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Annapolis: les
Etats-Unis préparent la guerre civile en Palestine et obtiennent
le soutien arabe contre l’Iran
Chris Marsden

Photo RIA Novosti
29 novembre 2007
Parfois, le sommet d’Annapolis
semblait être une pièce de théâtre amateur mal montée :
des poignées de main manquées, les pannes du service de
traduction, le président Bush qui ne peut nommer correctement le
président palestinien Mahmoud Abbas et Abbas lui-même qui suit
Bush et le premier ministre israélien Ehoud Olmert comme s’il
avait oublié sa prochaine ligne. Mais toutes ces gaffes ne font
que souligner à quel point le spectacle n’avait pour seul but
que de cacher les ambitions de conquête que nourrissent les
Etats-Unis envers le Moyen-Orient.
Un public composé des
représentants de 40 nations, y compris les puissances européennes,
la Russie et seize États arabes, dont la Syrie et l’Arabie
saoudite qui ne reconnaissent pas Israël, a dû subir la
performance pénible de Bush, Olmert et Abbas.
Ils s’étaient rassemblés
en partie dans le but de donner leur soutien officiel à
l’affirmation peu crédible de l’administration Bush qu’Annapolis
servirait à lancer une campagne s’échelonnant sur toute une
année pour faire la paix entre Israël et la Palestine, et créer
un État palestinien. En faisant semblant de croire au supposé désir
de paix de Washington pour la région, les participants
cherchaient à cacher l’accord qu’ils ont donné à
l’escalade des hostilités, tant militaires qu’économiques,
engagées par les États-Unis contre l’Iran.
Le plan dévoilé à la
base de la marine américaine au Maryland a été décrit de façon
grandiloquente comme la fin d’un gel de sept ans des pourparlers
de paix. Il aurait exigé le soutien et l’implication
personnelle de Bush et forcé sa secrétaire d’État,
Condoleezza Rice, à parcourir des milliers de kilomètres dans
ses efforts diplomatiques au Moyen-Orient. Le but, tel que décrit
dans la propagande officielle, est que Bush laissera comme héritage
une entente juste entre Israël et la Palestine plutôt que la débâcle
en Irak à la fin de son mandat en janvier 2009. Le véritable
motif est plutôt que l’Iran doit être neutralisé pour pouvoir
consolider l’hégémonie américaine sur les richesses pétrolières
du Moyen-Orient.
A cette fin, Bush a tenté
de se présenter comme un conciliateur honnête entre Israël et
la Palestine, se basant sur le fait que les médias et les régimes
arabes étaient prêts à oublier qu’Israël est le plus
important protégé des Etats-Unis. La soi-disant déclaration
d’Annapolis, comptant un total de 437 mots, confirme que les
Etats-Unis continuent à ne faire aucune demande qu’Israël
pourrait trouver inacceptable tout en insistant pour que l’Autorité
palestinienne dirigée par le Fatah écrase toute résistance à
Israël comme condition préalable à toute entente.
On n’a pu s’entendre même
sur une simple déclaration de principes conjointe que trente
minutes avant que Bush la lise. La façon dont cet accord fut
conclu est une description des véritables rapports politiques à
Annapolis : un bloc entre les Etats-Unis et Israël dictant
le programme de leur marionnette Abbas.
Le quotidien Haaretz
a cité des sources palestiniennes qui lui auraient dit que le
blocage avait été réglé à Annapolis même après que « la
secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice a pris le président
palestinien Mahmoud Abbas à part alors qu’il effectuait une
rencontre diplomatique avec le président américain Georges Bush
et le premier ministre Ehoud Olmert pour faire pression sur lui
afin qu’il approuve l’ébauche du document. Éventuellement,
c’est ce qu’il a fait, ce qui a permis à Bush de le présenter
à la conférence. »
Les sources israéliennes
ont décrit un tableau encore plus condamnable, déclarant que
lorsque les Palestiniens avaient refusé de signer, le ministre
des Affaires étrangères, Tzipi Livni, qui est la tête de l’équipe
israélienne, a perdu son sang-froid et a dit au [négociateur
palestinien Ahmed Qureia] « d’accepter ce qui lui était
offert ou de tout perdre ».
Des sections de l’équipe
de négociateurs d’Israël ont dit à Livni qu’une déclaration
« était une "perte de temps" et lui ont suggéré
d’oublier cela ».
Pendant des mois, aucun
document n’a été produit parce qu’Israël refusait
d’accepter d’être forcé de prendre position sur les demandes
essentielles des Palestiniens, comme le droit de revenir en
Palestine, la fin des colonies juives, les frontières,
l’approvisionnement en eau et accepter que Jérusalem Est soit
la capitale d’un futur État palestinien. Beaucoup a été dit
sur l’affirmation que les deux parties entreprendront des négociations
pour un traité « qui résoudra toutes les questions en
suspens, y compris les questions fondamentales sans exception ».
Aucune de ces questions n’est même nommée.
Le propre porte-parole
d’Abbas, Nabil Abu Rudeina, a rejeté la déclaration,
expliquant que « Nous avons échoué à nous entendre sur un
document depuis trois ou quatre mois. Nous ne nous sommes pas
entendus sur une seule question. »
Et comme le New York Times l’a
souligné, « Bien que les deux parties aient affirmé que
leurs pourparlers viseraient à conclure une entente sur toutes
les "questions fondamentales", elles n’ont pu déterminer
en quoi consistaient ces questions et comment elles pouvaient être
réglées. »
La déclaration affirme plutôt que « l’implémentation
d’un futur traité de paix sera conditionnelle à l’implémentation
d’une feuille de route, telle que décidée par les Etats-Unis ».
Cet extrait donne à Washington le seul
droit de décider si les dispositions de la feuille de route ont
été respectées, ce qui vient démasquer la prétention que dans
le « Quartet », qui comprend les Etats-Unis, les
Nations unies, la Russie et l’Union européenne, les partenaires
influencent dans une même mesure le processus de paix.
La principale demande comprise dans la
feuille de route et sur laquelle le succès d’Abbas sera jugé
consiste pour ce dernier à assurer la « sécurité d’Israël »
en procédant au démantèlement des « organisations
terroristes ». Abbas est de nouveau prévenu qu’il doit écraser
toute résistance à Israël parmi les Palestiniens en commençant
par reprendre au Hamas le contrôle de la bande de Gaza.
Abbas est dans une position faible pour
s’attaquer au Hamas, qui a organisé une manifestation de
dizaines de milliers de personnes à Gaza, accusant Abbas d’être
un « collaborateur » et un « traître »
pour avoir participé à la conférence d’Annapolis. Même dans
le château fort du Fatah en Cisjordanie, de plus petites
manifestations se sont déroulées. La police a brutalement
dispersé les manifestants, arrêtant des centaines de personnes
et tuant même un homme de 36 ans à Hébron.
Les puissances européennes subissent présentement
du chantage de la part de Washington afin qu’elles financent
Abbas dans son conflit contre le Hamas. La France sera l’hôte
d’une conférence de donateurs plus tard le mois prochain.
Il se pourrait aussi qu’Israël décide
d’intervenir directement par une incursion militaire dans Gaza.
Cela fut indiqué comme étant une forte possibilité par le
quotidien de droite, le Jerusalem Post, qui nota qu’au
moment même où la conférence d’Annapolis se terminait,
« l’establishment de la défense a commencé à se préparer
à la possibilité que le ministre de la Défense Ehoud Barak, dès
son retour des Etats-Unis, ordonne une opération militaire de
grande envergure dans la bande de Gaza ».
Le journal cita un responsable à la Défense
qui a déclaré : « Israël a jugé bon de ne pas
déclencher une telle opération avant le sommet, ne voulant pas
être accusé de l’avoir gâché. Lorsque le sommet sera terminé,
nous pourrons entrer dans Gaza et répliquer au Hamas. »
« Pour la réalisation d’une
opération d’une telle importance dans Gaza, les FDI devront
rappeler un grand nombre de réservistes et mobiliser près de
deux divisions d’infanterie, de blindés et d’ingénieurs »,
concluait-il.
Le Los Angeles Times félicita Abbas
pour avoir tenté de « démontrer à Israël qu’il allait
véritablement renforcer son contrôle, en commençant par la
Cisjordanie. Il a déployé des centaines d’agents de police
supplémentaires dans la ville turbulente de Nablus. Il a fait
fermer des dizaines d’organismes de charité du Hamas, congédié
plusieurs de leurs prédicateurs, fait arrêter des centaines
d’activistes du Hamas, dont de nombreux hommes armés, fait
confisquer leurs armes et imposé un décret visant à couper le
transfert de millions de dollars de dons au Hamas de l’étranger. »
Mais cela ne suffit pas pour Israël. On
exige d’Abbas rien de moins que le déclenchement d’une guerre
civile totale, qui pourrait précipiter sa chute en raison de
l’opposition populaire. Un représentant du Hamas a déclaré,
« Abbas serait stupide de retourner dans la bande de Gaza à
l’intérieur d’un tank israélien. Tout Palestinien qui entre
dans la bande de Gaza avec l’aide d’Israël sera considéré
comme un ennemi. »
La propre position d’Olmert
au pouvoir est précaire. Même les concessions verbales qu’il a
faites ont provoqué une réaction déchaînée chez les partis de
l’opposition menés par le Likoud, les colons et leurs
partenaires de la coalition orthodoxe d’extrême droite, ce qui
pourrait provoquer la chute de son gouvernement.
Avant la conférence d’Annapolis,
le Knesset a approuvé un projet de loi empêchant tout accord qui
viserait à partitionner Jérusalem. Eli Yishai, chef du parti
Shass, a menacé de se retirer du gouvernement si « Jérusalem
était mentionné à Annapolis ». Environ 25.000 personnes
auraient pris part à une prière de masse au Mur occidental pour
protester contre la conférence d’Annapolis avant de se diriger
vers la résidence d’Olmert à Jérusalem. Des groupes
nationalistes ont même bloqué des rues à Jérusalem et
Tel-Aviv.
À la suite du sommet,
Zevouloun Orlev, le président du parti de l’Union nationale, a
déclaré que « l’Etat d’Israël faisait face à une
vente de feu » et demandé au président du Shass, Eli
Yishai, et au chef du Yisrael Beitenu, Avigdor Lieberman, de
quitter immédiatement la coalition gouvernementale. Yishai
s’est défendu en déclarant catégoriquement que la partition
de Jérusalem n’était pas considérée, car « les
dirigeants palestiniens n’ont pas terminé la première phase de
la Feuille de route : le démantèlement des organisations
terroristes ».
Le véritable critère de
succès pour Bush fut la participation des régimes arabes à la
mascarade d’Annapolis et l’approbation des puissances européennes
et de la Russie.
Lorsque Bush a déclaré
dans son discours qu’« une bataille pour l’avenir du
Moyen-Orient est en cours et nous ne devons pas céder la victoire
aux extrémistes », les délégués présents savaient bien
qu’il ne parlait pas que du Hamas. L’évaluation la plus honnête
du sommet d’Annapolis dans les médias américains fut faite par
Steven Erlanger du New York Times : « La conférence
de paix sur le Moyen-Orient qui a pris place ce mardi avait pour
but officiel de mettre un terme au conflit israélo-palestinien.
Mais un objectif non avoué se cachait sous la surface :
stopper la montée de l’influence régionale de l’Iran et du
radicalisme islamique. »
Un conseiller de l’équipe de négociation
palestinienne, « parlant dans des conditions d’anonymat »,
a dit ceci à Erlanger : « Les Arabes sont venus ici
non pas parce qu’ils aiment les juifs ou même les Palestiniens.
Ils sont venus parce qu’ils ont besoin d’une alliance stratégique
avec les États-Unis contre l’Iran. »
Dan Gillerman, l’ambassadeur israélien
pour les Nations unies, ajouta que les régimes arabes étaient présents
à cause « de leur peur de l’extrémisme islamiste en
Iran, qu’ils appellent la menace perse. C’est ce qui les a
amenés ici. »
Le Jerusalem Post était également
candide en déclarant que la rencontre d’Olmert avec Bush après
Annapolis allait chercher à « traduire le momentum du
sommet en un effort plus efficace pour bloquer la monté nucléaire
de Téhéran ». Il était satisfait qu’« aux côtés
des États arabes, des partenaires vitaux pour les États-Unis et
Israël dans leurs efforts de bloquer l’Iran étaient présents
à Annapolis : la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie,
la Chine et la Russie, chacun représenté par son ministre des
Affaires étrangères ».
La Chine et la Russie, présentées comme étant
« les deux principaux opposants à l’intensification des
sanctions », ont dit qu’ils allaient « réévaluer
leurs positions » après les discussions du Conseil de sécurité
des Nations unies, prévues le mois prochain, qui porteront sur
« l’étendue du mandat de l’Agence internationale d’énergie
atomique (IAEA) et le degré de collaboration des Iraniens aux
inspections », notait avec satisfaction le Post.
L’Iran savait parfaitement qu’il était
la cible des manœuvres de Washington à Annapolis. Téhéran a répondu
en annonçant le jour même de la réunion qu’il avait développé
un nouveau système de missile Ashura, qui a un rayon d’action
de 2000 kilomètres et est capable de frapper les bases israéliennes
et américaines au Moyen-Orient.
(Article original anglais
paru le 29 novembre 2007)
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Publié le 4 décembre 2007 avec l'aimable autorisation du WSWS

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