Palestine - Solidarité

   



Mahmoud Musa :
Un État unique pour les Israéliens et les Palestiniens


Entretien réalisé par Silvia Cattori

Novembre 2005

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Silvia Cattori : Pendant toutes ces années où l’Autorité palestinienne s’est prêtée au jeu des négociations, les Palestiniens ont cumulé frustrations et souffrances. Israël qui a profité de ce temps pour consolider ses acquis, ressort plus fort que jamais. La dernière proposition de paix d’Ariel Sharon laisse aux Palestiniens 8 % du territoire historique. Que ressentez-vous à l’idée qu’aucun des objectifs de l’Organisation de libération palestinienne (OLP) n’a été réalisé à ce jour ?

Mahmoud Musa : Tout ce qui se passe, depuis quinze ans, depuis la conférence de Madrid, ne saurait être appelé « négociations ». A l’époque, le Premier ministre israélien Itzhak Shamir avait dit : « Je peux faire en sorte que ce petit jeu se prolonge au moins dix ans ». Personne ne s’attend à ce que le petit jeu perdure encore quinze ans. L’objectif du gouvernement israélien, c’est de prendre le contrôle de la terre, de détruire l’économie, de massacrer les Palestiniens ou de les humilier, afin de poursuivre le processus d’épuration ethnique commencé en 1947. L’Autorité palestinienne devrait cesser de participer à cette mascarade.

Silvia Cattori : Jusqu’ici, tous les accords - d’Oslo à Genève - étaient basés sur des postulats moralement inacceptables dont, notamment, la séparation entre deux peuples sur des bases ethniques. Or cette option, qui aboutirait à créer une pseudo-Palestine, qui ne concernerait qu’un tiers des Palestiniens et moins d’un cinquième de leurs terres, semble ne plus faire l’unanimité. De la Feuille de Route, chère à Bush, nul ne parle plus. Pensez-vous qu’un Etat unique soit une alternative envisageable, à terme ?

Mahmoud Musa : Il y a eu quantité de plans : Madrid, Oslo I, Oslo II, Wye River, Camp David, Plan Tenet, Document Mitchell, Accords de Sharm el-Sheikh, Initiative de Genève, Feuille de route… : tout ceci a pour but de séparer les juifs et les Palestiniens, alors qu’ils vivent déjà largement mélangés entre eux et que leurs ressources naturelles et leurs économies respectives ne peuvent être séparées. C’est pour inscrire dans le marbre ce système d’apartheid qu’une muraille et des autoroutes réservées sont en cours de construction. Ce processus doit prendre fin, et un processus d’édification d’un seul Etat, démocratique, doit être initialisé.

Silvia Cattori : Les Palestiniens qui sont regroupés dans des mouvements religieux n’ont-ils pas des aspirations nationalistes susceptibles de contrecarrer cette idée d’un Etat unique pour tous ?

Mahmoud Musa : Ce sont des partis et formations confessionnels. La religion aide les gens à supporter les conditions très dures dans lesquelles ils doivent survivre. Ils n’ont absolument rien contre l’idée de vivre dans un même Etat (avec les juifs), dès lors qu’ils n’y seraient pas confrontés à des discriminations. Les Palestiniens sont en train de lutter contre le colonialisme ; pas contre le judaïsme. De même que les Noirs sud-africains se battaient contre le colonialisme et l’apartheid, et absolument pas contre les Blancs.

Silvia Cattori : Si la revendication d’un Etat unique est la seule solution viable, car plus équitable et conforme au droit international, pourquoi jusqu’ici est-ce la solution basée sur deux Etats qui est mise en avant par le camp de la paix et les instances internationales ?

Mahmoud Musa : La situation que vous décrivez s’est installée essentiellement parce que l’Autorité palestinienne en a appelé à une solution à deux Etats. Toutefois, ceci est en train de changer, et rapidement, parce que les gens se rendent compte qu’un Etat palestinien viable est impossible et qu’une solution à deux Etats n’apporterait ni la paix, ni la prospérité au Moyen-Orient, et donc au monde, d’une manière générale.

Silvia Cattori : Même si la solution d’un Etat unique et démocratique, où Israéliens et Palestiniens vivraient à l’intérieur des mêmes frontières, était soutenue par la communauté internationale, ne pensez-vous pas qu’Israël empêcherait cette idée de se concrétiser ?

Mahmoud Musa : Si, bien sûr. Les régimes colonialistes de peuplement refusent toujours de renoncer à leur mentalité exclusiviste et raciste, et ne deviennent pas démocratiques du jour au lendemain. Toutefois, la communauté internationale est en train de prendre conscience du fait qu’il n’y a pas de place pour le colonialisme, l’apartheid et les Etats purs, du point de vue ethnique, au vingt-et-unième siècle.

Silvia Cattori : Si on se base sur le fait qu’avant 1948 les Arabes vivaient en harmonie avec les juifs venus s’installer progressivement en Palestine, il semble envisageable qu’ils puissent vivre tous ensemble. Mais après tout le mal qui leur a été fait, les Palestiniens pourront-ils partager leurs terres avec ces colons qui affichent une attitude exclusive, le rejet des Palestiniens et de la religion musulmane ?

Mahmoud Musa : Les Palestiniens sont conscients du fait qu’un Etat unique démocratique améliorerait leurs conditions de réfugiés soumis à occupation et générerait la paix dans l’ensemble de la région.

Silvia Cattori : Des Palestiniens vivent déjà dans un même Etat que les juifs, en Israël. Sauf qu’aujourd’hui ils sont discriminés et n’ont pas les mêmes droits que les Israéliens de confession juive. Mais pour que cela cesse, il faudrait qu’Israël renonce à son statut d’Etat juif, et devienne un Etat véritablement démocratique. Or cela paraît inimaginable !

Mahmoud Musa : Les régimes colonialistes de peuplement se cramponnent à leur mentalité, comme je l’ai indiqué. Toutefois, pour les Israéliens, le renoncement à ces attitudes colonialistes présenterait de nombreux avantages. La paix réduirait la nécessité de gaspiller d’énormes ressources en armements et elle ouvrirait à Israël l’immense marché des mondes arabe et musulman. Il en va de l’intérêt de la communauté internationale de favoriser cette solution.

Silvia Cattori : L’Autorité palestinienne qui, depuis Oslo, a abandonné la lutte, n’est-elle pas devenue pour le peuple palestinien, qui souffre de l’occupation, un fardeau qui s’ajoute à l’oppression israélienne ?

Mahmoud Musa : L’existence de l’Autorité palestinienne empêche la formation d’un Etat unique car, dans ce cas, ses épigones perdraient leurs privilèges. Il est dans l’intérêt d’une solution au conflit que l’autorité s’auto-dissolve et que se forme un parti de défense des droits de l’homme qui lutte pour la démocratie politique et sociale.

Silvia Cattori : Qu’éprouvez-vous, à l’égard de tous ceux qui, en Israël et dans le monde, appuient le projet politique d’un Etat qui pratique la discrimination raciale et refuse aux Palestiniens de retourner sur leur terre ? 

Mahmoud Musa : La réalité dont vous faites le constat est due au fait que les mass media sont contrôlés par les puissants. Toutefois, cela est en train de changer, grâce, principalement, à Internet.

Silvia Cattori : Une Autorité palestinienne qui se dote d’ambassadeurs et de ministres, n’est-ce pas une absurdité ? S’étant compromise dans des négociations avec Israël, l’Autorité palestinienne n’a-t-elle plus d’autre choix que de collaborer avec lui, et donc de capituler ?

Mahmoud Musa : L’Autorité palestinienne est une autorité sans Etat, qui fait tout afin de perpétuer la fantasmagorie d’un Etat dépourvu de territoire. Elle est soutenue par les Etats-Unis et leurs alliés. Par ailleurs, elle est vermoulue par la corruption. Cela seul suffit à la placer dans l’incapacité d’apporter la paix et la prospérité.

Silvia Cattori : Quel message adressez-vous aux mouvements de solidarité qui ont jusqu’ici soutenu la politique de l’Autorité palestinienne ?

Mahmoud Musa : C’est en défendant un Etat unique démocratique s’étendant à toute la superficie de la Palestine historique que le mouvement international de solidarité contribuera aux intérêts de tous les peuples de cette région du monde, du Moyen-Orient, et à la cause de la paix dans le monde, d’une manière générale. Voilà ce que j’ai à leur dire…

Silvia Cattori : Dans le contexte actuel, extrêmement  sombre, que peuvent encore espérer les Palestiniens ?

Mahmoud Musa : Les Palestiniens luttent depuis près d’un siècle. Ils voient les nombreux exemples de peuples qui se sont battus encore plus longtemps qu’eux, et qui ont obtenu la victoire.

* Le Professeur Mahmoud N. Musa est Palestinien. Il est né dans une famille qui vivait et travaillait en harmonie avec des juifs, à Haïfa, jusqu’en 1948. C’est alors qu’il se retrouva réfugié dans ce qu’on appelle de nos jours la Cisjordanie. Il a fait des études de médecine et a travaillé dans la recherche aux Etats-Unis, où il est devenu professeur de psychiatrie. Il est président de l’Association pour Un Etat (unique) Démocratique en Palestine / Israël.

http://www.one-democratic-state.org

 


 Source : Silvia Cattori 251105


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