[Marre de l¹occupation !! Marre de la colonisation !! Comment mieux
résumer cet article rageur de Yossi Sarid, dont la parabole sur l¹usine de
cornichons qui n¹a jamais vu le jour à Ramallah, ne fait qu¹ajouter
une touche amère, parce que banale, au tableau trop connu de l¹occupation]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/726493.html
Ha¹aretz, 14 juin 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
A Djakarta, on s¹inquiète de l¹éruption du volcan Merapi, l¹un
des plus dangereux du Pacifique. Ces dernières semaines, il émet des gaz et
de la lave, et les paysans effrayés qui vivent à son pied se préparent
au pire.
Chez nous, d¹un autre côté, alors que l¹été s¹annonce, la
chaleur nous envoie somnoler l¹après-midi, et chacun choisit son type de sieste
: la Coupe du monde, les chutes de tension électrique, le professeur
Braverman. Pas en Indonésie, mais ici, la terre bouge et les ciels d¹été
s¹assombrissent, comme si nous vivions à l¹ombre du volcan qui va
exploser : nous vivons des jours à la Pompéi.
Cette semaine, il y aura 39 ans que la guerre des Six jours s¹est
terminée et que l¹occupation a débuté. Cette semaine, Israël entame sa
quarantième année en tant qu¹occupant. Est-ce vraiment ainsi, ou s¹agit-il d¹un
mauvais rêve ? Non, cela a eu lieu, 40 ans de cauchemar, et cela continue.
Parfois, il semble y avoir des signes à l¹horizon qui en indiquent la fin,
mais ce ne sont que des signes. Il n¹y aura pas de fin à cette histoire si l¹avenir
doit être fait de la Feuille de route ou du plan de convergence
unilatéral.
A son début, l¹occupation était pleine de bonnes intentions et
elle était censée être "éclairée". Or, l¹inhumaine histoire du
genre humain ne connaît aucun cas de "bonne" occupation qui ait bénéficié à l¹occupé.
Mais le cerveau juif est inventif. Le problème, c¹est que, cette fois, l¹invention
n¹a pas marché. L¹occupation est une occupation qui est elle-même
une occupation, avec la dureté de c¦ur et les maux qu¹elle entraîne.
Israël se regarde dans le miroir et a du mal à se reconnaître.
L¹image qu¹il nous renvoie depuis 1967 est-elle la même qu¹avant
? Il vaut mieux, de rage, casser le miroir en mille morceaux plutôt que voir
notre image nauséabonde. Ces yeux de fous, sont-ce les nôtres ?
Ces beaux jeunes gens qui marchaient dans les champs, se sont-ils transformés
soudain en gros porcs ? Et ce gros, là, est-ce vraiment toi, Yeshurun (2) ? O,
Yeshurun, nous avons mangé un tas de McDonalds, un tas de pizzas,
nous avons dévoré la terre comme des locustes et n¹avons laissé à nos
voisins que des miettes. Dégoûtante image que le miroir nous envoie.
Après tous les pays colonialistes, où le soleil ne se couchait
jamais, bien après qu¹ils eurent quitté leurs colonies, Israël décidé de
faire revivre le vieux colonialisme. Pourquoi apprendre une leçon amère de l¹expérience
d¹autres, quand on peut l¹apprendre seul, dans sa propre chair ?
Alors, allons-y, et apprenons, à la dure. L¹Angleterre, la France, la
Hollande, l¹Espagne et le Portugal et l¹URSS et la Yougoslavie, qui n¹existent
plus ont quitté, de gré ou de force, des terres qui ne leur
appartenaient pas pour se sauver d¹eux-mêmes. Et seul Israël gaspille encore ses
forces à se protéger de lui-même, comme s¹il avait le choix, comme s¹il n¹était
pas déjà vaincu par l¹assaut de ses forces contre ses propres forces.
L¹imbécile dans son conseil, le Conseil national pour la Sécurité,
se fait encore des illusions. Les yeux de Giora Eiland sont encore dans le
vague, parce qu¹il a regardé directement le soleil pendant l¹éclipse.
Le désengagement de Gaza a été une erreur, pense-t-il, et la
convergence en Cisjordanie ne fera que la renforcer, parce que nous n¹avons reçu
ni ne recevrons rien en échange. Absurde, tout simplement absurde ! Vanité
des vanités ! Bien sûr que nous allons recevoir quelque chose en échange,
et nous ne le recevrons de personne d¹autre que de nous-mêmes, de nos
propres mains qui nous offriront le plus beau cadeau de tous pour notre 60e
anniversaire, un cadeau qui sauvera des vies : partir sans jamais
revenir.
Et il n¹y aura pas de demi-sortie.
Nous ne fûmes pas des héros, sauf pour certains albums d¹histoire,
parce que nous n¹avons pas su dominer nos émotions. A la place, nous avons
conquis et dominé des territoires. Aujourd¹hui, à retardement, le moment est
venu de nous lever comme des lions, de surmonter nos émotions, notre désir
de conquête, et libérer notre désir de vivre. Israël, bien qu¹il
ait péché contre lui-même, redeviendra Israël, Tsahal redeviendra la force
armée d¹Israël (3) et Yeshurun cessera d¹être un Déroulède.
J¹aurais pu rappeler l¹image de ce père palestinien, tentant de
protéger son fils Mohammed des tirs des snipers aveuglés par les projecteurs.
Mon fils, mon fils, si seulement j¹avais pu donner ma vie pour toi. Et j¹aurais
pu rappeler cette image, vue ce week-end, de la petite Huda, pleurant
sa famille morte, et sa voix, sur la plage : "père, père, où
est-tu ?", et son père, muet, les yeux déchirés. Et j¹aurais pu appeler des
milliers de témoins vivants et morts pour témoigner de leurs fins soudaines.
Mais, au lieu de tout cela, j¹ai choisi une histoire qui raconte la banalité
de
l¹occupation, sans sang et sans larmes.
Il y a de nombreuses années, avant la première Intifada, des
connaissances palestiniennes de Ramallah me demandèrent de l¹aide. Ils
souhaitaient avoir l¹autorisation de monter une usine de production de cornichons. Ils
s¹étaient adressés aux autorités, mais n¹avaient pas reçu de réponse.
Je promis d¹aider. Pourquoi pas. Ils investiraient et emploieraient
quelques dizaines de personnes, et feraient du profit. Je m¹adressai à
l¹Administration civile, qui m¹envoya sur les roses, moi aussi.
"Tu es fou ?", me demanda-t-on dans cette administration,
"s¹ils montent cette usine, c¹est toute notre industrie de cornichons qui va faire
faillite". L¹occupation n¹est même pas prête à renoncer au
cornichon.
Alors, je compris. Comment ne pas comprendre, d¹ailleurs, toute la
doctrine du colonialiste alors qu¹il se tenait devant moi sur un pied (4) ?
C¹était cela, le colonialisme, dans tout son parasitisme délibéré et
mauvais, et cette histoire vaut pour les jours que nous connaissons, entre des
négociations qui n¹auront pas lieu et une convergence vers des
blocs qui ne résoudront rien.
Quand comprendrons-nous que seules les lignes de 1967 sont les
frontières qui défendront l¹Etat juif et démocratique de la bestialité ? Et
qui, à part nous, se souciera de notre bestialité ? Ou alors, peut-être que désormais,
nous nous en fichons ?
(1) Yossi Sarid est ancien ministre et ancien secrétaire général
du parti Meretz.
(2) Avot Yeshurun est un poète israélien qui a beaucoup écrit, il
y a longtemps, sur la tragédie des réfugiés palestiniens. Récemment,
un premier recueil de ses poèmes a été traduit en français et publié ches
Actes Sud : La Faille Syro-africaine.
(3) Tsahal est l¹acronyme de "Tsva Hagana leIsrael", qui
signifie "armée de défense d¹Israël".
(4) Allusion (est-il nécessaire de préciser ?) à l¹histoire de
Shamaï et de Hillel, sommés tous deux de résumer la Torah en se tenant sur un
pied. Pour plus de détails, lisez et apprenez J S
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