Un
Palestinien témoigne depuis Gaza.
Propos
recueillis par Silvia Cattori le 27 juillet 2006.
Khaled
vit dans la précarité d’un
camp de refugiés à Gaza. Ses témoignages poignants ont été
traduits en plusieurs langues.
Aujourd’hui, sa voix, habituellement enjouée, était emplie de révolte
et d’une grande lassitude.
Silvia Cattori : Les
bombardements de l’armée israélienne ont déjà fait plus de
cinq cent victimes et des milliers de blessés en quelque semaine à
Gaza et au Liban. Les autorités d’Israël n’ont-ils aucune
considération humaine ?
Khaled : Maintenant les soldats
sont en train de bombarder de tous côtés, par le ciel, par les
chars postés au bord de la frontière nord de Gaza. C’est très
angoissant. Nous sommes chaque jour plongés dans l’infinie
douleur à cause de nos morts et de nos blessés. Hier les tirs israéliens
ont fait 25 nouvelles victimes et plus de 70
blessés parmi les habitants du quartier Al Shijaeeya à Al Sha'af,
à l'est de la ville de Gaza et, dans le quartier de Jabalyia,
ils ont bombardé une maison située à une centaine de mètres de
ma maison.
S.C. - Allez-vous devoir partir
?
Khaled : L’armée israélienne
a averti un de nos voisins qu’il doit partir. Entre sa maison et
la mienne, il n’y a qu’une maison.
S.C. - Mais que veut obtenir
Israël par ces carnages et destructions répétés ? Quel est leur
but final ? Vous terroriser pour vous faire déguerpir définitivement,
comme ils l’ont déjà fait à Rafah ?
Khaled
: Cela ne date pas
d’aujourd’hui. Depuis 1948, les Israéliens poursuivent toujours
le même plan pour se débarrasser de nous : ils appellent ce plan
« transfert ». Une fois c’est à tel endroit qu’ils
terrorisent et massacrent, une fois à tel autre. C’est un crime
qui s’appelle « épuration ethnique ». Leur but :
nous faire partir pour s’emparer de notre terre sous prétexte de
créer des «zones de sécurité ». Comme il n’y a pas de
protestations dignes de ce nom, les soldats d’Israël ont les
mains libres pour continuer indéfiniment.
S.C. - Le but est-il donc de
vous terroriser par des massacres de plus en plus effroyables et,
une fois la panique installée dans les cœurs, vous voir, comme en
1948, fuir en masse ? Mais où pouvez-vous fuir cette fois ?
Vers l’Egypte ?
Khaled : L’important pour eux
est d’arriver à faire place nette dans la Bande de Gaza. Peu
importe s’il faut nous jeter à la mer. C’est leur plan. C’est
comme ça que les ¾ des Palestiniens ont fui en 1948. Mais je crois
que, jamais plus, les Israéliens ne réussiront à nous faire
quitter ce refuge.
S.C. - Vous devez être déçus
du résultat de la conférence de Rome où le cri du premier
ministre libanais, réclamant l’instauration d’un cessez le feu
immédiat, n’a pas été entendu. Cela a-t-il été ressenti à
Gaza comme un feu vert donné à Israël pour continuer de vous
massacrer ?
Khaled : L’Occident a
toujours laissé les gouvernements israéliens massacrer et détruire
comme ils veulent. Ce n’est que le degré de brutalité qui varie.
Les droits de l’homme sont violés par l’Etat d’Israël au vu
et au su du monde entier, avec l’appui des Etats-Unis, et les
organisations comme Amnesty international se taisent et les Européens
se taisent, et c’est à nous les victimes que l’on demande de
faire des efforts. Chaque fois que le Conseil de sécurité met au
vote une résolution qui critique les agissements d’Israël, les
Etats-Unis mettent immédiatement leur veto et empêchent qu’Israël
soit condamné. Pour nous, c’est comme toujours. L’Occident
condamne notre résistance. Le Hamas et le Hezbollah, quoi que vous
pensiez, sont l’honneur des peuples arabes. Israël veut tuer la
seule force qui le défie et qui nous honore. Pour nous ce qui se
passe à Gaza et maintenant au Liban, est terrible. Mais, même si
ce que nous subissons est plus que jamais effroyable, il faut que
l’Europe sache que jamais nous n’abandonnerons nos autorités du
gouvernement Hamas.
S.C. - Vous n’imaginiez pas
que les bataillons de chars oseraient pénétrer à l’intérieur
de la Bande de Gaza ?
Khaled : Oui c’est fait ;
ils sont entrés au nord de Gaza, ils sont proches de Jabalyia. Il
n’y a plus que deux kilomètres qui nous séparent. Il se peut
que, s’ils entrent à Jabalyia, nous ayons à subir un massacre
comme à Sabra et Chatila.
S.C. - Ce qui veut dire que vous
vous sentez complètement démunis face à cette armée aguerrie ?
Khaled : Les militants
essaient de nous protéger, de ne pas laisser les soldats israéliens
entrer dans les quartiers, mais ils n’ont pas les moyens de les en
empêcher. Au Liban, les militants du Hezbollah peuvent se battre
contre eux car il y a des montagnes et des zones peu peuplées.
Mais, ici, nous sommes entassés les uns sur les autres et, si on
veut s’échapper, aller d’un endroit à l’autre, ce n’est
pas possible. Sous leurs obus il n’y a pas de lieu sûr. Nous
n’avons d’autre choix que de rester dans nos maisons et d’espérer
que Dieu nous protège.
S.C. - Le fait de ne pouvoir
s’échapper doit créer un sentiment d’enfermement encore
plus oppressant ?
Khaled : Oui nous nous sentons
emprisonnés. La Bande de Gaza est la plus grande prison du monde.
S.C. - Vos autorités ont-elles
fait appel aux organisations humanitaires ?
Khaled : Tous ces représentants
des ONG, de l’ONU, ou des gouvernements, n’ont jamais rien fait
de concret pour nous. Nous souffrons toujours davantage et leurs
projets de paix ou d’aide ne servent qu’à renforcer la position
d’Israël. Le dernier exemple en date est la conférence de Rome.
Vous pouvez voir tous les jours le sang de nos enfants couler. Qui
en a cure ? Peut-être que, pour le peuple libanais, ils sont
obligés d’agir vu l’importance des destructions infligées par
Israël. Mais pour ce que nous subissons ici à Gaza avez-vous
entendu la Croix rouge ou d’autres organisations des droits de
l’homme protester ? Les avez-vous entendus accuser Israël de
crimes de guerre ? Amnesty avait qualifié les attentas suicides de
crime contre l’humanité en 2003. Amnesty se tait quand il
s’agit d’Israël.
S.C. - Vos militants sont donc
totalement impuissants à stopper les bataillons de chars
israéliens ?
Khaled : Oui. Ils n’ont rien
d’autre à faire que de se tenir debout.
S.C. – Mais, quand les
bombardements cessent, ce que l’on voit ce sont surtout des femmes
et des enfants massacrés. La population doit se sentir dans un état
d’abandon et de panique indescriptible, les enfants surtout ?
Khaled : Cela exigerait que le
monde entier dénonce ces crimes odieux contre des innocents. Or les
Etat arabes eux aussi se taisent et, quand ils s’expriment,
c’est pour appuyer la position des Etats-Unis.
Les enfants sont déjà traumatisés depuis longtemps. Ils ont des
comportements inquiétants. L’armée israélienne mène une guerre
contre des militants qui prennent leurs responsabilités pour tenter
de nous protéger. Les dirigeants du gouvernement sont très menacés
et vivent dans la clandestinité. Ils ne sont pas aptes, eux non
plus, à prendre un fusil contre un char.
S.C. - Avez-vous l’espoir que
ce déluge d’obus cesse bientôt ?
Khaled : Israël ne va pas
s’arrêter. Il ne s’arrêtera que si l’un de ces massacres
soulève de grandes protestations. Alors là, l’armée israélienne
se retirera un peu, en attendant que les protestations se calment,
et puis ses massacres vont recommencer.
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