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Oumma.com
L'écran
de fumée d'Annapolis
Bruno Guigue 
Abbas, Bush et Olmert - Photo CPI
Mardi
11 décembre 2007
Mêmes acteurs vieillis (ou presque), même scénario
répétitif : la dramaturgie d’Annapolis est censée
enclencher la même dynamique vertueuse que les défunts accords
d’Oslo. A l’approche d’une piteuse fin de mandat, le président
américain pousse les feux. En quatorze mois, nous dit-on, il
voudrait parvenir au règlement définitif d’un conflit
cinquantenaire. Extraordinaire magie du verbe, relayée par la
fascination universelle pour cette diplomatie à grand spectacle
dont le principal usage est de revêtir d’un substantiel écran
de fumée les ressorts mêmes du conflit qu’elle prétend régler.
Annoncée avec emphase pour la fin 2008, la paix
scellée au Proche-Orient viendrait ainsi auréoler la présidence
impériale d’une magnifique couronne d’olivier. Mais qui croit
vraiment à cette fable ? Se découvrant une vocation tardive
de grand pontife des liturgies internationales, George W. Bush
voudrait combler son déficit abyssal sur la scène de la paix
mondiale. On le comprend aisément, tant la tâche est lourde.
Jouant la montre, Israël de son côté fait à son grand
protecteur les concessions de façade auxquelles il est régulièrement
convié : du moment que l’essentiel est sauf, un peu de théâtre
ne nuit pas.
Quant aux Palestiniens, l’héritier de Yasser
Arafat fait figure de caution illusoire pour un processus qui se débat
dans les mêmes contradictions que celui d’Oslo. Comment le président
épuisé d’une Autorité fantomatique, politiquement
minoritaire, pourrait-il peser dans les négociations ? Et,
d’ailleurs, cherche-t-il vraiment à y peser ? Selon la
plupart des commentateurs, la seule « base » qui réunit
les protagonistes d’Annapolis est la crainte de la « montée
de l’islamisme » dans la région. L’arrière-pensée
d’Annapolis, c’est le Hamas en ligne de mire.
Mais du coup, l’appui américain à Mahmoud
Abbas est comme la corde qui soutient le pendu. Désormais située
dans l’orbite occidentale, la direction de l’OLP se résout à
l’impuissance. Pire, en épousant la logique du « contre-terrorisme »,
elle se condamne aussi à l’illégitimité. La défaite
politique du Fatah ne date pas des élections de janvier 2006,
mais du jour où l’Autorité a accepté les livraisons d’armes
israéliennes. Que l’OLP assume sans sourciller cette fonction
supplétive alors même qu’elle s’adosse, elle, au droit
international, est évidemment dévastateur pour la cause
palestinienne.
La tare originelle du processus d’Annapolis, au
demeurant, se lit entre les lignes de la déclaration finale. Israël
et l’OLP s’y engagent à « lancer immédiatement des négociations
bilatérales pour conclure un traité de paix résolvant toutes
les questions pendantes » et à « remplir immédiatement
leurs devoirs respectifs édictés par la feuille de route pour
une solution permanente à deux Etats ». Le programme est
alléchant. Mais les responsables israéliens ont aussitôt
claironné leur victoire en arguant que des négociations bilatérales
excluraient toute « pression extérieure ». Ainsi le
sort d’une éventuelle « conférence internationale sur le
Proche-Orient », jadis réclamée par la France, est-il
scellé d’avance.
La deuxième victoire d’Israël, c’est
l’absence de calendrier précis. Les deux parties ont simplement
accepté de « faire tous les efforts » pour « parvenir
à un accord avant la fin 2008 ». Démission de la communauté
internationale, échéancier non contraignant : en réalité,
Israël a défini à sa convenance le cadre des négociations à
venir. Adepte du rapport de force, l’Etat hébreu privilégie le
face-à-face avec les Palestiniens : dans le discret huis
clos des relations bilatérales, il met à profit son écrasante
supériorité pour ignorer superbement la loi internationale dont
se prévalent ses interlocuteurs. Héritier d’Ariel Sharon,
Ehoud Olmert a ainsi obtenu ce qu’il voulait : du bilatéral
à l’état pur, sans aucune obligation de résultat.
Du coup, la conclusion du processus risque fort
d’être conforme à ses prémisses. Il est clair que, du côté
américain, cette absence de résultat prévisible n’a pas la
moindre importance. Le principal intérêt de cette mise en scène,
c’est de montrer George W. Bush à pied d’œuvre le temps
d’une spectaculaire réunion au sommet. L’issue des négociations,
elle, dépendra du bon vouloir des deux principaux protagonistes,
c’est-à-dire du plus fort d’entre eux. Et ils assumeront la
responsabilité de l’échec qui s’ensuivra selon toute
probabilité.
Pour Israël, le principal objectif est
d’achever le processus de déréalisation du leadership
palestinien. Embrassant l’OLP pour mieux l’étouffer,
l’occupant la contraindra soit à avaliser un compromis déshonorant,
soit à se retirer du jeu à la dernière minute pour y échapper.
Dans les deux cas, l’Etat hébreu sera politiquement gagnant, en
ayant obtenu au surplus ce qui lui tient particulièrement à cœur :
davantage de temps pour intensifier la colonisation des
territoires occupés, afin d’y créer délibérément une
situation irréversible.
C’est pourquoi Ehoud Olmert a tant insisté pour
retenir, parmi les textes de référence, la lettre de George W.
Bush à Ariel Sharon (avril 2004) qui jugeait « irréaliste »
le retour aux frontières de 1967 et avalisait ainsi de nouvelles
annexions israéliennes en territoire palestinien. L’initiative
de paix du sommet arabe de Beyrouth (mars 2002), qui proposait à
Israël une reconnaissance unanime des Etats arabes en échange de
la restitution des territoires, en revanche, est restée aux
oubliettes.
Comment, dans ces conditions, ce qui a échoué en
1993-2000 aurait-il la moindre chance de réussir en 2008 ?
Les ressorts du conflit sont plus tendus que jamais, au point de
rendre parfaitement invraisemblable le succès d’un « processus
de paix » dicté par des considérations électorales exogènes.
Et le moins qu’on puisse dire est que les atermoiements, les
contradictions et la monumentale hypocrisie des grands acteurs
internationaux sont pour beaucoup dans le marasme qui sévit au
Proche-Orient.
Réclamées à grand cri par la communauté
internationale, les élections législatives palestiniennes de
janvier 2006 ont donné lieu à une nette victoire du Hamas.
Qu’importe : celle-ci fut aussitôt frappée d’illégitimité
par les puissances occidentales, qui infligent encore
aujourd’hui aux représentants légitimes du peuple palestinien
un ostracisme s’ajoutant à la répression exercée par
l’occupant. D’autant plus attachées à la démocratie, décidément,
qu’elles peuvent en déterminer elles-mêmes le résultat à la
place d’électeurs jugés immatures, ces puissances vont-elles désormais
proposer la « dissolution » du peuple palestinien ?
Présentée comme une prouesse achevant la geste
d’Ariel Sharon, l’évacuation de Gaza par l’armée israélienne,
elle, a finalement débouché sur le blocus de ce minuscule
territoire où un Fatah moralement déliquescent a été chassé
du pouvoir par ses rivaux islamistes. Et cet affrontement
fratricide a créé le ferment d’une meurtrière guerre civile
qui, en ruinant la cohésion du camp palestinien, offre à la
puissance occupante une formidable rente de situation et contribue
à éloigner davantage la perspective d’un règlement équitable.
C’est dans cette atmosphère délétère que le
prurit diplomatique de Washington, après des années de léthargie,
vient accoucher subitement d’un énième processus de paix
auquel personne ne croit. Mais les paramètres du conflit, eux,
sont connus de longue date. Dictée par le droit international,
esquissée à Taba puis à Genève, la solution du conflit passe
par la restitution des territoires occupés, le démantèlement
des colonies et la mise en œuvre d’une solution équitable au
problème des réfugiés, laquelle suppose la reconnaissance
officielle du préjudice infligé aux Palestiniens en échange du
renoncement à l’application intégrale du droit au retour.
Cette issue au conflit, l’OLP en a fait son axe
stratégique majeur depuis le conseil national d’Alger en
novembre 1988, et elle s’est engouffrée dans la brèche d’Oslo
en espérant y parvenir par la voie diplomatique. Le Hamas, de son
côté, l’a acceptée du bout des lèvres depuis 1995, date à
laquelle Cheikh Yassine a proposé une trêve de longue durée à
l’Etat hébreu contre la libération des territoires occupés.
Mais flairant dans les accords d’Oslo un marché de dupes, le
Hamas leur reprocha leur manque de clarté politique, l’absence
de calendrier contraignant et le déséquilibre du processus au
profit d’Israël. Déjà ..
Soumis en toute impunité à un enfermement sans
équivalent sur la planète, on ne voit pas pourquoi les
Palestiniens devraient aujourd’hui désavouer ceux de leurs représentants
dont l’analyse politique a été confirmée par les faits.
Quotidiennement pris en otages par l’occupant, abandonnés par
une communauté internationale assujettie à l’hyperpuissance,
victimes d’une croissance ininterrompue des colonies qui
atteignit son apogée durant le processus de paix (1993-2000), nul
doute qu’ils sont vaccinés, eux, contre la trompeuse euphorie
des conférences internationales.
Bruno Guigue, Diplômé de l’ENS et de
l’ENA, auteur de "Proche-Orient : la guerre des
mots", L’Harmattan, 2003.
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