JE CROIS que ce
doit être quelque chose comme la quinzième fois que
j’écris ce genre d’article. A la veille de chaque
élection nationale, j’expose mes doutes et mes hésitations.
Je ne dis pas aux gens comment voter. Ce que
j’essaie de faire, c’est d’aider les électeurs
(moi compris) à organiser leur réflexion et à
parvenir à une conclusion logique, chacun suivant sa
propre conscience et sa conception des choses.
Je sais, bien entendu, qu’aucun de
nous ne fait son choix uniquement sur la base de la
logique. De nombreux facteurs influencent un électeur
qui se rend aux urnes, certains conscients, d’autres
inconscients. Loyauté familiale ou rébellion contre
elle, loyauté envers un parti, sympathie pour un
dirigeant ou antipathie pour un autre, appartenance à
un groupe ou à une communauté, les opinions des gens
qui l’entourent - tout cela a un impact. Mais les
gens rationnels et indépendants d’esprit
essaieront, malgré tout, de laisser parler la
logique.
Mes réflexions ne peuvent aider que
les gens dont les opinions sont plus ou moins
semblables aux miennes. C’est-à-dire les gens qui
croient que la conclusion d’une paix israélo-palestinienne
est essentielle pour l’avenir d’Israël,
qu’ignorer la moralité et la justice ne sert pas
l’intérêt national à long terme, que la
continuation de l’occupation est une calamité pour
nous tous, que nous pouvons parvenir à la paix par
des négociations avec la direction palestinienne, que
cette paix doit être basée sur la reconnaissance
mutuelle et le respect entre l’Etat d’Israël et
le futur Etat de Palestine, que la frontière entre
eux doit être basée sur la Ligne Verte, que Jérusalem
doit être la capitale des deux Etats.
Ceci posé, pour qui faudrait-il voter ?
AVANT TOUT, il y a
un impératif catégorique. Tout le monde doit voter !
Il est facile et tentant de dire :
il n’y a personne pour qui voter. Ce sont tous des
hypocrites corrompus. Il n’y a pas de réelle différence
entre eux. Alors pourquoi se creuser la tête ?
Pourquoi se salir les mains ? Pourquoi se
compromettre là-dedans ?
Cette position présume que
s’abstenir de voter renforce la position que défend
l’abstentionniste et affaiblit ses opposants. Ou que
cette protestation est enregistrée quelque part et a
ainsi une influence quelconque. C’est une grave
erreur. C’est un raisonnement totalement faux.
Voilà ce qui se passe en réalité :
quand une personne vote, elle soutient une certaine
liste électorale. Si elle vote pour la liste X, 100%
de son vote va à la liste X. Si elle ne vote pas ou
met un bulletin blanc, elle laisse les autres électeurs
déterminer le résultat. Elle n’utilise pas son
aptitude à faire pencher la balance. De fait, elle
confirme le choix fait par les autres. C’est comme
si elle divisait son vote entre la droite, le centre
et la gauche, suivant la distribution générale des
voix.
J’espère qu’aucun partisan de la
paix ne sera tenté de suivre cette voie inefficace.
APRÈS AVOIR décidé
de voter, nous devons déterminer les principales
considérations qui vont nous guider...
Dans ces élections, comme dans
presque toutes les précédentes, nous sommes face à
un dilemme : la liste la plus proche de nos
convictions n’est pas nécessairement celle qui
pourra le plus contribuer à les mettre en pratique.
S’il en est ainsi, qu’est-ce qui
est le plus important ? Vais-je me dire : je
dois donner ma seule et précieuse voix à une liste
la plus proche des choses auxquelles je crois même si
sa chance d’influencer les décisions dans les
prochaines années est minime, ou vais-je voter pour
une liste moins proche de mes opinions mais capable en
pratique d’avoir une influence sur les événements ?
Qu’est-ce qui est le plus moral -
affirmer ce que je crois et voter pour un parti qui
restera en dehors du cercle décisionnel, ou faire un
compromis sur les principes et voter pour un parti qui
a une chance de réaliser au moins une part des choses
dans lesquelles je crois ? En bref, voter pour le
désirable ou le réalisable ?
C’est un vrai dilemme, et il n’est
pas question de le minimiser. Je n’ai pas
l’intention de conseiller qui que ce soit sur son
choix. Chacun doit se prononcer en conscience. La
seule chose à laquelle je peux aider, c’est à
clarifier la signification de chaque choix.
LA LISTE la plus
proche des objectifs rappelés ci-dessus est Hadash,
avec en son centre le parti communiste.
Depuis la chute de l’Union soviétique,
beaucoup de questions que je me posais dans le passé
n’ont plus lieu d’être. Ni l’idéologie
marxiste ni la mémoire de Staline ne jouent plus
aucun rôle.
Le problème avec Hadash est tout
autre : c’est qu’il est perçu dans
l’esprit des gens comme un des « partis arabes ».
Dans la Knesset sortante, ce parti ne comptait aucun
membre juif. Dans la Knesset prochaine, il y en aura
probablement un : Dov Hinin, avocat, n°3 sur la
liste, une personne bien, compétente et active. Mais
le parti ne se défera pas facilement de l’image de
« parti arabe ». L’énorme majorité de
ses électeurs seront arabes et sa campagne électorale
est tournée presque entièrement vers les Arabes.
Cela n’empêcherait aucun
progressiste israélien de voter pour lui. Nous
voulons un Etat dans lequel tous les citoyens sont égaux,
quelles que soient leurs origines. Mais ce vote aura
un impact décisif sur la faculté du parti à
influencer la politique de l’Etat. Après tout,
notre but principal est de changer l’opinion de la
majorité en Israël puisque seul un tel changement
peut transformer la politique du pays.
Dès la fondation d’Israël, les
citoyens arabes ont été exclus du processus décisionnel.
C’est une situation honteuse, et nous devons lutter
de toutes nos forces pour y mettre fin. Mais il n’y
a absolument aucune chance que cela arrive pendant le
mandat de la 17e Knesset. Le groupe Hadash sera sur la
touche. La majorité des gens essaieront de
l’oublier.
Aussi, c’est là que nous devrons
prendre la première décision : voter pour un
parti d’opposition isolé, proche de nos opinions,
ou pour un parti moins proche mais qui peut - soit au
gouvernement, soit dans l’opposition - avoir une
influence sur la majorité ? La première branche
de l’alternative conduit à voter Hadash, la seconde
conduit à voter Meretz ou parti travailliste.
FAUT-IL VOTER pour
le Meretz ? Parmi les partis « juifs »,
c’est certainement le plus proche des positions
exprimées ci-dessus. Son dirigeant, Yossi Beilin, a
lancé l’Initiative de Genève il y a quelques années,
qui constitue le programme non officiel du Meretz.
Le Meretz ne fait pas secret de son désir
de participer au prochain gouvernementsi celui-ci est
dirigé par Ehoud Olmert. Cette position est problématique.
Olmert vise ouvertement l’annexion de larges parts
de la Cisjordanie. Etant donné qu’il ne présente
pas de carte définitive, cette annexion peut être
minimale (disons 15%) ou maximale (peut-être 55%) de
la Cisjordanie. Elle peut inclure toute la vallée du
Jourdain et les « blocs de colonies » -
terme inventé, assez curieusement, par Beilin lui-même.
Les blocs peuvent être plus ou moins étendus.
Si le Meretz entre au gouvernement, il
n’y aura absolument aucune opposition de gauche à
la Knesset, excepté les partis « arabes ».
D’un autre côté, le Meretz peut arguer que sa présence
au gouvernement peut aider à diminuer l’importance
de l’annexion.
Un des problèmes que me pose le
Meretz tient à Beilin lui-même. Récemment, il a eu
un déjeuner très médiatisé avec Avigdor Lieberman,
un des pires racistes. Après avoir partagé avec lui
de « savoureux harengs », il a annoncé
que Liebermann, l’homme qui n’est prêt à tolérer
aucun Arabe en Israël, est en fait un bon gars, un
compagnon raisonnable et compétent. Le début d’une
belle amitié.
Je suis sûr que les harengs étaient
délicieux. Mais il m’est très difficile de voter
pour un dirigeant capable de fréquenter un raciste
invétéré. Pis encore, de lui donner une légitimité
publique. Et à la veille d’élections par-dessus le
marché.
MA PLUS sérieuse
hésitation concerne le parti travailliste.
L’élection d’Amir Peretz à la tête
du parti m’a rendu très heureux. C’était
beaucoup plus qu’un simple changement de personne.
C’était un changement qualitatif dans la société
israélienne.
Pendant des dizaines d’années, nous
étions douloureusement conscients que plus de la
moitié des Juifs d’Israël, les « Orientaux »,
étaient dans leur écrasante majorité très éloignés
et déconnectés du camp de la paix qui aurait dû être
leur refuge naturel. J’ai toujours cru que la résolution
de ce paradoxe était notre tâche la plus importante
et la plus difficile. Et maintenant un dirigeant né
au Maroc a été élu à la tête du parti
travailliste. Cela brise tous les schémas établis
dans l’arène politique. Cela aura des conséquences
à long terme, sinon cette fois, du moins la
prochaine.
Je ne connais pas Peretz de près.
Mais il me fait l’impression d’un dirigeant
responsable, intelligent et fort, avec de solides
principes, non seulement dans le domaine social (ce
qui est déjà beaucoup) mais aussi en ce qui concerne
la paix. Il a une bonne expérience de négociateur,
et il comprend l’importance de la négociation avec
la direction palestinienne. Je regrette que cette
partie de son message ait été occultée, et presque
passée sous silence, par les experts en marketing qui
dirigent aujourd’hui la campagne du parti
travailliste.
Si on veut donner sa voix à un parti
qui a la meilleure chance d’avoir une influence sur
les décisions du prochain gouvernement, on peut voter
pour Peretz. Plus la part du parti travailliste sera
large par rapport à Kadima, plus sa part au
gouvernement et au processus de prise de décision
sera importante. Et aussi, plus la prise en main de
Peretz sur son parti sera forte contre les vestiges de
l’ère Pérès-Barak.
Une considération de plus plaide en
faveur de Peretz. En allant voter pour la 17e Knesset,
nous devrons avoir toujours en tête la 18e. En Israël,
les processus politico-psychologiques sont lents. (La
guerre du Kippour par exemple a déclenché une énorme
vague de colère contre les dirigeants du parti
travailliste, en particulier Golda Meir et Moshe
Dayan. Pourtant le grand changement n’a pas eu lieu
aux élections intervenues immédiatement après la
guerre mais quatre ans après.)
Je peux imaginer que, si Peretz gagne
assez de sièges, il deviendra un ministre important
dans le prochain gouvernement, acquerra une expérience
de gouvernement, libérera son parti de la vieille équipe
et y introduira un nouvel esprit. Il sera alors un
candidat très sérieux au poste de Premier ministre
aux prochaines élections qui peuvent avoir lieu dans
au plus un ou deux ans. Cela n’est pas certain, mais
c’est certainement possible.
D’un autre côté, s’il
n’obtient pas assez de voix, nous ne pouvons pas être
sûrs que le parti travailliste continuera dans la même
direction. De surcroît, il s’avèrera peut-être
qu’un vote en faveur du parti travailliste
renforcera réellement le programme sharoniste d’Olmert.
Après tout, le programme du parti travailliste
n’appelle même pas au changement de tracé du Mur.
On a l’impression que dans les élections
- contrairement aux autres événements politiques -
le choix est entre rester propre et pur et abandonner
l’opportunité que nous avons une fois tous les
quatre ans, ou saisir l’occasion pour essayer de
faire pencher la balance dans notre pays pour rendre
la paix un peu plus proche.
Un choix difficile.
Article publié le 25 mars 2006 en hébreu et en
anglais sur le site de Gush Shalom - Traduit de
l’anglais « Whom To Vote For » :
RM/SW