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Le piège

Uri Avnery

 



Peretz a besoin d’un certificat de sécurité pour se préparer au prochain round de la bataille pour le poste de Premier ministre. C’est pourquoi il a accepté le poste de ministre de la Défense, sachant que cela pourrait se transformer en désastre.

QUAND VOUS voyez une personne prête à se faire prendre dans un piège, vous criez : « Attention ! » Mais quand vous voyez une personne prête à se faire piéger en connaissance de cause, les yeux ouverts, qu’êtes vous censés faire ?

AMIR PERETZ va devenir ministre de la Défense et il sait que c’est un piège. Alors pourquoi le fait-il ?

Ses mobiles sont clairs et compréhensibles. Pour effectuer un changement fondamental de stratégie politique et sociale, il doit devenir Premier ministre. Cela satisfera son ambition personnelle aussi. Mais en Israël, pour devenir Premier ministre, on a besoin d’une carte de visite militaire.

Les dernières élections l’ont encore démontré. Peretz voulait gagner comme candidat « social ». Tous les sondages avaient prouvé qu’il était vraiment perçu par la majorité des électeurs comme le candidat le plus crédible sur les questions sociales. Mais la bataille a été gagnée par le candidat qui a été capable de fixer le terrain sur lequel se mènerait la lutte. Peretz n’a pas réussi à placer les objectifs sociaux sur le devant de la scène. Olmert a réussi à y maintenir la sécurité.

La victoire du Hamas aux élections palestiniennes, le lancement continuel de fusées Qassam depuis la bande de Gaza sur Israël, l’attaque par l’armée israélienne de la prison de Jéricho, la pression grandissante de la menace nucléaire iranienne, tout cela a mis les problèmes sociaux de côté. Les gens ne sont pas prêts à voter pour une personne « sans expérience en matière de sécurité ».

Pendant les trente dernières années, Israël a eu sept Premiers ministres. Trois (Yitzhak Rabin, Ehoud Barak et Ariel Sharon) étaient des généraux. Deux (Menahem Begin et Yitzhak Shamir) étaient connus comme d’anciens chefs de groupes armés clandestins, et Shamir avait aussi été agent du Mossad. Un (Shimon Pérès) était ancien ministre de la Défense et père de la bombe atomique israélienne. Benyamin Netanyahou n’était que capitaine dans une unité de commando, mais il tirait gloire de son héroïque frère, Jonathan, qui avait été tué dans le raid d’Entebbe.

Peretz a besoin d’un certificat de sécurité pour se préparer au prochain round de la bataille pour le poste de Premier ministre. C’est pourquoi il a accepté le poste de ministre de la Défense, sachant que cela pourrait se transformer en désastre.

EN PRENANT la charge de ministre de la Défense, Peretz aura à choisir entre se joindre aux cannibales ou être mangé par eux.

Dans le couloir conduisant à son nouveau bureau, les photos de tous ses prédécesseurs sont accrochés. Il serait bien avisé de marquer une pause pour un temps de réflexion devant le portrait du second de la rangée, Pinhas Lavon.

Comme Peretz, Lavon a été un travailliste manquant de toute « expérience militaire ». En 1953, David Ben Gourion a surpris tout le monde en le choisissant comme son successeur au ministère de la Défense. A l’époque aussi, il y en avait qui soupçonnaient que c’était un piège. Ben Gourion, qui s’était retiré temporairement au Neguev, avait transmis le job à la personne la plus inadéquate, afin de ne pas avoir de rival efficace quand il déciderait ou s’il décidait de revenir.

Lavon, jusqu’alors la plus blanche des colombes, s’est transformé d’un seul coup en un terrible faucon. Par exemple, après que des soldats eurent détruit les meubles d’une famille arabe en fouillant la maison, il a remarqué avec cynisme : « Ce n’était pas de l’acajou, n’est-ce pas ? » (Après cela, nous, au magazine Haolam Hazeh, nous l’avons appelé « Pinhas Acajou ».) Il a autorisé des « raids de représailles » brutaux et a encouragé l’armée à saboter le régime du nouveau dirigeant égyptien, Gamal Abdel Nasser.

La fin a été lamentable. En suivant cette politique, l’armée a organisé une pseudo campagne de sabotage contre des cibles américaines et britanniques en Egypte afin de causer des dissensions entre l’Egypte et l’Occident. L’action a échoué, les agents ont été pris et les chefs de l’armée ont désigné Lavon qui a dû démissionner honteusement. (Cette « affaire » a eu des conséquences politiques très importantes qui ont peut-être même conduit à la chute de Ben Gourion lui-même.)

Jusqu’à présent, presque tous les ministres de la Défense étaient des généraux. Les quelques exceptions - Levy Eskhol, Shimon Pérès et Moshe Arens - ont choisi la voie facile. Ils ont tout simplement donné aux généraux tout ce qu’ils voulaient et adopté leurs conceptions. C’est pourquoi ils ont été considérés comme de « bons ministres de la Défense ».

SI PERETZ agit de cette façon, il trahira les espoirs placés en lui.

L’armée demandera qu’il autorise des « liquidations ciblées », qu’il élargisse les blocs de colonies (même si quelques colonies « isolées » sont démantelées), qu’il mette en place plus de barrages et, d’une façon générale, qu’il rende insupportable la vie de la population palestinienne. Au bout d’un an, aucune différence entre lui et ses prédécesseurs ne sera perceptible.

S’il veut la paix avec les généraux, il ne pourra pas faire de coupes significatives dans l’énorme budget militaire, ce requin qui dévore tout sur son passage. Sans coupes importantes, il n’y a aucune chance de pouvoir réaliser le changement social promis. Mais de telles coupes conduiraient à la mise en congé de milliers d’officiers et d’employés civils, y compris les employés bien organisés des industries militaires. Et c’est alors que l’on criera : Peretz met en danger la sécurité de l’Etat, il nous expose à la bombe atomique iranienne, il est responsable de la mort des victimes du terrorisme.

Pour être considéré comme un « bon ministre de la Défense », Peretz doit se contenter de coupes symboliques dans le budget et décevoir ceux qui ont voté pour lui.

S’IL DÉCIDE, au contraire, d’affronter les généraux, de réduire de façon significative le budget militaire et d’imposer aux militaires des conceptions politiques différentes, il se trouvera être un très petit David contre un très menaçant Goliath.

« L’establishment sécuritaire » israélien est un centre de pouvoir qui n’a d’équivalent dans aucun autre Etat démocratique. Il comprend non seulement l’énorme armée et toutes ses ramifications, les grosses industries militaires, le Mossad et le Shin Bet (qui non seulement sont sous son contrôle mais font des rapports directement au Premier ministre). Il comprend également des centaines de généraux à la retraite qui occupent des positions clefs dans toutes les sphères gouvernementales, politiques et économiques, et desquels on peut attendre qu’ils se soutiendront les uns les autres et qu’ils soutiendront les positions de l’état-major général.

L’armée israélienne n’est pas seulement un corps professionnel. Elle est aussi un foyer idéologique. Depuis sa période de jeune recrue jusqu’à l’acquisition des insignes de général, l’officier est soumis à un endoctrinement quotidien inconscient qui implante dans son cerveau des conceptions presque inamovibles. Il les garde avec lui quand il change de position, en devenant ministre du gouvernement (qu’il soit du Likoud ou du parti travailliste importe peu), patron d’une entreprise industrielle ou directeur général d’un service public important.

C’est un rouleau compresseur politico-idéologique auquel aucun gouvernement ne peut résister. Ariel Sharon, général victorieux, pouvait ici et là imposer son autorité aux militaires. Mais cela n’est pas possible à un gouvernement dirigé par trois simples civils : Ehoud Olmert (qui n’a presque jamais été soldat), Amir Peretz (jeune officier non combattant) et Tsipi Livni (rien à signaler sur le plan militaire). Ils auront peur d’être accusés par le chef d’état-major de ne rien comprendre aux affaires militaires et de mettre en danger la vie de soldats et de civils. D’autant plus que c’est l’armée occupe la position la plus importante de toutes, y compris peut-être celle de Premier ministre : le chef du service de renseignement de l’armée, qui porte seul la responsabilité de « l’évaluation nationale ».

Cette appréciation de l’état du monde soumise au gouvernement par les services de renseignement de l’armée, conditionne pratiquement toutes ses décisions politiques et sécuritaires. Aucun ministre ne se lèvera pour dire : « Chers camarades, c’est de la merde ! » Pas même après la révélation qu’un des derniers chefs du renseignement militaire avait systématiquement falsifié les rapports de ses subordonnés et donné au gouvernement une image délibérément fausse des intentions palestiniennes.

Le corps des officiers, par sa nature même, regarde les problèmes d’Israël à travers le viseur du fusil - c’est-à-dire en fermant un œil.

IL EST POSSIBLE que Peretz change la situation. Possible qu’il s’avère être un combattant courageux - imposant aux officiers supérieurs des conceptions politiques qui leur sont étrangères, en coupant dans le budget militaire et en insistant sur les principes moraux. Espérons-le.

Il y a des experts militaires qui disent que si Peretz essaie d’imposer ses conceptions, le chef d’état-major et ses généraux n’en feront qu’une bouchée. Les admirateurs de Peretz croient que ce sera lui qui quittera la table de ce repas cannibale l’estomac plein.

On dit qu’une personne habile sait comment se sortir d’un piège dans lequel une personne avisée ne serait pas tombée. Mais quand une personne tombe dans un piège les yeux ouverts, on peut seulement espérer qu’elle sait comment en sortir et au moins croiser les doigts pour elle.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 30 avril 2006 - Traduit de l’anglais « The Trap » : RM/SW


 Source : AFPS
 http://www.france-palestine.org/article3651.html


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