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Pitié pour l’orphelin

Uri Avnery

 

 
Cette semaine, à la veille des élections dans lesquelles on s’attend à ce que le Hamas remporte une part significative des suffrages, l’image à Bil’in de militants du Hamas marchant à côté de militants pacifistes israéliens était importante. Parce que bientôt le Hamas entrera au Parlement palestinien et peut-être aussi au gouvernement.

C’ETAIT un jour plein de couleurs à Bil’in. Des drapeaux de partis politiques de toutes les couleurs flottaient dans la brise vivifiante, des posters électoraux et des graffitis colorés ajoutant leur touche. C’était la plus importante manifestation depuis longtemps dans le village assiégé. Cette semaine, la protestation contre la Clôture s’est mêlée à la campagne électorale palestinienne.

Je marchais joyeusement dans le soleil hivernal, tenant haut l’emblème de Gush Shalom avec les drapeaux d’Israël et de Palestine côte à côte. Nous approchions de la rangée de soldats armés qui nous attendaient, quand j’ai soudain réalisé que j’étais entouré de drapeaux verts du Hamas.

Des Israéliens ordinaires auraient été sidérés. Quoi, des terroristes marchant en rang avec des militants pacifistes israéliens ? Des Israéliens marchant, parlant et plaisantant avec de potentiels kamikazes ? Impossible !

Mais c’était tout naturel. Tous les partis palestiniens participaient à la manifestation, avec les militants israéliens et internationaux. Ensemble ils couraient pour échapper aux nuages de gaz lacrymogènes, ensemble ils se lançaient à travers les rangées de soldats, ensemble ils étaient frappés. Les drapeaux verts du Hamas, jaunes du Fatah, rouges du Front démocratique et le drapeau israélien bleu et blanc de nos emblèmes étaient en harmonie, comme les gens qui les portaient.

A la fin, beaucoup d’entre nous ont improvisé une sorte de concert de protestation. Debout le long de la grille métallique de sécurité, Israéliens et Palestiniens, ensemble, nous avons frappé en rythme avec des pierres sur cette grille, produisant quelque chose comme un tam-tam africain qui pouvait être entendu des kilomètres à la ronde. Les colons orthodoxes de la ville voisine de Mod’in-Illit ont dû se demander ce que cela signifiait.

LA PARTICIPATION de tous les partis palestiniens était en soi un phénomène important. Elle était sans aucun doute encouragée par les élections palestiniennes, prévues pour mercredi prochain. Il était curieux de voir les mêmes visages sur les posters tout au long de la route et tout près de nous dans la foule.

Mais elle montrait aussi l’importance que la Clôture a prise aux yeux des Palestiniens.

Il y a des années, quand la construction du Mur-dit-clôture venait de commencer, je suis allé voir Yasser Arafat pour lui suggérer une lutte commune contre elle. J’ai eu l’impression que l’idée que le Mur représentait un danger réel était tout à fait nouvelle pour lui - l’establishment palestinien n’avait pas encore saisi sa signification. Maintenant, le Mur est presque en tête du programme national.

Cette semaine, à la veille des élections dans lesquelles on s’attend à ce que le Hamas remporte une part significative des suffrages, l’image de militants du Hamas marchant à côté de militants pacifistes israéliens était importante. Parce que bientôt le Hamas entrera au Parlement palestinien et peut-être aussi au gouvernement.

CONDOLEEZZA RICE a vivement critiqué les élections à cause de la participation de « terroristes », faisant écho à la déclaration de sa nouvelle collègue israélienne, Tsipi Livni, qui a déclaré que ce n’était pas des « élections démocratiques » à cause du Hamas.

Ce qui apparaît maintenant, c’est que c’est un nouveau prétexte pour notre gouvernement d’éviter des négociations avec la direction palestinienne élue. Le prétexte change fréquemment mais l’objectif reste le même.

D’abord il y a eu l’assertion qu’Israël ne négocierait pas tant que le nouveau Président palestinien, Mahmoud Abbas, ne démantèlerait pas « l’infrastructure terroriste ». Cela était, certes, une obligation de la feuille de route - mais celle-ci comprenait aussi l’obligation simultanée, complètement ignorée par Ariel Sharon, de déplacer les centaines de colonies qui avaient été installées après son arrivée au pouvoir.

Puis on a affirmé que l’Autorité palestinienne était en état d’anarchie. Comment peut-on négocier avec l’anarchie ?

Maintenant le nouvel argument est qu’il n’est pas possible à Israël de négocier avec une direction palestinienne comprenant le Hamas, organisation qui a perpétré de nombreux attentats-suicides et qui, au moins officiellement, n’accepte pas l’existence d’Israël.

Les prétextes sont multiples, et on peut en trouver d’autres si nécessaire. (Cela me rappelle mon ami disparu, Natan Yellin-Mor, ancien dirigeant du « Groupe Stern », terroriste clandestin, devenu militant pacifiste, qui disait : « Je souhaite que Dieu mette sur ma route autant de tentations que j’ai de prétextes à y succomber. »)

La présence du Hamas dans le prochain gouvernement palestinien n’est pas une raison pour rejeter des négociations de paix. Au contraire, c’est une raison de plus pour les commencer enfin. Cela signifierait que nous négocions avec l’ensemble de l’éventail palestinien (à la seule exception de la petite organisation du Djihad islamique). Si le Hamas entre au gouvernement sur la base de la politique de paix de Mahmoud Abbas, cela veut dire qu’il est manifestement mûr pour des négociations, avec ou sans armes, basées sur une hudnah (trêve).

Il y a 30 ans, quand j’ai entamé des contacts secrets avec la direction de l’OLP, j’étais presque le seul en Israël en faveur de négociations avec l’organisation qui était à l’époque officiellement désignée comme « terroriste ». Il a fallu presque 20 ans au gouvernement israélien pour se ranger à mon point de vue. Aujourd’hui, nous en revenons au même point.

Pourquoi les organisations palestiniennes refusent-elles d’abandonner leurs armes ? Ne nous leurrons pas : pour la plupart des Palestiniens, ces armes sont une sorte de réserve stratégique. Si les négociations avec Israël ne mènent nulle part, la lutte armée recommencera probablement. Cela en soi n’est pas sans précédent (voir l’Irlande).

MÊME SI Mahmoud Abbas voulait désarmer le Hamas, il ne le pourrait pas. Sa position de faiblesse, combinée avec celle de son mouvement, le Fatah, rend une telle mesure impossible.

Cette position de faiblesse, qui trouve aussi son expression dans la fawda (« anarchie »), a une source principale : les efforts rusés de Sharon pour saper la position de Mahmoud Abbas.

Je l’ai souligné plus d’une fois : pour Sharon, l’ascension d’Abbas constituait un sérieux danger. Etant considéré par le Président Bush comme un exemple de son succès à apporter la démocratie et la paix au Moyen-Orient, il menaçait la relation exclusive entre les Etats-Unis et Israël, ouvrant peut-être même la voie à des pressions américaines sur Israël.

Pour empêcher cela, Sharon a refusé à Abbas ne serait-ce que la moindre concession politique, comme la libération de prisonniers (on pense ici à Marwan Barghouti), le changement de tracé du Mur, le gel de la colonisation, la coordination avec Abbas pour le retrait de Gaza, etc. Cette campagne a réussi. L’autorité d’Abbas a été affaiblie de façon significative.

Aujourd’hui , les successeurs de Sharon utilisent cette faiblesse même comme prétexte pour rejeter des négociations sérieuses avec lui et avec le prochain gouvernement palestinien, ce qui fait penser à l’histoire du garçon qui, ayant tué ses deux parents, en appelle à la clémence du tribunal : « Ayez pitié d’un pauvre orphelin. »

Article publié le 22 janvier, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais "Pity the Orphan" : RM/SW


 Source : AFPS
 http://www.france-palestine.org/article3016.html


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