[à partir d¹un livre sur le comportement des intellectuels juifs
allemands lors de la guerre 14-18, Sarid nous offre une réflexion
sur la guerre, sa vanité et les passions nationalistes malsaines qu¹elle
déchaîne. Méditation adressée à Ehoud Olmert et à Amir Peretz]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/711798.html
Ha¹aretz, 2 mai 2006
Trad : Gérard pour La Paix Maintenant
Je viens enfin de terminer la lecture du livre d¹Amos Elon,
"Dommage : une Histoire des Juifs en Allemagne 1743-1933".
Son chapitre le plus passionnant, intitulé "la Fièvre de la
Guerre", décrit la période avant, pendant et après la guerre
14-18. Instructif et effrayant : qu¹est-il arrivé à ces écrivains,
à ces poètes, journalistes, savants, musiciens et peintres pour qu¹ils
aient pu être à ce point aveuglés? Pourquoi ont-ils perdu tout
bon sens et ont-ils cédé à une euphorie insensée? Comment des
intellectuels ont-ils été emportés par ce militarisme
nationaliste qui a gonflé les voiles de la guerre la plus stupide
de l¹ère moderne?
Cette guerre a éclaté parce qu¹une bande de politiciens et de généraux
autrichiens et allemands a exploité, au nom de leurs lubies et de
leurs fantasmes, l¹assassinat d¹un prince héritier à Sarajevo.
Après qu¹une guerre longue et insensée eut éclaté, l¹ambassadeur
à Londres fut assassiné. Dès les premiers jours, comme c¹est le
cas pour la plupart des guerres, les intellectuels trahirent leurs
engagements, marchèrent au pas avec la foule et firent allégeance
à la campagne guerrière qui commençait.
Parmi cette foule d¹intellectuels qui marchèrent au pas, il y
avait, entre autres, Thomas Mann, Stefan et Arnold Zweig, Max
Reinhardt, Max Lieberman et Max Weber, connus pour la plupart pour
leurs positions pacifistes. Amos Elon ajoute une liste de sionistes
: Shmuel Hugo Bergman, Siegfried Moses, Kurt Blumfeld, Nahum
Goldman, Martin Buber et beaucoup d¹autres. Sigmund Freud, lui
aussi, s¹est laissé tenter par les sirènes de la guerre, mais ses
passions firent long feu : il fut l¹un des premiers à retrouver
ses esprits.
Seuls quelques-uns osèrent résister au bon moment sans se laisser
emporter par le flot des mensonges : des politiques comme Rosa
Luxembourg, Edward Bernstein et Karl Liebknecht, et quelques
intellectuels comme Albert Einstein, Karl Kraus et Arthur
Schnitzler. Que leur mémoire soit préservée.
Ce livre est un avertissement universel contre les charmes et les
mensonges des guerres condamnables. Un clignotant rouge, ou noir,
brun, vert ou bleu et blanc qui nous prémunit contre le flot d¹émotions
et la montée d¹adrénaline que connaissant les hommes qui partent
à la guerre au nom d¹une paix qu¹ils invoquent en vain.
Une fois encore, nous allons définir ce qu¹est pour nous une
guerre, et tenter d¹enseigner cette définition aux autres, et en
particulier au nouveau ministre de la défense, le civil Amir Peretz,
qui pourrait se laisser tenter par les "professionnels" au
cours de sa formation à son nouveau poste :
toute guerre qui peut être évitée et ne l¹est pas est une faute
et doit être interdite. Toute guerre faite par choix naît dans le
péché, et le péché porte en lui son châtiment. Toute guerre
destinée à satisfaire une volonté d¹expansion est maudite : elle
finira par poursuivre ses auteurs et les faire chuter. Toute guerre
qui résulte en une occupation est condamnée à devenir complexe,
à corrompre, et au bout du compte, à échouer. Toute guerre destinée
à donner une leçon, à frapper un ennemi en employant ses mêmes
moyens, à se venger ou même simplement à dissuader, finira par
provoquer d¹immenses chagrins et des victimes innocentes. Toute
guerre qui n¹a pas défini à l¹avance des objectifs politiques réalisables
ne fera qu¹empirer la situation qui prévalait auparavant, cette même
situation qui a mené à la guerre.
Au vu de ces critères, Israël n¹a pas connu de guerres, seulement
des aventures. Seule la guerre d¹indépendance fut une guerre à la
vie ou à la mort, une guerre sans choix : si nous ne l¹avions pas
gagnée, nous n¹aurions pas survécu. On décrit la guerre des Six
jours comme une guerre de salut national, mais ce n¹est pas le cas.
Les menaces qui pesaient sur Israël à l¹époque auraient pu être
contrées par des actions militaires limitées, sans prendre le pays
au piège dans cette poubelle qu¹est l¹occupation, de laquelle
nous n¹avons pas encore réussi à sortir. Quand tous ou presque
pleuraient d¹émotion pour le Mur des Lamentations et d¹excitation
à l¹idée d¹un troisième Royaume, seuls quelques-uns pleuraient
les destructions.
Beaucoup d¹intellectuels, alors, se sont empressés de marcher au
pas pour former le mouvement pour le Grand Israël. La plupart,
depuis, l¹ont regretté.
Les 50 années à venir seront meilleures et moins mortelles nous
en faisons la promesse si les hommes d¹Etat dirigent le pays et
si les militaires dirigent l¹armée, et seulement l¹armée. Et si
les uns comme les autres comprennent que la guerre est passée de
mode, parce qu¹il n¹y a plus ni vainqueurs ni vaincus. Et si nous
ne comptons pas sur les intellectuels, car seuls quelques-uns d¹entre
eux savent se protéger de l¹ivresse le jour où l¹ordre de
mobilisation est donné. Et si nous ne comptons pas sur les faiseurs
de paix professionnels, les pacifistes de conscience et les
combattants anti-guerre à qui une jolie petite guerre leur
donnerait l¹occasion de montrer leur loyauté à leur cour et à
leurs thuriféraires.
Aujourd¹hui, journée en mémoire des victimes tombées au cours
des guerres, nous dénombrons 22.123 personnes. La douleur de les
avoir perdus ne fait qu¹empirer. Plus il y aura de guerres, plus il
y aura de douleur.
Aujourd¹hui, nous nous recueillons devant leurs tombes, avec un
chagrin éternel, mais aussi avec ce sentiment terrible d¹avoir
manqué des occasions.
Tant et tant que nous aimions auraient pu vivre sans avoir à
mourir.
Sentiments de deuil et échec, mêlés.
(1) Yossi Sarid est ancien ministre et ancien secrétaire général
du parti
Meretz
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