Palestine - Solidarité

   



PALESTINE :
LES TERMES DU COMBAT VONT CHANGER

 


Entretien de Silvia Cattori avec Pierre-Yves Salingue, Novembre 2005.

Cet entretien comporte trois parties. (1)

                   1 – Les Palestiniens pris au piège des accords d’Oslo.

                   2 – La solidarité : les racines de l’impasse.

                   3 – Les perspectives du combat pour la Palestine.

 

DEUXIEME PARTIE.

Silvia Cattori : Les dirigeants de partis et associations n’ont-ils pas eu tort de collaborer avec l’Autorité palestinienne, dès lors qu’elle se pliait à un processus de paix qui faisait les intérêts d’Israël et à des dictats qui coulaient son peuple ?

Pierre Yves Salingue : On doit faire la différence entre aujourd’hui et 1993. Nous pouvons  admettre les illusions en 1993 sur « la paix possible », parce qu’il n’y avait pas de véritable alternative du coté palestinien ; nous pouvons admettre que ce que l’on appelle « gauche palestinienne » était faible et sans perspectives et qu’il était donc difficile de soutenir autre chose que la voie des négociations. Mais aujourd’hui on n’est plus en 1993. On est dans une situation où tout le monde peut mesurer l’échec de cette stratégie des petits pas. Aujourd’hui tout le monde dit : « Il n’y a jamais eu autant de colonies construites que depuis les accords d’Oslo». Mais dire cela, sans tirer les leçons de cette stratégie est gravissime.

S.C. - Personne ne fait son autocritique ?

Pierre-Yves Salingue : On voit ceux qui ce sont trompés hier, prêts à recommencer.  « La paix est possible » disaient-ils. Or, si la paix était si proche hier, pourquoi la situation est-elle allée de pire en pire ? La faute à Sharon ? Mais comment et pourquoi Sharon est-il devenu Premier Ministre ? Au sein du mouvement de solidarité presque tout le monde se voit contraint maintenant de constater le désastre mais quasiment personne ne se demande si l’erreur ne se trouvait pas dans l’analyse des racines de ce conflit et dans l’appréciation erronée de ses enjeux véritables. On ne doit pas accepter que les mêmes nous resservent des discours identiques et continuent de véhiculer des illusions sur la paix et de tromper les gens.

Je pense qu’un nombre croissant de celles et ceux qui se sont mobilisés sont démoralisés, s’interrogent sur cet échec et se demandent comment en est-on arrivés là ? C’est cela que les dirigeants du mouvement de solidarité craignent, de devoir expliquer et aller au fond des choses, c’est-à-dire, de parler en toute honnêteté de la nature de l’Etat d’Israël et des projets de l’impérialisme.

S.C. - Ce refus de voir l’inacceptable est difficile à comprendre !

Pierre-Yves Salingue : Ce n’est pas si difficile si l’on sait qu’en France il n’y a pas de « mouvement de défense des palestiniens ». Il y a quelques comités locaux indépendants qui ont des options politiques différentes de celles soutenue par des « grandes organisations ». En faits, le mouvement de solidarité ne s’est jamais affirmé ni construit comme un mouvement de soutien à la lutte du Peuple palestinien, pour sa libération nationale et sa résistance contre le nettoyage ethnique.

S.C. - Le collectif national qui regroupe toutes ces organisations politiques, comme le PCF, la LCR, la LDH, le MRAP, la FSU, l’AFPS, les Verts, le Mouvement de la Paix, l’UJFP, n’est-il pas clair dans son soutien ?

Pierre-Yves Salingue : Quel nom ont-ils choisi ? Collectif national POUR UNE PAIX JUSTE ET DURABLE ENTRE PALESTINIENS ET ISRAELIENS. Voilà, tout est dit ! Rien que son appellation permet de comprendre où se situe le problème et indique que ce n’est pas un collectif pour soutenir la lutte de libération du peuple palestinien ! Il s’agit d’un mouvement de soutien à la recherche de la paix, animé par la croyance que la paix est possible dans le double respect de l’Etat juif d’Israël et des aspirations des Palestiniens. Mais l’histoire a montré que c’est  une équation impossible à résoudre parce que la logique de l’Etat sioniste d’Israël est strictement antagoniste avec la satisfaction des exigences légitimes du peuple palestinien.

S.C. - Comment font-ils pour masquer la contradiction et éviter de se confronter au vrai problème ?

Pierre-Yves Salingue : Il a fallu imposer l’idée que la synthèse des revendications du peuple palestinien était la création d’un petit Etat établi "dans les frontières de 1967" ; expression qui est en soi une tromperie puisque, d'un côté, Israël ne se reconnaît pas de frontières et que, de l'autre côté, il n'existe pas d’Etat palestinien. Mais, pour eux, l'important est de faire disparaître du débat les réfugiés et les Palestiniens vivant en Israël, puisqu’il s’agit de ne pas toucher à « la légitimité » de l’Etat d’Israël.

S.C. - C’est ainsi qu'au lieu d'avoir un mouvement de soutien à la lutte de libération des Palestiniens on se retrouve avec un mouvement « pour la Paix » ?

Pierre-Yves Salingue : Il s’agit en fait d’un mouvement de soutien aux pacifistes israéliens et aux « Palestiniens raisonnables », qui ont saisi l’opportunité d'accepter que le point de départ de toute négociation - et encore sous réserve de ne pas être violent - est que la population palestinienne renonce à tout droit sur plus de 80% de la Palestine. Le refus obstiné de se confronter à la question de la nature et de la fonction politique d’Israël - celles d’un état colonial raciste, chien de garde des intérêts de l’Impérialisme au Moyen-Orient - a finalement abouti à un positionnement qui, au prétexte de vouloir contribuer à « l’établissement d’une paix durable entre les deux peuples », a amené le mouvement de solidarité à s’en tenir à une critique des « excès israéliens » et plus particulièrement à la dénonciation de la politique de Sharon.

S.C. - Les gouvernements précédents ont-ils mené la même politique ?

Pierre-Yves Salingue : Ce que Sharon a pu faire depuis le 11 septembre 2001 a été préparé et rendu possible par tout ce qui a été mis en œuvre durant « la paix d’Oslo ». Ce qui a rendu totalement obsolètes les discours illusoires sur « deux Etats vivant en paix côte à côte » ce ne sont pas « les excès de Sharon » : l’anéantissement de l’idée d’un Etat palestinien indépendant est le résultat de l’accumulation de dizaines d’années de politique coloniale menée par tous les gouvernements israéliens et cela n’est que la matérialisation du projet sioniste de fonder un état juif sur toute la Palestine.

Les Palestiniens ayant repris le chemin de la résistance, après des années de paix illusoire, le mouvement de  solidarité avec les Palestiniens - qui est devenu un mouvement « pour la Paix » - n’a plus d’autre possibilité que de se transformer en un mouvement de promotion des pacifistes israéliens « contre l’occupation » et de soutien politique à la petite élite palestinienne produite par Oslo. Une élite qui veut normaliser ses relations avec Israël quel que soit le prix que devra payer l'immense majorité des Palestiniens.

 

S.C. - Qu’est-ce qui pourrait faire tomber ces illusions ?

Pierre-Yves Salingue : D’abord le changement de la réalité du terrain, l’éradication des bases matérielles et politiques de l’Etat palestinien indépendant. Ce changement va permettre de clarifier bien des choses pour l’action de solidarité et va induire un bouleversement de l’horizon politique que nous connaissons.

S.C. - Si la perspective d’un Etat palestinien disparaît, que signifie la revendication « fin de l’occupation » ?

Pierre-Yves Salingue : D’abord de quelle occupation de la Palestine parle-t-on ?

Des 55 % donnés aux sionistes par l’ONU- en les volant aux Palestiniens- pour fonder l’Etat d ‘Israël en 1947 alors que la population juive ne possédait que 7 % des terres ?

Des 78 % occupés et annexés par Israël à l’issue de la guerre de 48, dont Jérusalem ouest, en contradiction avec la décision de l’ONU d’ailleurs.

Des 90 % qui résulteraient de l’annexion des blocs de colonie de Cisjordanie ?

La fin de l’occupation coloniale de la Palestine est la remise en cause de tout ce qui a été imposé aux Palestiniens depuis la décision du partage par l’ONU en 1947, y compris cette décision évidemment.

S.C. - Dire que le conflit commence avec l’occupation de 1967 est donc une imposture !?

Pierre-Yves Salingue : Considérer que les 19 ans d’occupation qui ont précédé sont légitimes et que seule l’occupation depuis 1967 est l'origine du problème, n’est pas admissible. Il faudra bien que ceux qui sont censés parler en défense des Palestiniens sortent de la fiction qui consiste à croire et faire croire que la paix est possible sans toucher aux fondements de ce qui, justement, la rend tout à fait impossible, à savoir la nature coloniale sioniste d’Israël et le rôle assigné à cet état sioniste par l’impérialisme contre les peuples arabes du Moyen-Orient.

S.C. - Pensez-vous que les Palestiniens pourront échapper à cette situation où les médias, et malheureusement aussi nombre de responsables agissant au nom de la solidarité, focalisent l’attention publique sur des symptômes, en évitant de donner les explications sur les causes profondes et les remèdes possibles ?

Pierre-Yves Salingue : On assiste, aujourd’hui encore, à quelques tentatives désespérées de maintenir vivante la fiction de la « seule solution » des deux états : je ne parlerais pas ici des manœuvres politiques et diplomatiques des gouvernements américains et européens ni des régimes arabes. Je parle des récentes contributions de gens qui sont une référence dans le mouvement de solidarité. L’Israélien Jeff Halper, par exemple, qui depuis plus d’un an a décrit ce qui se passe sur le terrain, en Cisjordanie notamment. Sa contribution ne laisse place à aucune ambiguïté sur le fait que les bases matérielles/territoriales d’un état indépendant palestinien ont disparu. Pourtant, après avoir constaté que « pour Sharon l’affaire est faite » il laisse ouverte, en conclusion, l’hypothèse qu’il est encore possible de voir l’option des deux Etats prévus par la feuille de route, se réaliser. «Nous le saurons dans 3 à 6 mois» écrit-il.

Mais qu’est-ce que les prochains six mois nous diront de plus que les 10, 38, 57 années qui ont précédé ? De quelle solution miraculeuse les six prochains mois peuvent-ils être porteurs, alors que chaque jour qui passe apporte son lot de manœuvres politiques internationales, de faits accomplis israéliens, de désastres internes palestiniens qui entérinent la liquidation du peuple palestinien en tant qu’entité nationale vivant sur la terre de Palestine ?

S.C. - Donc parler de « territoires » à se partager, de « deux Etats », est une aberration ? La terre contre la paix, une fiction ?

Pierre-Yves Salingue : Dans son immense majorité, le mouvement de solidarité a été jusqu'à ce jour incapable d'analyser les raisons profondes du « conflit », le réduisant pour l'essentiel à une querelle historique entre deux peuples pour le « partage d'une même terre ». De « deux  nationalismes également légitimes », selon la formule d’Uri Avnery. Bref, à les en croire, il s’agit d’une sorte de conflit frontalier qu'il conviendrait de résoudre entre gens raisonnables des deux bords avec la médiation indispensable des diplomates et la présence d’observateurs internationaux ! La solution induite par une telle vision ne peut être que "négocier les termes d'une paix juste et durable", donc on va continuer d’aller de conférences internationales en plans de paix, qui peuvent varier sur des détails mais dont la matrice commune est intangible : affirmer que la lutte des Palestiniens n’est pas une lutte de libération nationale et que l'Etat d'Israël doit être défendu et garanti « tel qu'il existe ». Tout au plus peut-on encore discuter d’où la frontière doit passer et de son apparence matérielle : « Un mur ce n’est pas bien, encore que, s’il passe sur la « ligne verte » on peut le juger regrettable mais bon : « Eux chez eux et nous chez nous »

S.C. - Ce qui veut dire que les racines de l’affrontement ce n’est pas le conflit entre deux nations ou deux nationalismes également légitimes ?

Pierre-Yves Salingue : L’Etat d’Israël est une colonie, point final. Certes, c’est une colonie qui a été « autorisée » en 1947 par le vote de l’ONU. Du même coup l’on a instillé dans le monde arabe le poison qui allait diviser les peuples, les juifs contre les Arabes, au plus grand profit des intérêts pétroliers et des régimes réactionnaires chargés de les protéger. En échange, les dictateurs arabes ont reçu la protection et la garantie de légitimité de la part des « grandes démocraties ».

S.C. - N’y a-t-il y pas un argument, très prégnant dans la solidarité, consistant à dire que, même si il y a eu des erreurs et des injustices, maintenant on ne peut plus revenir en arrière ?

Pierre-Yves Salingue : C’est l’idée véhiculée par la plupart de ceux qui dirigent les organisations qui structurent le mouvement de solidarité. Selon la formule consacrée : « C’est dommage pour les Palestiniens mais  on n’y peut plus rien », et « on ne saurait réparer une injustice par une autre injustice ». Exit donc le droit au retour des réfugiés palestiniens, véritable cauchemar éthique de nos avocats des droits de l’homme qui n’en finissent pas d’inventer la nouvelle arnaque qui permettrait de reconnaître un droit tout en étant certain qu'il ne pourra pas se concrétiser ! La dernière manœuvre en vogue consiste à dire que les Israéliens devraient reconnaître leurs responsabilités, que l’Etat d’Israël devrait participer au paiement des compensations mais que, bien entendu, dans les faits, « un retour massif est exclu ». Il y a aussi une façon particulièrement cynique de dire que, comme Israël est un état de discrimination raciale, les réfugiés n’ont vraiment aucun intérêt à revenir !

L’hypocrisie est totale dans cette affaire. Des organisations comme l’AFPS, la LCR, le PCF, les Missions civiles, proclament qu’elles sont « pour le droit au retour » mais comme certains – dont la LDH et le Mouvement de la Paix - sont contre, et bien, sous prétexte de maintenir un cadre unitaire, on n’en parle pas. Ainsi, cela ne figurera pas sur les tracts ni sur les affiches ni dans les pétitions et on n’abordera pas la question dans les réunions publiques ; tout cela, bien entendu, avec la caution de « la représentante de la Palestine » en France !

S.C. - Ne pas revendiquer l’application concrète du droit au retour de même que ne pas parler du nettoyage ethnique des Palestiniens vivant au Naqab et en Galilée, n’est-ce pas une manière de défendre le droit d’Israël à exister comme «un Etat juif » ?

Pierre-Yves Salingue : Oui, et avec le moins possible de Palestiniens sur la totalité du territoire de la Palestine du mandat. Et c’est cet Etat là que des gens qui s’affichent comme les défenseurs des droits des Palestiniens veulent protéger !

La réalité c’est que ce qui oppose le Peuple palestinien - et au-delà les peuples arabes du Moyen-Orient - à l’Etat d’Israël n’est pas un conflit pour déterminer si la frontière passe ici ou là, mais un conflit qui oppose un peuple qui a été dépossédé, et qui lutte pour ses droits légitimes à l’autodétermination, à un Etat, Israël, qui s’est imposé par la force, voulu par les puissances occidentales via le partage décidé par l’ONU, et qui s’est construit comme un poste avancé de l’impérialisme au cœur des peuples arabes. Un Etat qui n’a pas du tout l’intention de s’intégrer dans le Moyen-Orient arabe mais au contraire qui entend être une citadelle de la civilisation occidentale blanche et un point d’appui de la mondialisation capitaliste dans la région. Jamais un tel Etat ne permettra aux Palestiniens d’exercer leur droit à l’autodétermination, jamais cet Etat ne fera la paix avec ses voisins arabes. Ceux qui prétendent le contraire aujourd’hui, alors que depuis plus d’un demi-siècle Israël a fait la démonstration de sa nature et de son lien structurel avec l’Impérialisme, sont des menteurs. 

S.C. - Mais comment écarter ces intervenants qui desservent la cause tout en faisant croire qu’ils la servent ?

Pierre-Yves Salingue : C’est très difficile, mais je crois que, paradoxalement, la gravité de l’évolution sur le terrain permet d’avancer. Tant qu’il était acquis que « l’occupation date de 1967 » et que « les Palestiniens auraient eux aussi leur Etat », il était très difficile de dire que cette thèse était erronée et d’en faire entendre une autre.

Il faut ajouter à cela une autre difficulté : la pression exercée en occident de la part de ceux qui, au service de la défense de l’état sioniste, se servent de la souffrance générée par les nazis, et participent de ce que Finkelstein appelle « L’industrie de l’Holocauste ».

Au fil des renoncements beaucoup ont oublié à quoi on reconnaissait, d’une part, une entreprise coloniale et, d’autre part, un mouvement de libération. Jusqu’à en arriver à cette situation incroyable où toute allusion à des faits historiques tel que la NAQBA – le massacre et l’expulsion de plus de 800'000 Palestiniens en 1948 - vous expose au procès de vouloir « jeter les juifs à la mer ». Ou si vous dites : « Sionistes hors de Palestine », fait de vous un partisan de l’holocauste maquillé en « antisioniste radical » ! Ce qui, concrètement, se traduit par l’affirmation sans cesse réitérée que « l’Etat d’Israël a le droit d’exister dans des frontières sures et reconnues ».

S.C. - Il y donc une volonté claire de masquer la vérité historique ?

Pierre-Yves Salingue : Le verrou est là, il s’incarne très précisément dans cette phrase du « droit de l’Etat d’Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues », qui ferme toute discussion. Voilà pourquoi dans le mouvement de solidarité certains militants veulent l’inclure impérativement dans tout tract et initiative. La sécurité d’Israël doit être constamment réaffirmée. Quant à la promesse d’un état palestinien elle était bien utile parce que, malgré tout, défendre un Etat qui se dit lui-même Etat juif, fondé sur une base raciale, pratiquant l’expulsion de la population, doté de la bombe nucléaire, lourd d‘un passé d’agressions contre les peuples de la région...cela fait quand même beaucoup pour nos grands défenseurs des valeurs universelles !

C’est ainsi que, au motif de ce qui s’est passé sous le nazisme, on nous oppose que l’on ne peut pas revenir sur la décision de création d’une entité politique totalement artificielle alors que cette entité politique, au lieu de régler le problème, le rouvre en permanence et développe un ensemble d’éléments qui vont à l’encontre de toutes les prétentions de démocratie, d’antiracisme, de laïcité, de liberté de conscience. Or, l’Etat d’Israël n’est nullement une solution à l’antisémitisme mais au contraire un facteur d’affrontement et d’injustices accrues qui ne peuvent mener qu’à de nouvelles catastrophes. 

S.C. - Donc, ceux qui maintiennent ces verrous, ne sont pas des doux naïfs ?

Pierre-Yves Salingue : Ces verrous n’ont pas été posés pour protéger les juifs d’un quelconque danger d’antisémitisme mais pour que l’on ne touche pas à Israël. Combattre tous les racismes doit être une préoccupation constante. Mais qui peut croire qu’il y a aujourd’hui « un danger d’extermination des juifs ? »  Qui ne voit pas que bien d’autres peuples, groupes humains, ethnies et minorités religieuses - les noirs, les arabes et les musulmans en particulier - sont aujourd’hui bien plus discriminés et victimes du racisme quotidien ordinaire, ou encore, visés par les partisans du « choc des civilisations » ?

S.C. - Ceux des dirigeants qui, dans le mouvement de solidarité, ont contribué à mener les Palestiniens dans une pareille impasse, ne devraient-ils pas être écartés ?

Pierre-Yves Salingue : Ce n’est vraiment pas ma principale préoccupation. Quand je parle d’un mouvement en désarroi je ne désigne pas les responsables de cette situation. Je parle des gens, dont je n’ai aucune raison de douter de la sincérité, qui ont participé à des actions, qui ont signé des pétitions, qui, faute de résultats positifs tangibles se sont lassés et se sont souvent repliés sur des gestes humanitaires : gestes qui peuvent peut-être apporter un peu de réconfort à des Palestiniens, notamment aux enfants, à défaut de changer le cours des choses sur lesquelles ils n’ont pas de prise. Ils ne sont pas, eux, responsables de cette impasse. Je suis néanmoins sans concession dans la discussion politique avec eux, car je ne pense pas que l’action humanitaire puisse faire progresser la cause palestinienne. La grande majorité des gens qui participent ou qui ont participé à la défense de cette cause sont découragés.

S.C. - Et comment ne le seraient-ils pas si leurs dirigeants leur ont fait croire qu’ils apportaient leur pierre à un projet réaliste de construction de la Paix et que, un peu grâce à eux, les Palestiniens auraient leur Etat ?!

Pierre Yves-Salingue : C’est pourquoi il est urgent de leur proposer de participer à d’autres actions que celles où ils se sont, malgré eux, fourvoyés. Nous devons consacrer toute notre énergie à proposer une alternative plutôt que de demander des comptes à ceux qui les ont induits en erreur. Même si je pense que l’on ne pourra pas éviter la confrontation, je souhaite que l’on se confronte avec les responsables politiques de cette orientation désastreuse, non pas sur le mode du règlement de comptes, mais sur le bilan des stratégies développées, sur le bilan du cours politique suivi par ceux qu’ils ont soutenus en Palestine, et sur ce qu’il est advenu des multiples projets pour lesquels ils ont demandé le soutien des gens émus par la situation dramatique des Palestiniens.

S.C. - Que faire pour apporter un changement ?

Pierre Yves-Salingue : Beaucoup de choses ! Mais il y a une priorité : faire la peau à l’idée que la mission principale d’un mouvement de solidarité serait de contribuer à appuyer des négociations et des initiatives de paix.

Peu à peu une norme a été imposée dans le mouvement de solidarité : l’idée qu’une bonne initiative est une initiative qui affiche sa volonté de contribuer à « la paix » ; une délégation qui va en Palestine doit dire qu’elle veut contribuer à la paix et ne pas oublier dans son agenda l’inévitable « rencontre avec des pacifistes israéliens » ; une réunion d’information sur la situation en Palestine se doit d’inviter un orateur israélien ou de confession juive, sinon il y a doute possible sur la volonté de ses initiateurs de contribuer à la paix.

C’est ainsi que ce qui devrait être un mouvement de solidarité avec la lutte du peuple palestinien - donc avec sa résistance à l’oppression - est devenu un mouvement qui fait la promotion d’individus et d’initiatives qui renforcent les illusions du type : « La paix est possible, c’est une affaire de bonne volonté, il faut mettre les gens autour d’une table et les aider à dialoguer ». La négociation et le dialogue sont devenus des mots magiques alors que le terme de résistance est devenu suspect et allègrement confondu avec celui de « terrorisme ».

S.C. - Etes-vous contre tout dialogue ? Des voix s’expriment pourtant pour dire que c’est la condition de la réconciliation entre les deux peuples ?

Pierre-Yves Salingue : La condition principale de la réconciliation c’est que les victimes de la colonisation et de l’oppression coloniale retrouvent leurs droits, tous leurs droits, et pas seulement ceux qu’une partie de l’Etat oppresseur est prête à leur concéder par la négociation.

Evidemment, si le dialogue dont il est question se fonde sur une reconnaissance de la totalité des droits des Palestiniens, je suis pour, c’est ce que j’appelle de la solidarité. Mais s’il s’agit de « se parler pour mieux se comprendre », comme on le fait, alors que la libération n’est pas acquise et sans la reconnaissance préalable intégrale des droits nationaux palestiniens, j’appelle cela de la « collaboration ». C’est ce que les Palestiniens qui ne capitulent pas, dénoncent quand ils parlent « de normalisation ».

Il y a l’affirmation d’un code d’éthique de portée universelle et distribution gratuite de leçons de morale par des intervenants qui n’ont jamais vu un hélicoptère Apache ailleurs qu’à la télévision. Ainsi on en est arrivé à l’idée que les Palestiniens qui sont victimes de l’oppression israélienne sont « sympathiques », par contre ceux qui combattent les armes à la main contre l’oppression, sont suspects d’être des « ennemis de la paix », ou encore d’être « des terroristes ». L’utilisation de ce qualificatif est devenu banal dans les communiqués des uns et des autres, mais il est vrai que l’exemple est donné par Abu Mazen lui-même, alors pourquoi s’en priveraient-ils ?

S.C. - Vous parlez de l’attitude à l’égard des attentats palestiniens contre des civils ?

Pierre-Yves-Salingue : Je parle d’une position générale de retrait par rapport à l’action de résistance. Il semblerait que les Palestiniens ne soient plus en mesure de choisir leurs méthodes de lutte sans s’exposer, non pas éventuellement à un débat politique  légitime sur l’efficacité ou l’opportunité de ces actions aujourd’hui, mais à un jugement politique et moral qui prétend décider des actions que les Palestiniens sont en droit de mener et conditionne tout soutien à leur adhésion des Palestiniens aux méthodes labellisées comme correctes par les dirigeants du mouvement de solidarité.

Personnellement, je ne trouve pas que les attentats contre des civils en Israël soient un choix politique très pertinent pour les Palestiniens parce que ça ne renforce pas leur lutte. Je le dis, je l’écris, ici et en Palestine ; mais je ne me permettrais pas de leur contester le droit de résister par tous les moyens, ni de condamner les moyens que les résistants utilisent. D’un point de vue général je ne pense pas que tuer indistinctement des civils soit un signe de développement de la civilisation à même de contribuer au progrès de l’Humanité. Ce n’est pas très original comme remarque, chacune à leur manière les religions chrétiennes et l’Islam disent : « On ne doit pas tuer », ce qui n’a pas empêché l’extermination des autochtones d’Amérique par les Espagnols, ni celle des Indiens d’Amérique du nord, ni les Croisades, ni les expéditions contre les « infidèles ».

Depuis longtemps les guerres tuent surtout des civils. Donc, s’il s’agit de condamner la guerre qui tue des civils, je signe. Mais qu’est-ce que je fais si des bandes armées entrent dans ma maison, assassinent ma famille et mettent le feu en partant ? Et que ces violences contre les miens se reproduisent, mois après mois, années après années, pendant que le monde entier verse des larmes sur mon sort mais ne change rien à son attitude et laisse faire ?

Si des gens dans le mouvement de solidarité veulent avoir le droit de critiquer les moyens utilisés par la résistance, ils doivent d’abord aider les Palestiniens à réunir les conditions du choix des armes. Quand, grâce à notre action, nos gouvernements ne pourront plus se permettre de coopérer à la fabrication d’armes qui tuent les civils palestiniens, quand ils cesseront les relations avec l’Etat d’Israël, quand ils bloqueront tous les échanges économiques, scientifiques et culturels, alors, peut-être, les enfants palestiniens ne verront plus de chars israéliens sur le chemin de l’école, n’auront plus de raison de jeter des pierres contre les soldats et ne risqueront plus de se faire tuer. Et leurs frères et mères ne seront plus incités à les venger.

Beaucoup de gens sont choqués par les attaques suicides. Mais proposent-ils de fournir des chars et des missiles aux Palestiniens pour se défendre ?

S.C. - Est-ce à dire que vous soutenez l’action du Hamas ?

Pierre-Yves Salingue : Le Hamas, encore un sujet qui fâche ! Je ne soutiens pas le Hamas car j’ai des divergences politiques majeures avec ce courant. Mais je constate que ce mouvement est devenu un vecteur important de la résistance palestinienne. Quand la répression s’abat sur les militants du Hamas, on doit les défendre sans hésitation. Et les inconditionnels de Yasser Arafat feraient bien de s’interroger sur les raisons de la place désormais occupée par le Hamas dans la résistance contre l’occupation.

Pour beaucoup de gens – y compris dans le mouvement de solidarité - le Hamas et le Jihad font  partie du « danger islamique ». D’où la timidité des réactions lors des assassinats de Yassine et de Rantissi, à Gaza. De même, aujourd’hui, l’on constate de curieux revirements dans les relations entretenues par des municipalités françaises avec des collectivités palestiniennes. Depuis que des maires du Fatah ont été battus aux dernières élections et remplacés par des maires appartenant au Hamas, bizarrement, des jumelages sont remis en cause par des maires français. On ne peut qu’y voir une confirmation d’un soutien très conditionnel. Tant que les Palestiniens sont des victimes, on les adore, mais s’ils se mettent à voter pour des gens qui disent « On va résister par tous les moyens à notre disposition », là on voit surgir un niveau d’exigences démocratiques inhabituel. 

S.C. - Ce que vous décrivez est-ce également la position des responsables du mouvement en France ?

Pierre-Yves Salingue : C’est l’opinion dominante de ceux qui influencent le mouvement de solidarité. Et cela passe les frontières. Opinion qui n’est pas fondée sur une analyse concrète de ce qu’est le Hamas, des circonstances de son développement, de sa stratégie politique, de la réalité politique et sociologique qu’il recouvre, de ce qui fait sa force et sa faiblesse.

Je ne crois pas – comme on le dit - que l’objectif du Hamas soit l’instauration d’un pouvoir politique islamique en Palestine. Dans les conditions actuelles cela signifierait une confrontation avec les puissances qui défendent Israël et, de cela, la direction du Hamas ne veut pas. Leur objectif principal me paraît être la réislamisation de la société palestinienne. Je suis d’avis que c’est un débat possible et nécessaire. On devrait pouvoir en discuter ouvertement. Or, ce n’est pas ça qui se passe. La peur du Hamas est, pour faire court, la « peur des barbus ». Cette attitude de défiance vis-à-vis des mouvements de résistance islamiques est aussi, en partie, ce qui paralyse les actions de mobilisation contre la guerre en Irak. Il n’y a pas de participation active à une mobilisation en soutien à la résistance irakienne parce que les Irakiens n’ont pas, aux yeux des responsables d’organisations qui devraient être à l’initiative du soutien, un curriculum vitae « propre ». De même presque personne ne s’exprime par rapport à l’éventualité d’une agression contre l’Iran. Et, s’agissant de l’Irak, on a déjà vu l’indifférence de nos  professeurs d’éthique, docteurs en droits de l’homme, lors de la 1ère guerre du golfe.

S.C. - La pression de l’idéologie du « choc des civilisations » n’est donc pas sans conséquences, même auprès de ceux qui prétendent la combattre ?

Pierre-Yves Salingue : On verra ce qui arrivera lors des élections législatives en Cisjordanie et à Gaza, si elles ont lieu un jour. Mais je ne puis m’empêcher de penser à ce qui s’est passé en Algérie quand le FIS a remporté les élections. On pourrait voir le même scénario se répéter pour « sauver » les Palestiniens - contre leur propre volonté - comme ils ont voulu « sauver » les Algériens en soutenant la maffia des généraux liés aux services secrets français ! Depuis nous avons appris que les civils assassinés n’étaient pas tous victimes des islamistes !

S.C. - Mais l’orientation catastrophique de l’Autorité palestinienne, et le réseau d’amis sur lesquels Israël peut compter, n’expliquerait-il pas la confiscation dans laquelle se trouve le mouvement de solidarité internationale ?

Pierre-Yves Salingue : Quand on a participé à la lutte contre l’apartheid en Afrique du sud il y a un peu de nostalgie. En effet, lorsqu’on affirmait un soutien à la lutte des noirs sud-africains, on ne se sentait pas obligé de rajouter la phrase garantissant aux colons blancs le droit de « vivre en sécurité », tout en restant colons et racistes. On ne se sentait pas obligés de promettre non plus à l'Etat d'apartheid qu'il pourrait conserver intactes ses superstructures politiques, son Etat, ses lois racistes, ses forces de répression. Bref, on ne devait pas garantir à l’apartheid que l’on combattait « des frontières sûres et reconnues » !

Quand on soutenait des déserteurs américains c’était tout simplement parce qu’en agissant ainsi ils choisissaient le bon camp et affaiblissaient l’agresseur, ce n’était pas pour « renouer le dialogue entre les deux communautés » ! On ne se demandait pas non plus si le boycott n’allait pas faire « souffrir des innocents » !

Les forces et les militants individuels qui se réclamaient de l'antiracisme combattaient l'état raciste et les anticolonialistes voulaient détruire l'état colonial, c’était assez simple n’est ce pas ? Même si certains d’entre nous avaient quelques inquiétudes sur le projet politique de l’ANC, il y avait la certitude qu’on se mobilisait pour soutenir la lutte des opprimés et qu’on était sans concession pour les forces racistes et aussi sans état d’âme sur le fait qu’ils perdraient quelques privilèges d’abord par le boycott et finalement pas la défaite.

S.C. - Pourquoi cette difficulté à mettre Israël dans le même cas de figure ?

Pierre-Yves Salingue : S'agissant de la Palestine on ne peut que constater l'incapacité de l’Autorité palestinienne à donner un cadre stratégique de mobilisation en soutien à la lutte du mouvement de libération. Cette incapacité est évidemment inscrite dans les choix politiques déjà évoqués. En privilégiant la diplomatie au détriment de l'appel à la mobilisation solidaire des peuples, les dirigeants palestiniens ont fait un choix qui condamnait la solidarité à n'être que l'auxiliaire des manœuvres diplomatiques internationales d’Arafat et d’Abu Mazen. A quoi bon un mouvement de soutien, si on table avant tout sur un revirement de la diplomatie américaine qui pourrait considérer que les Palestiniens valent mieux que les sionistes et si on rêve au moment divin où les négociateurs palestiniens vont supplanter les Israéliens dans le cœur du président Etats-Unis ? En clair : la direction palestinienne ne fut pas l'ANC des Palestiniens. C’est ainsi que le mouvement de solidarité est devenu un mouvement d'appoint à la recherche de la paix au prix de « solutions politiques» de plus en plus désastreuses : le soutien inconditionnel à un processus de négociation soumis en réalité à la volonté de Washington, se substituant à un soutien inconditionnel à la lutte de libération.

S.C. - Pensez-vous que les défenseurs des droits des Palestiniens n’auraient jamais dû suivre les options des représentants de l’OLP à l’extérieur, ni soutenir l’Autorité palestinienne ?

Pierre-Yves Salingue : Un mouvement de soutien à la lutte de libération nationale du peuple palestinien aurait du soutenir inconditionnellement les droits légitimes du peuple palestinien. Un tel mouvement n’est pas concerné par la tactique et les manœuvres diplomatiques de ceux qui le représentent et encore moins de ceux qui ne le représentent pas ; ce qui est le cas de l’Autorité palestinienne dont je rappelle qu’elle a été mise en place pour administrer à peine 40 % du peuple palestinien.

Avec la deuxième Intifada, et la répression qui a suivi, il y avait l’opportunité pour la direction palestinienne de favoriser l’essor d’un mouvement de soutien fort et utile dans la construction d’un rapport de forces contre Israël et ses soutiens extérieurs. Mais cette direction a fait un autre choix : celui de cantonner les militants de la solidarité dans un rôle de supplétifs d’une stratégie de négociation toute entière axée sur l’attente de la rédemption américaine.

Leila Shahid est un exemple particulièrement édifiant de la mission confiée par l’Autorité palestinienne à ces fonctionnaires diplomatiques. Je ne remets pas ici en cause son talent ni sa force de conviction, sa manière de parler de la grande souffrance de son peuple, fort appréciée par ses auditeurs français subjugués par sa retenue, son inaltérable volonté de réconciliation avec les Sionistes et sa condamnation de la violence terroriste, y compris palestinienne. Leila Shahid a incontestablement du talent pour servir à ses auditoires ce qu’ils aiment s’entendre dire et qui renforce leur sentiment de contribuer à une Histoire exceptionnelle : « La France, patrie des Droits de l’Homme ». Il faut bien reconnaître que c’est plus agréable à voir et entendre que ces bombes humaines désespérées qui n’ont même pas la délicatesse de mourir silencieusement dans un coin de leur camp de réfugiés en se disant « qu’une injustice ne saurait en effacer une autre » ou que ces  voyous négationnistes  de Rafah qui - révoltés parce que l’armée israélienne détruit leurs maisons sans toujours laisser à leur famille le temps de sortir - peignent sur leurs tentes prêtées par l’ONU des signes qui mettent sur le même plan, l’étoile de David et la croix gammée.

J’ai ici l’entretien de Leila Shahid avec Bernard  Ravenel, président de l’AFPS, publié par le magazine « Pour la Palestine » n° 46. Ce qui vous donne une idée du renoncement de la direction palestinienne à ses responsabilités de mouvement de libération nationale. Leila Shahid dit : « C’est la difficulté de la situation depuis le début des négociations d’Oslo. La décolonisation et la souveraineté n’ont pas été assurées par l’occupant d’une manière définitive comme en Algérie, au Vietnam ou dans d’autres pays anciennement colonisés. » C’est absolument sidérant. Leila Shahid nous explique que l’occupant n’a pas assuré la décolonisation et la souveraineté de la Palestine ! Et de citer les contre exemples de l’Algérie et du Vietnam. Ce sont les combattants algériens et vietnamiens qui seraient contents d’apprendre qu’ils n’ont pas gagné leur souveraineté et mis fin à la colonisation par leur lutte, au prix de centaines de milliers de morts, mais que c’est un occupant aimable et respectueux des engagements pris qui leur a « assuré » la libération ! Bref, à son avis, le colonisateur israélien est moins honnête et généreux que les colonisateurs français ou américains ! Et ce n’est pas fini ! Quelques lignes plus loin elle dit : « …il est évident que la responsabilité de la communauté internationale va consister à permettre à l’Autorité palestinienne d’assurer la vie sociale, économique et politique de la population palestinienne, en attendant une direction israélienne prête à négocier sérieusement ». C’est fort, non, un mouvement national de libération qui propose à son peuple d’essayer de survivre en attendant que l’adversaire se dote d’une direction qui veuille bien consentir à lâcher du lest !

Ensuite on s’étonne que les Palestiniens enchaînent les défaites et que la colonisation s’intensifie inexorablement ? Et on s’effraie des progrès du Hamas ? Et on s’étonne qu’il y ait des bombes humaines ? Mais qui est responsable de cette déroute ? Il faut que les gens comprennent que ces représentants de l’Autorité palestinienne ne se pensent plus comme un mouvement de libération. Ils veulent être « un Etat », alors ils ont fait leur mutation. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est Leila Shahid, dans le même entretien qui parle de « l’évolution historique du mouvement national, qui passe du stade de la libération nationale au stade de la construction étatique ». Voilà, il semble que la libération de la Palestine est acquise, donc on liquide les vieux outils qui datent de la période de la lutte et on s’occupe de construire l’Etat que l’impérialisme et le gouvernement sioniste veut bien octroyer. Le problème c’est que les Palestiniens n’ont pas et n’auront pas d’Etat ! Dans l’Autorité, certains commencent à s’en rendre compte, alors ils appellent « la communauté internationale » à les aider à survivre, éventuellement en faisant durer indéfiniment des « négociations », et tant pis si leur peuple crève dans la quasi indifférence de l’opinion publique de cette « communauté internationale » qui croit, souvent de bonne foi, que « ça va mieux » puisqu’il y a des négociations de paix !

(1) Resumé.

La première partie de cet entretien - précédée d’une rapide appréciation de la situation actuelle de la lutte des Palestiniens pour leurs droits - livre une analyse concernant la façon dont la direction de l’OLP, en s’engageant dans les accords d’Oslo, a été conduite à détruire le mouvement de libération nationale et à y substituer un organe d’auto gouvernement totalement dépendant des subsides internationaux, structurellement lié à l’Etat sioniste et essentiellement chargé d’assurer la sécurité d’Israël en contenant les aspirations palestiniennes exprimées par la 1ère Intifada. A l’ombre de négociations interminables l’Autorité palestinienne a favorisé le développement d’une élite pendant que la colonisation s’intensifiait, détruisant  chaque jour davantage les conditions d’existence des Palestiniens. La deuxième Intifada n’a pas suffi à enrayer cette dérive. Pour Pierre-Yves Salingue le constat d’échec est cinglant, l’hypothèse d’un Etat palestinien indépendant, formé sur une portion de la Palestine historique, est définitivement close.

La deuxième partie analyse comment le mouvement de solidarité qui s’est construit depuis la deuxième Intifada a refusé d’être un mouvement de soutien à la lutte de libération nationale des Palestiniens. Encouragé par l’Autorité palestinienne il s’est cantonné à n’être qu’un mouvement « pour la Paix » par la négociation, réduisant la lutte des Palestiniens à la fin de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza. En acceptant, voire en défendant, l’Etat sioniste d’Israël tel qu’il est, ce mouvement ne pouvait qu’écarter le droit au retour des réfugiés et devait ignorer l’existence des Palestiniens de 1948. La disparition de l’illusion de l’état palestinien indépendant aux côtés de l’état sioniste plonge ce mouvement dans une crise d’orientation majeure.

La troisième partie confronte le lecteur à deux questions difficiles mais essentielles pour qui veut agir pour soutenir le combat des Palestiniens. En premier lieu, que peut-on faire aujourd’hui dans la durée pour soutenir une lutte dont personne ne peut croire qu’elle serait susceptible de s’achever rapidement ? Pour Pierre-Yves Salingue l’appel lancé le 9 juillet par 171 organisations palestiniennes est une boussole pour le mouvement de solidarité s’il veut sortir de l’impasse dans laquelle il a été fourvoyé par les divers partisans des prétendues initiatives de paix. Loin de s’en tenir à un traitement des symptômes les plus récents de la colonisation sioniste cet appel identifie les exigences d’une paix durable qu’on ne saurait réduire à la fin d’une occupation qui concernerait à peine 20 % de la Palestine. Cet appel inquiète ceux qui avaient accueilli avec soulagement les renoncements des négociateurs de l’Autorité palestinienne. Au sein même du mouvement de solidarité, on assiste à une nouvelle tentative de réduire les exigences palestiniennes à ce qui est jugé conforme au respect des « droits de l’Etat d’Israël ». La fin de l’entretien traite des perspectives d’évolution du combat palestinien compte tenu, d’une part, du renforcement de l’occupation sioniste de la Palestine et, d’autre part, de l’affirmation croissante du projet impérialiste de contrôle de la région du Moyen Orient.


 Source : Silvia Cattori 031205


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