LE LENDEMAIN de la guerre sera le Jour des Longs
Couteaux.
Chacun accusera chacun. Les hommes politiques
s’accuseront les uns les autres. Les généraux s’accuseront
les uns les autres, les hommes politiques accuseront les généraux.
Et, surtout, les généraux accuseront les hommes politiques.
Toujours, dans tous les pays et après toutes
les guerres, quand les généraux subissent des échecs,
l’histoire du « poignard dans le dos » vient à
l’esprit. Si seulement les politiques n’avaient pas arrêté
l’armée juste quand elle était sur le point de remporter une
victoire éclatante, écrasante, historique...
C’est ce qui est arrivé en Allemagne après
la Première guerre mondiale, quand le mouvement nazi a lancé
cette idée. La même chose en Amérique après le Vietnam.
C’est ce qui est en train d’arriver ici. Les signes
avant-coureurs en sont déjà perceptibles.
LA SIMPLE VÉRITÉ est que jusqu’à
maintenant, au 22e jour de la guerre, pas une seule cible
militaire n’a été touchée. La même armée à qui il n’a
fallu que six jours pour mettre en déroute trois puissantes armées
arabes en 1967 n’a pas réussi à venir à bout d’une petite
« organisation terroriste » dans un laps de temps déjà
plus long que celui de la grande guerre du Yom Kippour. A l’époque,
l’armée a réussi en vingt jours seulement à transformer une
défaite importante au début en une éclatante victoire à la
fin.
Pour donner une image positive, les porte-parole
militaires ont affirmé hier que « nous avons réussi à
tuer 200 (ou 300 ou 400, qui en fait le compte ?) des 1.000
combattants du Hezbollah ». L’affirmation que
l’ensemble du terrifiant Hezbollah comprend mille combattants
parle d’elle-même.
Selon les correspondants, le Président Bush est
frustré. L’armée israélienne n’a pas « été à la
hauteur ». Bush a envoyé les Israéliens à la guerre en
croyant que la puissante armée, équipée des armes américaines
les plus modernes, « finirait le travail » en
quelques jours. Elle était supposée éliminer le Hezbollah,
transformer le Liban en laquais des Etats-Unis, affaiblir l’Iran
et peut-être même ouvrir la route à un « changement de
régime » en Syrie. Pas étonnant que Bush soit irrité.
Ehoud Olmert est encore plus furieux. Il s’est
lancé dans la guerre plein d’optimisme et le cœur léger,
parce que les généraux de l’armée de l’Air avaient promis
de détruire le Hezbollah et ses roquettes en quelques jours.
Maintenant il est enlisé, et aucune victoire n’est en vue.
COMME D’HABITUDE avec nous les Israéliens, à
la fin du combat (et même avant) la Guerre des généraux va débuter.
Les lignes de front sont déjà visibles.
Les commandants de l’armée de terre accusent
le chef d’état-major et l’armée de l’Air, enivrée de
pouvoir, qui avait promis d’obtenir à elle seule la victoire.
Bombarder, bombarder, bombarder, détruire routes, ponts,
quartiers d’habitation et villages - finito !
Les partisans du chef d’état-major et des
autres généraux de l’armée de l’Air critiqueront les
forces terrestres, et en particulier le commandement nord. Leurs
porte-parole dans les médias déclarent déjà que ce
commandement est plein d’officiers incompétents qui avaient
été nommés là parce que le nord paraissait tranquille, la véritable
action se poursuivant dans le sud (Gaza) et au centre
(Cisjordanie).
Il y a déjà des insinuations selon lesquelles
le chef du commandement nord, le général Udi Adam, ne devait
sa nomination qu’à la mémoire de son père, le général
Kuti Adam, tué dans première guerre du Liban.
LES ACCUSATIONS réciproques sont tout à fait
justes. Cette guerre est une suite d’échecs militaires - dans
les airs, sur terre et sur mer.
Ces échecs ont leurs racines dans la terrible
arrogance dans laquelle nous avons été élevés et qui est
devenue partie intégrante de notre caractère national. Cette
arrogance est encore plus typique dans l’armée et elle
atteint son summum dans les forces aériennes.
Pendant des années, nous nous sommes dit que
nous avions l’armée la meilleure, meilleure, meilleure du
monde. Nous en avons convaincu non seulement nous-mêmes, mais
aussi Bush et le monde entier. Après tout, nous avions remporté
une extraordinaire victoire en six jours en 1967. Résultat,
cette fois-ci, quand l’armée n’a pas remporté une énorme
victoire en six jours, tout le monde est abasourdi. Pourquoi,
que s’est-il passé ?
Un des objectifs déclarés de cette guerre était
la réhabilitation du pouvoir dissuasif de l’armée israélienne.
Il n’en a vraiment rien été.
C’est parce que l’autre face de notre
arrogance est le profond mépris pour les Arabes, attitude qui
nous a déjà conduits à de cuisantes défaites militaires dans
le passé. Il suffit de se rappeler la guerre de Yom Kippour.
Aujourd’hui nos soldats apprennent à leurs dépens que les
« terroristes » sont hautement motivés, de durs
combattants, et non pas des drogués rêvant de « leurs »
vierges au Paradis.
Mais au-delà de l’arrogance et du mépris
pour l’adversaire, il y a un problème militaire fondamental :
il est tout simplement impossible de gagner contre une guérilla.
Nous l’avons bien vu lors notre présence de 18 ans au Liban.
Nous en avons alors tiré l’inévitable conclusion et nous
sommes partis. Certes, sans réflexion, sans accord avec
l’adversaire. (Nous ne parlons pas avec les terroristes,
n’est-ce pas ? - même s’ils sont la force dominante
sur le terrain.) Mais nous sommes partis.
Dieu seul sait ce qui a donné aux généraux
d’aujourd’hui la conviction injustifiée qu’ils
gagneraient là où leurs prédécesseurs avaient si
lamentablement échoué.
Et surtout : même la meilleure armée du
monde ne peut pas gagner une guerre qui n’a pas d’objectifs
clairs. Karl von Clausewitz, le gourou de la science militaire,
a déclaré que « la guerre n’est rien d’autre que la
continuation de la politique par d’autres moyens. »
Olmert et Peretz, deux parfaits dilettantes, ont transformé
cette phrase en : « la guerre n’est rien d’autre
que la continuation par d’autres moyens de l’absence de
politique. »
LES EXPERTS MILITAIRES disent que, pour gagner
une guerre, il faut (a) un objectif clair, (b) un objectif qui
peut être atteint, et (c) les moyens nécessaires pour
atteindre cet objectif.
Ces trois conditions font défaut dans cette
guerre. Il est clair que la responsabilité en incombe aux
dirigeants politiques.
Cependant, la critique principale visera le
tandem Olmert-Peretz. Ils ont succombé à la tentation du
moment et ont entraîné l’Etat dans une guerre, de façon hâtive,
inconsidérée et imprudente.
Comme Nehemia Strassler l’a écrit dans
Haaretz : ils auraient pu arrêter au bout de deux ou trois
jours, quand le monde était d’accord sur le fait que la
provocation du Hezbollah justifiait une riposte israélienne,
quand personne ne doutait encore des capacités de l’armée
israélienne. L’opération serait apparue comme intelligente,
pondérée et proportionnée.
Mais Olmert et Peretz ne pouvaient pas arrêter.
Néophytes en matière de guerre, ils ne savaient pas qu’on ne
pouvait pas se fier aux rodomontades des généraux, que même
les meilleurs plans militaires ne valent pas le papier sur
lequel ils sont écrits, que dans la guerre l’imprévu doit être
prévu, que rien n’est plus temporaire que la gloire
militaire. Ils étaient enivrés par la popularité de la
guerre, incités par une bande de journalistes serviles, égarés
par leur propre gloire de chefs de guerre.
Olmert était stimulé par ses propres discours
incroyablement pompiers, qu’il répétait devant ses
courtisans. Peretz, paraît-il, se mettait devant une glace, et
se voyait déjà prochain Premier ministre, Monsieur Sécurité,
un second Ben Gourion.
Et alors, comme deux idiots du village, au son
des tambours et des trompettes, ils ont pris la tête de leur
Marche de la Folie, tout droit vers un échec politique et
militaire.
Il est probable qu’ils le paieront après la
guerre.
QUE VA-T-IL sortir de toute cette pagaille ?
Personne ne parle plus d’éliminer le
Hezbollah ou de le désarmer et de détruire toutes ses
roquettes. C’est oublié depuis longtemps.
Au début de la guerre, le gouvernement a catégoriquement
rejeté l’idée du déploiement d’une force internationale,
quelle qu’elle soit, le long de la frontière. L’armée
croyait qu’une telle force ne protégerait pas Israël mais ne
ferait que restreindre sa liberté d’action. Maintenant,
soudain, le déploiement de cette force est devenu le principal
objectif de la campagne. L’armée continue l’opération
seulement afin de « préparer le terrain pour la force
internationale », et Olmert déclare qu’il continuera à
combattre jusqu’à ce qu’elle soit sur le terrain.
C’est, bien sûr, un pitoyable alibi, un prétexte
pour faire marche arrière. La force internationale ne peut être
déployée qu’en accord avec le Hezbollah. Aucun pays
n’enverra ses soldats dans un lieu où ils auraient à
combattre les autochtones. Et partout dans la zone, les
habitants chiites retourneront dans leurs villages, y compris
les combattants clandestins du Hezbollah.
De surcroît, cette force sera totalement dépendante
du Hezbollah. Si une bombe explose sous un bus plein de soldats
français, on entendra crier à Paris : ramenez nos fils à
la maison. C’est ce qui s’est passé quand les Marines américains
ont été bombardés à Beyrouth.
Les Allemands, qui ont choqué le monde cette
semaine en s’opposant à l’appel pour un cessez-le-feu,
n’enverront certainement pas des soldats à la frontière israélienne.
Il ne leur manquerait plus que d’être obligés de tirer sur
des soldats israéliens.
Et, par-dessus tout, rien n’empêchera le
Hezbollah de lancer ses roquettes au-dessus de la tête de la
force internationale, quand il le voudra. Que fera alors la
force internationale ? Conquérir toute la zone jusqu’à
Beyrouth ? Et comment Israël répondra-t-il ?
Olmert veut que la force contrôle aussi la
frontière libano-syrienne. Cela aussi est illusoire. Cette
frontière s’étend sur tout l’ouest et le nord du Liban.
Ceux qui voudront faire passer des armes éviteront les routes
principales contrôlées par les soldats internationaux. Ils
trouveront des centaines d’endroits le long de la frontière
pour le faire. Avec des pots-de-vin adéquats, on peut tout
faire au Liban.
Donc, après la guerre, nous en serons plus ou
moins au même point qu’au début de cette triste aventure,
avant le meurtre de près d’un millier de Libanais et d’Israéliens,
avant l’expulsion de leurs maisons de plus d’un million d’êtres
humains, Israéliens et Libanais, avant la destruction de plus
d’un millier de maisons, tant au Liban et en Israël.
APRÈS LA guerre, l’enthousiasme se calmera,
les habitants du nord panseront leurs blessures et l’armée
commencera à réfléchir sur ses échecs. Chacun prétendra que
lui ou elle était contre la guerre dès le premier jour. Et le
jour du jugement viendra.
La conclusion qui s’impose est : chasser
Olmert, envoyer Peretz faire ses bagages et virer Halutz.
Pour s’engager dans une nouvelle voie, la
seule qui résoudra le problème, il faut des négociations et
la paix avec les Palestiniens, les Libanais, les Syriens. Et
avec Hamas et Hezbollah.
Parce que ce n’est qu’avec ses ennemis que
l’on fait la paix.
Article publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush
Shalom le 4 août 2006 - Traduit de l’anglais « The
Knife in the Back » : RM/SW