Quelle tristesse pour les Palestiniens que nous ayons été
incapables de mettre en place un gouvernement d’unité
nationale...
Dans un contexte marqué par une insécurité générale
et une escalade des tensions entre le le Fatah et le gouvernement
conduit par le Hamas, des affrontements armés se sont à nouveau
produits après la condamnation par un des responsables politiques
du Hamas en exil, Khalid Misha’al, du veto prononcé par Abbas
contre la nouvelle force de sécurité dans la Bande de Gaza.
Cette nouvelle unité, composée de centaines de volontaires doit
épauler les forces de sécurité dominées par le Fatah pour
mettre fin au chaos et aux actions illégales dans les territoires
palestiniens.
Un combattant connu de la résistance, Jamal Abu
Samhadana, chef des Comités Populaires de Résistance (CPR) a été
désigné par le ministre palestinien de l’Intérieur pour
diriger cette nouvelle unité.
Misha’al a aussi fait allusion à certains
Palestiniens impliqués dans la campagne occidentale pour isoler
le gouvernement palestinien, rappelant que le gouvernement s’est
vu privé de ses responsabilités sur les corps de sécurité et
les frontières comme sur d’autres questions mais qu’il était
mis cependant dans l’obligation de verser les salaires.
Mais les Etats-Unis et Israël ferment toutes les
portes pour empêcher l’argent d’arriver en Palestine ;
des diplomates occidentaux et des fonctionnaires palestiniens ont
fait savoir que beaucoup de banques régionales et internationales
étaient sous pression américaine pour que les donateurs ne
puissent transférer de l’argent à l’Autorité Palestinienne
sous responsabilité du Hamas, et que l’administration américaine
pouvait prendre des mesures de rétorsion contre les institutions
financières qui aideraient à fournir des fonds ou des services
directement au nouveau gouvernement.
Cette situation déplorable fait plus que jamais
regretter aux Palestiniens l’échec des partis politiques
palestiniens à trouver un accord pour former un gouvernement
d’unité nationale, même si nous comprenons la position du
mouvement Hamas.
Après n’avoir ménagé aucun effort pour
trouver un arrangement permettant de former ce gouvernement
d’unité nationale, aucune autre organisation n’a voulu en
faire partie, et le nouveau premier ministre palestinien, Ismail
Haniyyeh a formé un cabinet composé de 24 ministres sortis des
rangs du Hamas ou nommés comme experts.
Le Hamas a présenté son cabinet à Mahmoud
Abbas, président de l’Autorité Palestinienne et chef de l’Organisation
de Libération de la Palestine (OLP), qui l’a ensuite soumis au
comité exécutif de cette organisation, laquelle n’a pas manqué
d’opposer un refus autant au cabinet formé par le Hamas qu’à
son programme. Le prétexte invoqué concerne « le refus du
Hamas de reconnaître la suprématie de l’OLP », cet
argument étant également utilisé par les autres factions
palestiniennes telles le Fatah et le Front Populaire de Libération
de la Palestine (FPLP) pour refuser de participer de se joindre à
une coalition gouvernementale avec le Hamas malgré deux mois de négociations.
Le comité exécutif de l’OLP a demandé au Hamas de modifier
ses objectifs et de changer son programme de gouvernement.
La décision du comité exécutif de l’OLP est
inacceptable d’un point de vue légal et aurait pu provoquer une
crise constitutionnelle : le parlement palestinien est la
seule autorité légalement habilitée à décider concernant le
programme du gouvernement. Il n’y a aucun article dans la
constitution palestinienne qui requière l’approbation de l’OLP
ni d’aucun de ses représentants ou institutions. Le cabinet
ministériel peut directement être mis en place par le Premier
Ministre nommé par le parlement. De plus, il est assez curieux de
voir le Fatah dont le programme a été désavoué dans les urnes,
demander au Hamas d’abandonner le programme sur lequel il a
justement été élu, et il est naturel que le Hamas s’y refuse.
Fondée en 1964, l’OLP a chapeauté au niveau
international d’importantes organisations politiques
palestiniennes, dont les Palestiniens des territoires occupés et
les Palestiniens de la Diaspora disséminés sur tout le globe. Au
niveau international, l’OLP est considérée comme le représentant
légitime du peuple Palestinien et dispose dun siège en tant
qu’observateur permanent à l’assemblée générale des
Nations Unies.
Lors de la réunion du Congrès National
Palestinien en 1969, le Fatah a gagné le contrôle des organes exécutifs
de l’OLP et à partir de cette date l’OLP a été dirigée
pendant 30 ans par Yasser Arafat. Le Fatah était la fraction la
plus puissante de l’organisation et a fréquemment usé de
moyens anti-démocratiques pour contrôler le processus de décision
de l’OLP. L’OLP est signataire des accords intérimaires de
paix avec Israël, bien que plusieurs factions y étaient opposées.
L’OLP n’était reconnue ni par les Etats-Unis ni par Israël
jusqu’à ce qu’elle ait dénoncé ses principes, modifié sa
charte et en résumé cessé d’être elle-même. La
reconnaissance américaine a minimisé le rôle de l’OLP et a
mis fin à son rôle historique.
L’acceptation du cabinet ministériel
palestinien par l’OLP et son comité exécutif n’est ni necéssaire
ni valide. Le comité exécutif est sensé être élu par le Congrès
National Palestinien, le CNP, et pour deux mandats successifs
maximum. Les représentants de l’OLP sont normalement élus sur
la base de la représentativité de leurs organisations dans la
société palestinienne. Mais le comité qui il y a un mois a
rejeté le nouveau cabinet aurait dû cesser d’exister il y a près
de 20 ans ; la dernière fois que le CNP s’est réuni, c’était
il y a 10 ans dans la ville de Gaza, et c’était pour changer la
charte palestinienne.
Durant ces longues années, beaucoup de membres du
CNP et du comité exécutif ont disparu, dont son président
Yasser Arafat ; de plus l’arc en ciel politique en
Palestine a changé de façon importante ; plusieurs des
organisations encore représentées dans l’OLP se sont dissoutes
tandis que d’autres plus populaires comme le Hamas et le Jihad
Islamique n’y sont pas du tout réprésentées. L’OLP
d’aujourd’hui, avec tous ses membres, comités et institutions
est dépassée, superflue et sans pouvoir, déchirée par les
disputes entre les chefs des différentes cercles politiques.
L’OLP a perdu sa capacité attractive et beaucoup de sa crédibilité.
L’OLP d’aujourd’hui ressemble à un cimetière plein
d’ombres et rempli des squelettes de ceux qui ont contrôlé
avec zèle les prises de décision et monopolisé l’activité
politique comme dans un one-man show.
Certains membres du comité ont menacé
d’utiliser « les pouvoirs constitutionnels et le droit de
veto » d’Abbas contre la formation d’un nouveau
gouvernement formé par le Hamas et contre ses futures décisions
- au cas où il arriverait malgré tout à se former - s’il
refusait d’amender son programme politique. Ceci a l’apparence
de la légalité, mais c’est antidémocratique puisque cela
reviendrait à s’opposer à la volonté de la majorité des
Palestiniens qui ont voté pour le mouvement islamique lors des récentes
élections.
Il est très décevant qu’Abbas ait tenu à présenter
le nouveau cabinet ministériel au comité exécutif qu’il
dirige et dont il connaît très bien les défauts. Il fut un
temps où les affaires politiques palestiniennes étaient dirigées
par des patriarches, des gens âgés et des intrigants. Les
anciens spectacles et stratagèmes claniques n’ont plus cours.
Il serait malheureux que l’on ne retienne de l’ancienne
Autorité Palestinienne que la corruption et les injustices ;
seuls le professionnalisme et la loi constitutionnelle doivent prévaloir.
Le Hamas ne nie pas le rôle de l’OLP mais
refuse de considérer cette organisation comme la seule représentante
du peuple palestinien, surtout dans sa composition actuelle. Le
Hamas a fait connaître de façon répétée sa disposition à intégrer
l’OLP en même temps que serait mis en place un fonctionnement démocratique.
Tout Palestinien patriote ne devrait pas gêner la
formation d’un nouveau cabinet ministériel légitime basé sur
une majorité parlementaire et qui exercerait ses devoirs en
accord avec la constitution dans le cadre de principes démocratiques
et référendaires. Le Hamas a spécifié dans son premier
programme que la décision de reconnaître ou non Israël
reviendrait au peuple palestinien, et non à tel ou tel groupe ou
parti politique ; toute tentative d’imposer cette
reconnaissance au nouveau gouvernement reviendrait à s’opposer
à la volonté populaire.
Quelle tristesse pour les Palestiniens que nous
ayons été incapables de mettre en place un gouvernement d’unité
nationale et que nous n’ayons su trouver un terrain commun afin
d’éviter la paralysie et la violence. Ces tactiques sont délibérées
de façon à rendre plus difficile au Hamas la tâche de gouverner
et pour relayer les efforts israéliens et américains pour isoler
le gouvernement formé par le mouvement de la résistance
islamique. Le programme du nouveau gouvernement présente un
engagement moral (ce qui est très important pour délégitimiser
l’occupation), du pragmatisme en même temps qu’une vision
stratégique en déclarant que la résistance comme les négociations
« sont des moyens et non des fins en soi ».
[...] Un mouvement de libération national, comme
l’African National Congress (ANC) et le Front
de Libération National Algérien (FLNA), est certainement
plus efficace dans n’importe quel combat politique. L’OLP est
importante pour chaque Palestinien, mais elle ne sera pas la seule
représentante unique jusqu’à ce qu’elle se mette en phase
avec le moment présent de l’histoire de la Palestine et
abandonne son mode patriarcal de gouvernement au profit d’un
fonctionnement plus démocratique et pluraliste. Une fois
ressuscitée et développée, l’OLP pourrait devenir la dynamo
qui donnerait l’élan nécessaire à la lutte politique et aux
activités de toutes les organisations palestiniennes avec pour
objectif la libération nationale.
La visite du ministre palestinien des affaires étrangères
[Mahmoud al-Zahar] à Amman a été récemment annulée suite aux
accusations portées contre le Hamas qui aurait planifié des
activités armées en Jordanie. Mahmoud al-Zahar a également été
reçu froidement au Caire (qui par contre a envoyé une invitation
au premier misnitre israélien suite à son élection). Le Hamas a
aussi été exclu du dernier sommet des pays arabes à al-Khartoum.
On pense que les ambassades des Etats-Unis dans la région ont
contacté les ministres arabes des affaires étrangères pour
imposer qu’il n’y ait pas de délégation du Hamas. De plus,
certaines ex-figures de l’Autorité Palestinienne tentent de
maintenir une aide financière à condition que celle-ci passe par
leurs propres canaux.
Les efforts des régimes arabes pour miner le
gouvernement palestinien démocratiquement élu et abandonner une
lutte légitime sans la moindre trace de vision morale ou stratégique
est insupportable pour leurs nations comme pour les Palestiniens.
Les efforts pour abattre le nouveau gouvernement palestinien
n’ont de cesse ; le nouveau parlement a réussi à dégager
un vote de confiance au nouveau cabinet, écartant les réserves
présidentielles sur le refus du Hamas de reconnaître Israël et
d’endosser les accords temporaires [...].
Abbas peut adopter une autre attitude,
aujourd’hui plus que jamais et au moins vis-à-vis des
Palestiniens. Il peut exprimer ses récriminations, mais il ne
devrait alors pas faire obstruction au droit du parlement de décider
sur le cabinet ministériel. A définitive, il gagnerait
l’estime populaire s’il laissait de côté les objectifs de
son parti [le Fatah] qui sont de pousser à l’échec le
gouvernement du Hamas et en fin de compte d’affaiblir la décision
démocratique du parlement.
Samah Jabr est médecin et réside
de longue date à Jérusalem
Samah Jabr