchie
saoudienne aurait très bien pu fournir de l’argent, ainsi que
des armes et des renseignements, aux cheiks irakiens.
Le moment de la formation du Conseil de salut
d’Anbar suggère qu’une sorte d’entente avait été conclue.
En août dernier, une évaluation interne américaine de la
situation à Anbar concluait que la province était largement tombée
entre les mains d’al-Qaïda et que l’armée américaine ne
pouvait plus presque rien y faire. Certaines des solutions
recommandées, rapporte le Washington Post en novembre
dernier, consistaient à « établir un Etat sunnite à Anbar»
et à « créer une force locale paramilitaire ». Abdul
Sattar déclarait sa guerre contre al-Qaïda peu de temps après
la publication de l’évaluation.
Les ambitions des cheiks ont été exacerbées
par des estimations établissant les réserves de pétrole dans le
sous-sol du désert de la province d’Anbar à cent millions de
barils. Advenant que les estimations soient correctes, les cheiks
se positionnent pour être les premiers bénéficiaires de
l’allocation des contrats auprès des conglomérats
transnationaux du pétrole.
Le caractère vénal de la collaboration
tribale avec les militaires américains a été illustré de manière
exemplaire par Sattar lui-même. Selon le Stars and Stripes,
lorsqu’il lui a été demandé pourquoi il collaborait avec les
Américains au lieu de les combattre, il répliqua : « Les
Vietnamiens ont battu les Américains, et qu’est-ce que cela
leur a donné ? Trente ans plus tard, ils vivent encore dans
la pauvreté. »
Les cheiks se préparent maintenant à prendre
le contrôle politique de la province d’Anbar. En avril, plus de
deux cents chefs tribaux se sont rassemblés dans la ville de
Hamdhiyah d’Anbar pour former le « réveil d’Anbar »,
un parti qui va se présenter aux élections provinciales prévues
pour la fin de l’année. Ils prévoient gagner avec une majorité
écrasante.
Alors que les développements à Anbar ont eu
un certain impact sur la sécurité, ils créent déjà de
nouveaux problèmes pour l’occupation. Le rapprochement avec les
tribus a inévitablement aliéné et joué contre les intérêts
des factions sunnites que les Américains ont courtisées à
Bagdad afin d’obtenir leur soutien pour mettre fin à
l’insurrection ailleurs en Irak. Le gouverneur que les cheiks
ont l’intention de déloger est un des dirigeants du Parti
islamiste iraquien (PII), le plus important parti sunnite, dont
les membres ont des sympathies avec les insurgés
fondamentalistes.
L’attitude de l’establishment religieux
sunnite envers l’alliance entre les Américains et les tribus, a
été exprimée par le dirigeant de l’Association des érudits
musulmans, Harit al-Dhari, qui a été forcé à l’exil. Le mois
dernier, il qualifiait le Conseil du salut d’Anbar de « bande
de voleurs et de bandits ».
Plus fondamentalement, l’élévation
de minables despotes tribaux au pouvoir d’une province entière,
est une autre démonstration de la politique néo-coloniale
sous-tendant l’invasion et l’occupation de l’Irak. Les
milliers de soldats américains ne sont pas en Irak pour aider à
la transition vers la démocratie. Ils y sont pour mettre en
place un régime fantoche servile qui va accepter la domination à
long terme des Etats-Unis sur le pays et ses ressources.
L’administration Bush a trouvé des volontaires parmi les cheiks
d’Anbar, du moins pour le moment.
(Article original paru le
1er juin 2007)
Copyright 1998 - 2007 - World Socialist Web
Site- Tous droits réservés
Publié avec l'aimable autorisation du WSWS
|