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Corse
Regard sur la
croisade linguistique de Michel Onfray :
« Tourner sept fois sa langue... »
Jean-Guy Talamoni
Jean-Guy Talamoni - Photo Alta Frequenza
Samedi 31 juillet 2010
Dans un article publié le 10 juillet dernier dans les colonnes
du Monde
(« Les deux bouts
de la langue »), Michel Onfray s’attaque à la
question linguistique. Sa position peut se résumer à une étrange
affirmation :
« …la multiplicité des idiomes constitue moins une richesse
qu’une pauvreté ontologique et politique. » Cette
« analyse », fondée sur une interprétation quelque peu
approximative du mythe de Babel (la référence biblique a quelque
chose d’insolite sous la plume de notre « athéologue »![1]), se
heurte à celle de l’ensemble des spécialistes de la question,
ainsi que des institutions internationales. En effet, la
préservation de la diversité linguistique est aujourd’hui un
objectif politique à peu près incontesté, sauf dans certains
cercles hexagonaux dépositaires du sinistre héritage de l’abbé
Grégoire (et non de l’abbé de Saint-Pierre, chantre de la « paix
perpétuelle », que Michel Onfray appelle curieusement au soutien
de sa thèse !). Ainsi, pour le philosophe-athéologue, défendre
une langue « minoritaire » serait une
« entreprise
thanatophilique », précisant que
« son équivalent en
zoologie consisterait à vouloir réintroduire le dinosaure dans
le quartier de la défense et le ptérodactyle à
Saint-Germain-des-Prés… ». La métaphore,
passablement outrancière, permet toutefois de localiser les
préoccupations de notre philosophe-athéologue-linguiste-zoologue.
Rappelons qu’il fut un temps, Michel Onfray s’insurgeait de
pouvoir être considéré comme un Parisien. Ce qui n’est
d’ailleurs pas un défaut, à la différence du parisianisme et de
cette vision ethnocentriste conduisant à tenir la capitale
française comme l’ombilic du monde. Parmi les arguments assénés
par l’auteur, des poncifs qu’aujourd’hui, Jean-Pierre
Chevènement lui-même hésiterait à reprendre :
« …j’eus des amis
corses qui, le vin aidant, oubliaient un instant leur religion
et leur catéchisme nationaliste pour avouer qu’un berger du cap
corse ne parlait pas la même langue que son compagnon du cap
Pertusato ! » Est-il vraiment utile de répondre sur
ce point ? La fable des Corses qui ne se comprennent pas relève,
en effet, de propos passablement avinés… Vous observerez ici
l’argument d’autorité :
« des amis corses, le
vin aidant… » Le processus épistémologique mis en
œuvre par notre philosophe-linguiste-zoologue-œnologue est
décidément imparable. Citons enfin le bouquet final, constituant
un vibrant plaidoyer en faveur de l’espéranto,
« vœu d’une nouvelle
Grèce de Périclès pour l’humanité entière ». Bien…
Là où ça se gâte, c’est lorsque Michel Onfray croit bon de
préciser : « …car
était grec quiconque parlait grec : on habitait la langue plus
qu’un territoire… » Sauf que pour être citoyen
athénien, il fallait, dans une première période, naître d’un
père athénien, et, après la réforme de 451 – initiée précisément
par Périclès ! – de deux parents athéniens, libres, unis de
surcroît par un mariage légitime ! Fâcheux oubli de la part de
notre philosophe-linguiste-zoologue-œnologue-helléniste…
Nous passerons sur la langue régionale « outil de fermeture sur
soi », « dispositif tribal », « machine de guerre
anti-universelle » aux mains des nationalistes…
Bref, on avait connu Michel Onfray mieux inspiré. Sans doute
est-il quelque peu périlleux de mener de front les différentes
croisades qu’il a entreprises : contre la Chrétienté, contre
Freud, contre les nationalistes corses, etc. Il est vrai que ces
sujets sont d’une grande complexité, d’une complexité telle que
son omniscience elle-même ne devrait pas le dispenser d’un peu
de réflexion. La sagesse populaire ne l’enseigne-t-elle pas :
« tourner sept
fois sa langue dans sa bouche » ?
[1]
Michel Onfray est l’auteur d’un « Traité d’athéologie », dans
lequel il s’en prend violemment aux trois religions
monothéistes.
(Publié dans "Corse Matin", le 28 juillet 2010).
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