Palestine - Solidarité

   



Les gladiateurs
Uri Avnery

 

La bataille entre Benyamin Netanyahou et Ariel Sharon au comité central du Likoud ressemblait à un duel entre deux gladiateurs dans l’arène romaine. Plus encore quand les membres du comité se sont mis à se comporter comme la populace romaine qui hurlait, se déchaînait et réclamait du sang.

Dans ce combat, Netanyahou ressemblait au rétiaire, gladiateur qui ne portait qu’une tunique courte et qui cherchait à neutraliser son adversaire avec un filet tenu dans la main droite et, s’il réussissait, l’achevait avec le trident qu’il tenait dans la main gauche. Sharon était comme le Secutor, vêtu d’une armure et portant une épée. Le premier avait l’avantage de la mobilité et de l’agilité, l’autre se déplaçait maladroitement mais était bien protégé.

Beaucoup ont poussé un soupir de soulagement quand Netanyahou a été battu à la dernière minute, contrairement aux prévisions et aux sondages. Comme Netanyahou s’était positionné à l’extrême droite, soutenant les colons et s’opposant à tout retrait, Sharon apparaissait comme un homme de paix. Mais c’est, bien sûr, une illusion. La différence entre les deux, à supposer qu’il y en ait une, est négligeable. Si Netanyahou était Premier ministre, il se conduirait exactement comme Sharon et dans l’opposition Sharon se conduirait exactement comme Netanyahou.

Sharon fait aujourd’hui à la fois des déclarations de paix et des déclarations belliqueuses, selon le public auquel il s’adresse. Devant l’assemblée générale de l’ONU et devant les Américains, il chante des hymnes à la paix, mais au Likoud, il jure qu’il n’abandonnera pas un seul pouce de terrain. Toutes ces déclarations ne valent pas une épluchure d’ail - pour utiliser une expression hébraïque. On ne devrait pas croire un seul mot de ce qu’il dit. Seules ses actions comptent. Pendant tout ce temps, il construit la clôture de séparation, agrandit les colonies, lance des provocations, des bombes et procède à des arrestations.

Ainsi donc, rien de ce qui s’est passé au Likoud n’aurait d’impact sur les chances de paix. Juste un duel entre deux gladiateurs dans l’arène, beaucoup de bruit pour rien. Mais cela n’est qu’une illusion d’optique.

En fait, la paix a remporté une grande victoire dans l’arène du Likoud.

Cela n’a rien à voir avec la personnalité ou les intentions de Sharon, mais tout à voir avec la substance de la décision.

En théorie, aucune question idéologique n’était en jeu. Les membres du comité ne votaient, officiellement, que sur un point technique : soit organiser des primaires anticipées le mois prochain pour le choix du président du parti, soit attendre la date prévue, dans six mois. Gros enjeu.

Mais ce qui était réellement en cause était de renvoyer Sharon, parce qu’il a démantelé les colonies et s’est retiré de la bande de Gaza. Les attaques contre lui se sont focalisées sur ce point. Ses opposants affirmaient qu’il avait trahi les principes du Likoud, que le Likoud s’oppose à toute cession de toute partie de la « patrie » à « l’ennemi arabe », que l’évacuation de toute colonie est un crime. C’est là-dessus que portait la bataille.

La décision était donc d’importance historique. Le Likoud est l’incarnation actuelle du Parti révisionniste, qui a été fondé il y a quelque 80 ans avec le slogan : « Le Jourdain a deux rives - l’une nous appartient et l’autre aussi. » Son nom même reflète cette affirmation. Le fondateur, Vladimir (Ze’ev) Zabotinsky, voulait annuler la décision de 1920 du gouvernement britannique de séparer la Transjordanie (l’actuel royaume de Jordanie) de la Palestine. C’était la « révision » à laquelle il aspirait.

Même si le parti, dans ses incarnations successives, a en pratique abandonné les prétentions sur la Transjordanie, il a toujours revendiqué « tout Eretz Israel » entre la Méditerranée et le Jourdain. Pour ce faire, il a promu des colonies dans tous les territoires occupés, dénié l’existence même du peuple palestinien et fait obstruction à toute mesure qui aurait pu conduire à la paix.

Et aujourd’hui, lundi 26 septembre 2005, le comité central de ce parti a voté pour un dirigeant qui a évacué et détruit 25 colonies, qui a utilisé les forces de défense d’Israël pour « chasser des Juifs » et qui a officiellement abandonné une partie d’Eretz Israel. Dorénavant, le Likoud n’est plus ce qu’il était.

Quelques personnes mettent en lumière le fait que cette victoire n’a été acquise qu’à une très faible majorité - 52% contre 48%. Mais cela est sans importance. Ce qui est étonnant, c’est qu’il y ait eu des membres du comité qui votent pour l’homme qui a fait cela.

On raconte que cette décision n’était pas idéologique mais « jobologique ». Les membres du comité ont voté contre leurs convictions pour que le Likoud reste au pouvoir et que leur job au gouvernement soit préservé. Les sondages ont montré que le Likoud perdrait les élections si Sharon était remplacé. La tête a vaincu le cœur, l’appétit du pouvoir a été plus fort que l’idéologie.

Si tel est le cas, la victoire est encore plus importante. Les 3.060 membres du comité central du Likoud sont issus de toutes les régions d’Israël. Ils viennent de toutes les couches sociales et pas seulement des « élites ». Ils préfigurent l’état d’esprit de l’opinion publique. Qu’ils soient arrivés à la conclusion que la loyauté envers les colonies et le Grand Israël leur ferait perdre les élections a une signification d’une portée considérable.

J’ai écrit récemment que « le centre a tenu ». Maintenant il est également clair que la droite est restée loyale à Sharon. Ses opposants, les loyalistes du Grand Israël, sont en état d’effondrement. Après leur déroute au comité central, on les trouve difficilement parmi les 100.000 membres du parti. Les sondages montrent qu’une large majorité de ceux-ci soutient maintenant Sharon. Les ministres du Likoud et les membres de la Knesset se conduisent comme les soldats d’une armée vaincue après le lancement du « sauve qui peut ».

Mais ce n’est pas fini. Au contraire, nous avons devant nous une année difficile. Sharon va tenter de tout geler, sauf la construction de la clôture et l’extension des colonies. Le prétexte sera la nécessité d’attendre le résultat des élections palestiniennes, en janvier 2006, pour savoir « avec qui nous allons traiter ». Après cela, les élections israéliennes auront lieu, probablement en novembre 2006, et « personne ne s’attend à ce que Sharon prenne des mesures impopulaires avant les élections ». Le Président Bush, qui est également un animal politique, le comprendra certainement. Le gel prolongé peut causer de nouveaux désastres.

Malgré tout, la longue marche vers la paix a marqué un nouveau pas. Un petit pas certes, mais un pas important.

Et cela, au sein du comité central du Likoud, pas ailleurs. Qui l’aurait cru ?

Article publié en hébreu et en anglais le 2 octobre 2005 sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « The Gladiators » : RM/SW


Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/article2307.html


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