Site d'information sur le conflit israélo-palestinien

 

Palestine - Solidarité

 

Retour : Accueil Analyses  - Ressources  -  Mises à jour



Lorsque nous disons "nous"

Yitzhak Laor



Haaretz, 9 mars 2006

www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=692132

Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/691904.html


Le soupir de soulagement qui est sorti de bien des poitrines lorsque le film palestinien « Paradise Now » ne s’est pas vu attribué d’Oscar et la pétition lancée avant la cérémonie peuvent susciter quelques tristes réflexions chez celui qui a vu le film et en particulier chez celui qui sait à combien de critiques il a eu droit dans la société palestinienne. Mais la pétition peut aussi expliquer où en est la société israélienne, trois semaines avant des élections qu’on a partout qualifiées d’ « ennuyeuses » sans que personne ne se soit arrêté sur la nature de cet ennui.

L’opposition des familles de victimes, et à ce titre-là, à la « reconnaissance internationale » d’un film où les terroristes-suicide redeviennent des êtres de chair et de sang est parfaitement compréhensible. Après tout, ce qui est arrivé à ces familles et à leur proche entourage, il est plus facile, plus consolateur, de le prendre comme un coup du ciel, de la part du diable, au nom de la haine portée contre nous, au nom de ce qui ne peut être autrement. A qui ferons-nous grief de cette mort, une mort tellement politique, c’est-à-dire toute entière liée à des décisions politiques prises par des êtres humains ? A qui en ferons-nous grief si ce n’est au diable ou au mal incarné qui est le mal contre lequel on ne peut rien, sinon continuer à faire exactement ce que nous avons fait, conserver nos faveurs aux mêmes, et ne pas nous examiner, fût-ce un instant. Si ce que nous avons fait était une guerre totale, alors bonne idée : redoublons la guerre ! Le deuil n’est pas une scène commode pour un examen de conscience.

Supposons par exemple qu’une partie de ces victimes en vie dont des proches ont perdu la vie marquent pour eux-mêmes le calendrier des événements au cours desquels leurs proches ont été touchés. Supposons qu’il vienne à certains d’entre eux un doute à propos de la « politique d’assassinats ciblés » de l’armée israélienne. Cette politique a débuté avant les grands attentats de la seconde Intifada. Certains de ces assassinats ont mis fin à des moments d’accalmie et de cessez-le-feu. Certains étaient sans aucun doute une vengeance à des assassinats. Quelqu'un parmi les signataires de la pétition, et dont la peine est si grande, a-t-il jamais demandé aux chefs de l’armée, dans une lettre ou dans une pétition, combien de victimes étaient prises en compte au moment de décider d’un « assassinat ciblé » ? Combien de fois la décision d’un « assassinat ciblé » a-t-elle été une espèce de « war game » dont les développements futurs intégraient aussi un grand attentat de représailles en cours de route ?

Jusqu’à ce jour, bien que la deuxième Intifada se soit placée sous le signe des assassinats-attentats-assassinats-attentats (ou l’inverse. Il importe assez peu actuellement de savoir « qui a commencé »), il n’y a pas eu de clameur des familles détruites contre l’aventurisme militaire. Aussitôt que l’armée israélienne a adopté la méthode, elle a même eu droit à l’approbatur d’un philosophe et même de la Cour suprême ; personne n’a pris la peine de dire : « Ceux-là ont parlé de verser le sang de l’ennemi. Mais qu’en est-il de notre sang versé ? » Pour cela, pas de philosophe, ni de Cour suprême.

Mais c’est pour cela qu’il y a la démocratie, pour débattre de la politique menée par l’armée et qui a ses responsables politiques. Personne n’a osé. Peut-être y a-t-il eu quelqu'un mais sa voix s’est noyée dans le vacarme, dans le « consensus ». Le deuil est plus terrible lorsque les doutes sont intérieurs, quand les questions sont politiques, quand elles s’adressent à « nos » généraux, à « nos » politiciens, et qu’il faut repenser notre vie sans ceux que nous aimions.

Et peut-être que, n’était ce « nous », nos chers disparus seraient encore auprès de nous. Vu comme cela, il est plus facile de prendre le monde comme un bloc, « nous » face à un autre bloc, ceux qui nous haïssent, quelque chose d’inhumain, de religieux, de mystique. Nous sommes bons, eux sont des monstres.

Voici un décodage facile, peut-être trop facile, mais qui néanmoins explique l’ennui des élections : nous sommes devenus un Etat Likoud A (Likoud) et Likoud B (« Kadima »). Les différences sont dérisoires. Il suffit de voir la poursuite de la politique des « assassinats ciblés » et la place de l’armée dans cette politique aventurière pour comprendre qu’il n’y a pas de différence entre les deux. Pourquoi y en aurait-il ? Quand Ehoud Olmert, Tzipi Livni et Shaul Mofaz auraient-ils cessé au juste d’appartenir au « camp national » ?

Aucune des parties vociférantes qui participent au débat sur la politique et la sécurité, autrement dit qui contribuent à créer le monde de l’électeur, n’est en mesure de penser autrement qu’avec l’idée d’un grand bloc, « nous », face au mal. Et à cet égard, il y a aussi le Likoud C : l’union nationale. C’est sur fond de cette transformation de l’électorat israélien en un « nous sommes tous Likoud » qu’il faut lire le défi d’Amir Peretz et l’absence de réponse à ce défi : repenser la division, la fragmentation, la politisation, le mal et le bien en nous, sans recourir, pour la rubrique « mal », à « l’ennemi », à la guerre contre le terrorisme.

De là ce grand pessimisme : les Israéliens sont-ils capables de penser ce qui les divise, sans avoir besoin d’un ennemi extérieur ?


(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)


 Source : Michel Ghys


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.

Retour  -  Ressources  -  Analyses  -  Communiques  -  Accueil