Palestine - Solidarité

   



Salaam ou salami
Uri Avnery

 

Le retrait de Gaza, qui aurait pu être un pas déterminant vers la paix, a été accompli sans concertation avec les Palestiniens, sans aucun accord, presque comme un acte de guerre ; Ariel Sharon a fait de « l’unilatéralisme » un principe, presque une idéologie. Le résultat ne s’est pas fait attendre.

C’est un personnage familier en littérature : le joueur invétéré qui est dans un jour de chance. A chaque tour de la roulette, le tas de jetons devant lui grossit. Il pourrait quitter la table, échanger ses jetons contre de l’argent et vivre désormais heureux.

Mais il ne peut pas s’arrêter. Il doit continuer. Peu à peu, la chance tourne. Le tas devant lui se réduit de plus en plus. Il peut encore partir et éviter le pire. Mais c’est un joueur invétéré. Il doit continuer jusqu’à ce que le dernier jeton ait été ramassé par le croupier, et tout ce qu’il possédait avec.

Dans le roman, l’homme se lève et s’en va d’un pas chancelant. Dans le jardin du casino, il sort un pistolet et se fait sauter la cervelle.

J’ai utilisé cette métaphore dans un article il y a des années, au sujet du danger inhérent à la politique de colonisation. Elle m’est revenue à l’esprit tout dernièrement, en lisant un article d’un journaliste de droite qui s’opposait au retrait de Gaza. Il prédisait qu’après ce retrait beaucoup d’autres auraient lieu. Nous irons de retrait en retrait, écrivait-il, et quand nous arriverons à la Ligne Verte, nous ne pourrons plus nous arrêter. L’existence même de l’Etat sera en danger.

Cela est déjà arrivé dans l’histoire de ce pays. De nombreuses années avant qu’Oussama Ben Laden invente le slogan « Croisés et Sionistes », j’avais écrit une série d’articles sous ce titre. J’y soulignais les nombreuses similitudes entre les Croisades et l’entreprise sioniste. Mon intention n’était pas - Dieu m’en garde - de dire que notre sort serait celui des Croisés, mais je voulais mettre en garde contre la répétition de leurs erreurs.

Après que les Croisés eurent conquis Jérusalem, en 1099, ils ont continué à étendre leur empire. Au faîte de leur pouvoir, les royaumes des Croisés s’étendaient de Rafah au sud jusqu’à l’actuelle Turquie au nord. Ils se sont également établis à l’est du Jourdain. Cinquante ans plus tard, il ont aussi réussi à prendre aux musulmans la bande de Gaza, y compris Ashkalon.

Et puis, peu à peu, la roue a tourné. Au lieu de s’étendre de plus en plus, le royaume des Croisés de Jérusalem a commencé à se contracter. L’une après l’autre les forteresses sont tombées dans les mains des musulmans, jusqu’à ce que le légendaire guerrier kurde, Saladin (Salah ad-Din), eut mis en déroute les Croisés près de Tibériade en 1187. La totalité du pays est tombée entre leurs mains, à l’exception d’Acre - qui a tenu et a permis aux Croisés de reprendre le contrôle sur presque tout le pays. Mais en 1291, Acre est également tombée, et les derniers des Croisés ont été - littéralement - jetés à la mer.

Certes, il y a une énorme différence entre cette époque et la nôtre. Mais tous les enfants arabes apprennent cette histoire et nous comparent à eux (les Croisés ndt). Un des plus grands spécialistes de l’histoire des Croisades, le défunt Steven Runciman, disait que les Croisés avaient manqué l’occasion de se réconcilier avec le monde musulman et de faire la paix quand ils étaient au sommet de leur puissance et qu’ils se sont ainsi condamnés à disparaître quand la chance a tourné.

Cette semaine, j’ai eu l’occasion d’avoir un débat avec un dirigeant des colons devant un public d’étudiants de 16-17 ans. C’était une occasion rare car le ministère nationaliste de l’Education utilise généralement son autorité pour empêcher l’invitation de gens comme moi dans des débats au sein de l’institution scolaire. Après une avalanche de phrases démagogiques du colon - « sang juif », « tous les Arabes sont des animaux », « Mahmoud Abbas est un salaud comme Arafat », « les Arabes ne comprennent que la force » - j’ai envoyé un simple message : Faisons la paix pendant que nous sommes forts.

Au lieu de cela, nous faisons le contraire. Le retrait de Gaza, qui aurait pu être un pas déterminant vers la paix, a été accompli sans concertation avec les Palestiniens, sans aucun accord, presque comme un acte de guerre ; Ariel Sharon a fait de « l’unilatéralisme » un principe, presque une idéologie. Le résultat ne s’est pas fait attendre : deux semaines à peine après le retrait, un nouveau cycle de violence a commencé - arrestations, tirs de mortiers, assassinats ciblés, fusées Qassam, bombardements de l’aviation et maintenant de l’artillerie.

Il ne fait aucun doute qu’Israël continuera de se retirer quel que soit le parti ou le dirigeant au pouvoir. Les circonstances historiques qui nous ont contraints à quitter Gaza s’appliquent également à la Cisjordanie. Les considérations démographiques obligent un Israël sioniste à se retirer des zones palestiniennes fortement peuplées. Les intérêts américains ont besoin de la promotion de la démocratie palestinienne dans le cadre de « deux Etats pour deux peuples ». La communauté internationale en a assez de ce conflit interminable et demande une solution. Enfin et surtout, les Israéliens eux-mêmes sont fatigués de la guerre et aspirent à une vie normale et paisible. Les colons sont impopulaires et leur emprise sur l’opinion publique faiblit. On l’a vu tant à Gush Katif qu’au comité central du Likoud.

Sharon le sait, et il est prêt à évacuer les colonies qui sont dispersées au cœur des territoires palestiniens, en espérant garder les grands blocs de colonies. Mais il veut éviter toute négociation avec la direction palestinienne. Il sait que, dans un tel dialogue, il sera contraint d’abandonner la plupart ou tous les blocs de colonies. C’est pourquoi il insiste sur des mesures « unilatérales ».

C’est une politique très dangereuse pour Israël. L’explosion de joie palestinienne après le retrait de Gaza reflète la croyance qu’il s’agissait d’une victoire de la résistance palestinienne. Les Palestiniens sont convaincus qu’Israël a fui face aux héros palestiniens qui ont sacrifié leur vie pour leur peuple, les kamikazes et les combattants qui tirent des obus et des fusées Qassam, tout comme ils ont fui il y a cinq ans devant les guérillas chiites du Sud-Liban. « Israël ne comprend que le langage de la force. »

Tout retrait supplémentaire d’Israël renforcera cette croyance. Ainsi nous arriverons à la Ligne Verte non dans le cadre « les territoires contre la paix » mais dans une situation de guerre ; Israël accomplira lui-même la sombre prophétie dans l’ombre de laquelle il nous a enveloppés pendant de nombreuses années : que les Palestiniens adoptent une « stratégie d’étapes ». Autrement dit : tout retrait n’est qu’une étape conduisant à la suivante. Israël sera comme un saucisson salami coupé tranche après tranche. Salami à la place de Salaam.

La démarche « unilatérale » est une folie. Nous paierons le prix fort pour la paix, sans parvenir à la paix. Mais une alternative simple existe : entrer en négociation avec la direction palestinienne maintenant, afin de fixer la frontière finale entre Israël et la Palestine, faire la paix et permettre aux deux peuples d’en savourer les fruits immédiatement afin qu’ils voient l’intérêt de rester en paix. C’est possible et tous les experts du pays et dans le monde le savent très bien.

Le temps ne travaille pas en notre faveur. Dans le débat avec les étudiants, je leur ai dit que nous étions actuellement au faîte de notre puissance. Nous avons une grande supériorité technique, économique et militaire. La seule superpuissance du monde est notre proche allié. Le monde arabe est divisé, ses pays sont gouvernés par des régimes corrompus et inefficaces qui n’ont rien à faire des Palestiniens. La plupart des Palestiniens veulent la paix, exactement comme la plupart des Israéliens. Après 120 ans de conflit, la réconciliation est encore possible.

Mais, ai-je ajouté, la puissance n’est pas éternelle. Les Arabes vont progresser. L’équilibre du pouvoir va commencer à se modifier. La bombe nucléaire deviendra propriété commune dans notre région. Les Etats-Unis cesseront d’être la seule superpuissance, la Chine et l’Inde commenceront à les concurrencer. Dans le monde arabe, une révolution fondamentaliste islamique aura lieu, éliminant les régimes corrompus et unissant la région contre nous. Le peuple palestinien peut aussi adopter un régime fondamentaliste islamique. Sera-t-il alors plus facile d’atteindre la paix ?

« Je ne veux pas vous effrayer. La peur n’est jamais bonne conseillère. Mais je vous demande de prendre conscience de l’importance de ce moment : Nous sommes forts, nous pouvons agir avec assurance et détermination, nous avons quelque chose à apporter à cette région, les Palestiniens sont prêts à la paix. Jusqu’à présent, nous avons eu une chance incroyable. Arrêtons de jouer avec l’avenir de notre Etat. »

Le retrait de Gaza nous a enseigné combien l’approche « unilatérale » est dangereuse. Nous avons évacué des territoires, démantelé des colonies, et nous n’avons fait aucun pas vers la paix.

Même le plus grand génie n’a pas encore inventé une paix unilatérale. La paix est un tango - il faut être deux pour danser. Deux qui se respectent mutuellement. On ne peut pas sortir de là.

Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 9 octobre 2005 - Traduit de l’anglais « Salaam or Salami » : RM/SW


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article2422.html


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