Ha'aretz, 12 octobre 2005
Trad. : Gérard pour LPM
Desmond Tutu dit dans son livre "Pas d'Avenir sans Pardon
que les Noirs et les Blancs d'Afrique du Sud ont réussi à
surmonter sans effusion de sang les profonds ressentiments du passé
grâce au mécanisme de réconciliation nationale appelé la
Commission pour la Vérité et la Réconciliation. Cette commission
a été créée par décision commune des leaders de la minorité et
dela majorité pour permettre à ceux qui avaient commis des
injustices de confesser leurs crimes, et aux victimes de les
pardonner.
Ce long processus a été suivi par tout le monde en Afrique du Sud,
et créé une atmosphère de purification : les Blancs se sont
repentis pour les actes concrets de cruauté qu'ils avaient commis
contre les Noirs, et les Noirs ont témoigné de leurs souffrances,
ainsi que d'actions de représailles choquantes commises contre
leurs oppresseurs. Desmond Tutu pense que ce
processus a permis d'exposer les atrocités du régime d'apartheid
tout en créant une dynamique de réconciliation, car il impliquait
à la fois la reconnaissance par les responsables des injustices
qu'ils avaient causées, et une volonté de la part des victimes
d'accepter les confessions des
auteurs des crimes et de leur pardonner.
En science politique, on s'accorde pour dire qu'une cérémonie de
demande de pardon, ou un processus structuré de réconciliation,
sont des composantes essentielles dans la résolution des conflits.
Sans eux, les braises du conflit continueront à rougeoyer et le feu
est susceptible de reprendre.
Les conflits violents peuvent se détendre à des degrés divers :
par une déclaration de cessez-le-feu, un accord de non belligérance,
une transition vers une guerre froide, etc. Mais une véritable résolution
est impossible sans une phase de réconciliation.
Les problème est que les parties qui se font la guerre ont en général
du mal à parvenir à ce stade. Pour se réconcilier, il faut
pouvoir s'identifier à la perception par l'ennemi de la
signification et des causes du conflit, reconnaître sa culpabilité
pour les injustices commises envers l'autre partie, et abandonner
tout désir de vengeance. Pourtant, cette réconciliation est
essentielle, parce qu'elle place les deux parties sur un pied d'égalité,
qu'elle déclare les deux côtés à la fois victime et auteur de
crimes, et qu'elle leur permet de s'accorder sur un dénominateur
commun et laisser ainsi leur conflit derrière eux, en même temps
que les atrocités
réciproques.
Ce soir, le jour où les juifs confessent leurs péchés, disent
"pardonne-nous" et demandent le pardon de leurs frères
humains, est un moment approprié pour réfléchir à la question de
savoir si le temps n'est pas venu d'entamer un processus organisé
de réconciliation avec le peuple
palestinien.
La dimension émotionnelle influence la relation d'Israël avec les
Palestiniens, bien davantage qu'elle n'influence le conflit avec le
monde arabe, et en particulier avec les Etats arabes voisins. Dans
la querelle avec les Palestiniens, il ne s'agit pas seulement de
terres et de frontières. Il y a aussi une dimension existentielle.
Les deux nations sont entremêlées sur un seul morceau de terre qui
manque de frontières claires.
Il y a dans ce conflit une dimension "être ou ne pas être"
qui joue sur la capacité des deux côtés à préserver leur
identité nationale respective. Cent années de sang versé pèsent
sur les consciences des deux côtés, et le fait qu'ils soient si
proches augmente leurs angoisses, les expose au désarroi de l'autre
côté et sape leurs valeurs fondamentales.
Il sera difficile de ne calmer ce maëlstrom émotionnel que par des
accords diplomatiques, surtout s'ils sont imposés ou unilatéraux.
Ce qui est nécessaire, c'est une intervention thérapeutique, qui
pourrait être fournie si un processus de réconciliation était
lancé.
Les Israéliens et les Palestiniens ont les uns pour les autres un
sentiment d'horreur. Dans le meilleur des cas, ils se traitent en étrangers,
en général avec suspicion, et parfois à travers des prismes qui
attribuent à l'autres côté des caractéristiques démoniaques. Un
processus de
réconciliation ne les fera pas devenir amis, mais il leur
permettra, peut-être, de tourner une page et de se concentrer sur
la construction d'un avenir meilleur. Le but du processus ne serait
pas exactement de rechercher le pardon, mais plutôt d'aspirer à la
reconnaissance des injustices et à la volonté de les expier par
des actes.
|