Mais ne l’excluons pas. Dans cette
campagne électorale, quatre séismes se sont déjà
produits. Premièrement, le parti travailliste a élu un
dirigeant de gauche né au Maroc. Deuxièmement, Ariel
Sharon a fait une scission dans le Likoud et créé le
parti Kadima. Troisièmement, Sharon a été frappé par
une très grave attaque cérébrale et a quitté la scène
politique. Quatrièmement, le Hamas a remporté une
victoire décisive aux élections palestiniennes.
Après quatre tels bouleversements,
pourquoi pas un cinquième ? Mais, en réalité,
pour le moment, il est difficile ne serait-ce
qu’imaginer un événement qui pourrait éventuellement
porter atteinte à la position dominante de Kadima dans
la campagne électorale.
C’EST PRESQUE
magique. Qu’y a-t-il dans Kadima qui lui donne une
telle supériorité ?
D’abord, on a cru qu’après le
premier enthousiasme, cette supériorité reviendrait à
des proportions normales. Les prévisions (y compris les
miennes) disaient qu’à la fin, une image de trois
parties plus ou moins égales émergerait, le Likoud,
Kadima et le parti travailliste obtenant environ 25 sièges
chacun.
Selon les sondages, ce n’est pas ainsi
que les choses se passent.
Ensuite, on a dit que la personnalité
dominante d’Ariel Sharon maintenait Kadima au sommet.
Après le désengagement de Gaza, et en particulier après
les émissions mélodramatiques de la télévision
montrant l’évacuation des colonies, sa popularité a
atteint des sommets. Donc, quand il a sombré dans le
coma, on pouvait s’attendre à ce que les chances de
son parti sombrent aussi, peut-être après quelques
jours de choc émotionnel. Après tout, qui diable est
donc cet Ehoud Olmert ? Rien qu’un politicien
impopulaire et de second rang ! Un parti sous sa
direction était destiné à décliner.
Mais cela ne s’est pas produit non
plus.
Au contraire, il semble que le parti de
Sharon n’ait pas besoin de Sharon. Et l’impopulaire
Olmert a, du jour au lendemain, atteint une popularité
étonnante.
(Cela, d’ailleurs, est déjà arrivé.
Après la mort soudaine du Premier ministre Levy Eshkol
en 1969, il a été remplacé par Golda Meir, femme
politique alors très impopulaire. En devenant Premier
ministre, sa cote de popularité est brutalement montée
de 3 (trois) à 80 (quatre-vingts !) pour cent.)
Il y a quelques jours, une chose étrange
est arrivée : Olmert a perdu quelques points de
popularité, alors que Kadima a continué à monter dans
les sondages. Il semble qu’il continuerait à monter même
avec le cheval de Caligula à sa tête.
Pour le moment, 48 jours avant les élections,
les sondages prévoient la distribution suivante des sièges
à la prochaine Knesset : 40-45 pour Kadima,
environ 20 pour le parti travailliste, environ 17 pour
le Likoud. Le reste, quelque 40 sièges, sera réparti
entre 9 ou 10 petits partis.
Si cette image est confirmée par les
urnes, Olmert pourra former la coalition de son choix.
De nombreuses possibilités existent : avec le
Likoud et les partis de droite, avec le parti
travailliste et les partis de gauche, avec à la fois le
parti travailliste et le Likoud, avec la droite et les
partis religieux, avec la gauche et les partis
religieux. Il y a au moins une douzaine de possibilités
différentes.
ALORS par quel
miracle Kadima est-il à l’abri de tous les maux et
presque invincible ?
Ce n’est pas la première fois en Israël
qu’un nouveau parti surgit à la veille d’une élection,
se positionne au centre et recueille des suffrages à la
fois de la gauche et de la droite. Ce n’est pas non
plus la première fois qu’un nouveau parti gagne la
sympathie populaire du moment et réussit au-delà de
toute attente. C’était le cas du nouveau parti Rafi
de David Ben Gourion, Moshe Dayan et Shimon Pérès,
avec ses 10 sièges en 1965. En 1977, le nouveau parti
Dash de Yigael Yadin et de sa bande de généraux a
obtenu un résultat surprenant de 15 sièges. Aux dernières
élections, l’opportuniste parti Shinoui a obtenu également
15 sièges. Mais aucun d’eux n’a approché le succès
attendu de Kadima.
Alors qu’est-ce qui fait que Kadima
passe de rien à 40, et garde sa position dominante
malgré tous les coups du sort - la disparition de
Sharon, la percée du Hamas, la diffusion en direct à
la télévision de l’attaque par la police montée des
colons d’Amona, les agressions de gauche et de droite ?
Eh bien, Kadima a réussi à attirer un
mélange d’hommes politiques de droite et de gauche
qui semblent se compléter les uns les autres. Tsakhi
Hanegbi, voyou de droite devenu « homme d’Etat »
avec le célèbre éternel battu Shimon Pérès. Tsipi
Livni, à droite de naissance sous un air respectable et
rationnel avec Haim Ramon, à gauche de naissance avec
une histoire politique aventuriste.
Mais Kadima est une entité qui est
au-dessus des personnalités qui le constituent :
il représente exactement ce que la plupart des Israéliens
ressentent à l’heure qu’il est. Il fournit un point
d’ancrage au consensus israélien du début de 2006 -
et là est le principal. Ce consensus dit :
L’énorme
fossé entre les riches et les pauvres est vraiment très
regrettable, mais pas si important. Amir Peretz n’a
pas réussi à en faire le problème central.
La
majorité veut la fin du conflit et déteste les
colonies. La percée du Hamas en Palestine n’a pas
provoqué de panique. C’est pourquoi la campagne de
Benyamin Netanyahou n’a pas décollé.
Les
gens n’ont pas confiance dans les Arabes et ne veulent
rien avoir affaire avec eux. C’est pourquoi ils sont séduits
par l’idée centrale de Kadima : que l’on peut
parvenir à la paix « unilatéralement ».
Il est clair que « paix unilatérale »
sont deux mots contradictoires. La promesse la plus
populaire d’Olmert - la formule gagnante, semble-t-il
- est « fixons les frontières définitives d’Israël
unilatéralement ». Cela est, bien sûr, une
absurdité totale. Ni les Palestiniens et le monde
arabe, ni les Etats-Unis et la communauté des nations
ne reconnaîtront une frontière fixée sans accord.
Cela n’apportera pas la paix mais une continuation du
conflit pour des générations à venir.
C’est ce que dit la logique. Mais dans
les élections, les émotions priment sur la logique. La
promesse d’Olmert de « se séparer des
Palestiniens » n’est qu’une traduction élégante
de « mettons les Palestiniens hors de notre vue »
- et c’est cela qui est populaire en ce moment.
Olmert déclare franchement où la
frontière permanente qui doit être fixée unilatéralement
se trouvera. Le principe est : un Etat juif aussi
grand que possible avec le moins d’Arabes possible. Il
a l’intention d’annexer les « blocs de
colonies », le grand Jérusalem, des « zones
de sécurité » non spécifiées et la vallée du
Jourdain.
Parmi les blocs de colonies, il
mentionne Ariel, Modiin Ilit, Maale Adumim et Etzion.
Comme par miracle, ils correspondent au Mur-dit-barrière
qu’on est en train de construire (confirmant ce que
nous avons toujours affirmé : que le tracé de la
barrière ne répond pas à des considérations de sécurité
mais suit la carte d’annexion).
La carte d’Olmert est évidemment la même
que celle de Sharon. Seulement, il le déclare
ouvertement et en la détaillant. Elle annexe 58% de la
Cisjordanie. Ce qui reste aux Palestiniens (en tout 11%
de la Palestine d’avant 1948) est réparti dans des
enclaves isolées coupées du monde.
Yossi Beilin, à l’origine de l’idée
des « blocs de colonies », a déjà annoncé
que son parti de gauche, le Meretz, souhaite rejoindre
la future coalition Olmert. Le parti travailliste ne le
dit pas ouvertement, mais il est clair que c’est ce
qu’il souhaite. Ils vont sûrement discuter avec
Olmert de la localisation finale de la frontière, mais
ils sont d’accord avec sa démarche générale.
Il fut un temps où une blague faisait
le tour de l’Amérique : « Ce que je déteste
le plus ce sont les racistes et les nègres. »
Maintenant l’Israélien moyen veut « la paix
sans les Arabes ». La démarche « unilatérale »
de Kadima reflète précisément cette position - et là
est le secret de son succès.
Article paru en hébreu et en anglais le 12 février sur
le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais
« The Secret of Kadima » : RM/SW