U Ribombu
La France et ses justices d'exception
Ghjuvan Filippu Antolini
Photo U Ribombu
Lundi 27 avril 2009
Face aux menées anarchistes de la fin du XIXe siècle, le
législateur a inventé « l'association de malfaiteur », mise en
examen bien connue qui sert encore aujourd'hui de fourre-tout et
qui permet de maintenir en détention pendant très longtemps les
personnes à qui l'on a rien de précis à reprocher, surtout si
aujourd'hui cette association de malfaiteur est en relation avec
une « entreprise terroriste ». Mais, même à
cette époque, il n'y avait pas de juridiction spéciale pour
juger ce type de délits. C'est sous le régime de Vichy que vont
apparaître les premières juridictions d'exception avec notamment
l'acte dit loi du 5 juin 1943 des sections de Cour d'Appel de
sinistre mémoire.
Puis, à la libération, ce sera la mise en
place des Cours de Justice et des Chambres civiques qui
prononceront plus de 2 000 peines de mort pour collaboration.
Lors de la guerre d'Algérie (pardon, les
événements d'Algérie), l'Etat français met en place une
extension de compétence des Tribunaux militaires. Puis, pour
faire face à l'OAS, on instaure en 1961 un Haut Tribunal
Militaire remplacé l'année suivante (pour manque de fidélité…)
par la Cour Militaire de Justice. Mais les condamnations de
cette cour se trouveront annulées par le Conseil d'Etat après
l'indépendance de l'Algérie.
Le législateur créera alors pour pallier
cela, la Cour de Sûreté de l'Etat par la loi du 15 janvier 1963.
La Cour de Sûreté de l'Etat survivra presque 20 ans à la guerre
d'Algérie et ne sera supprimée qu'avec l'arrivée de la Gauche au
pouvoir en 1981.
En 1982, la Gauche met en place, pour
protéger le secret de Défense Nationale, une cour d'Assises
composée uniquement de magistrats professionnels. La survie
ainsi organisée d'une juridiction d'exception pour un motif
apparemment légitime allait se révéler être l'aubaine de la
Droite revenue au pouvoir en 1986.
En septembre 1986, au prétexte d'un certain
nombre d'attentats qui avaient été commis au cours de l'année,
la Droite étend la compétence de ces Cours d'Assises spéciales
sans jury populaire à la répression des infractions commises
dans un contexte dit terroriste, ainsi d'ailleurs qu'à toutes
les atteintes à la sûreté de l'Etat français.
La dérobade providentielle d'un jury
populaire chargé d'examiner un dossier antérieur à cette loi
devait même conduire le législateur, le 30 décembre suivant, à
donner un effet rétroactif à cette loi… Ces lois reprennent en
la forme certains éléments de définition des textes qui avaient
régi autrefois la compétence de la Cour de Sûreté de l'Etat.
Le caractère politique du débat judiciaire en
matière d'infractions aux lois assurant la protection de l'ordre
institutionnel et de l'aire de souveraineté n'est donc pas au
départ le fait de la défense, mais bien le fait de la loi et des
juridictions d'exception chargées de l'appliquer. Ainsi, l'un
des principes fondamentaux du droit pénal français qui est de
considérer que le mobile de l'auteur ne saurait être pris en
compte pour déterminer la qualification de l'infraction est
bafoué dans tous les cas de prisonniers politiques renvoyés
devant des Cours d'Assises spécialement composées.
Depuis 1986, tous les inconvénients de la
Cour de Sûreté de l'Etat ont donc été rétablis, y compris les
peines de plus en plus sévères qui sont prononcées, mais aucun
des avantages qu'avaient les prisonniers qui dépendaient du «
statut spécial » n'ont été remis en place.
Au contraire, aujourd'hui, les prisonniers
politiques que l'administration pénitentiaire appelle « détenus
de droit commun appartenant à une mouvance terroriste » ont un
traitement carcéral, sous couvert d'une présumée dangerosité,
beaucoup plus strict et plus dur que les autres détenus.
Si la France, dans ses lois et ses pratiques,
avait toujours accordé un statut avantageux dans le système
carcéral à ceux qui s'étaient battus pour leurs idées, force est
de constater qu'aujourd'hui, c'est exactement l'inverse. A force
d'être critiquée, la Cour de Sûreté de l'Etat a fini par être
supprimée. Il en sera de même un jour des Cours d'Assises
spécialement composées. L'affaire Erignac aura démontré les
limites des juridictions d'exception.
La condamnation à 30 ans de réclusion
criminelle de Jean Castela et de Vincent Andriuzzi, puis leur
acquittement en appel, et la condamnation à la peine maximale
d'Yvan Colonna ont attesté le naufrage de ces juridictions. Les
abus sont tellement nombreux qu'il faudrait un journal entier
pour en faire une liste exhaustive !
Notons quand même des instructions uniquement
à charge avec dissimulation des éléments à décharge, fabrication
de fausses preuves, dépôt d'explosifs chez certains suspects
pour s'assurer de leur incarcération, faux procès-verbaux,
parjure des enquêteurs lors des procès… Il est temps que ces
pratiques cessent. Les USA de Barak Obama sont en train de
mettre fin au système Guantanamo, il est temps que la France
mette fin à sa justice d'exception.
© U Ribombu
Internaziunale — 2009
Publié le 27 avril
2009 avec l'aimable autorisation d'U Ribombu
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