Palestine - Solidarité

   



Judéophobie et judéophilie 
Rudolf Bkouche

 

Halte aux agissements antijuifs ! Je veux parler évidemment de ces organisations et de ces personnalités qui considèrent que toute critique de la politique israélienne ou du sionisme participe de l'antisémitisme et qui n'admettent pas qu'un Juif puisse être critique envers la politique israélienne ou, pis, être antisioniste. Une façon d'enfermer les Juifs dans une idéologie qui les conduit à une impasse, transformant le peuple paria d'hier en un peuple guerrier et conquérant, au risque d'augmenter une judéophobie qui s'adresse aujourd'hui moins au peuple paria d'hier qu'aux sionistes d'aujourd'hui. Judéophobes, sionistes et prosionistes se retrouvent ainsi dans cette équation insupportable : "juif = israélien = sioniste".

Si l'on considère que le racisme relève moins de la notion biologique de race (que celle-ci soit pertinente ou non importe peu ici) que d'un essentialisme qui conduit à voir dans certains "autres" une essence (biologique ou autre) à laquelle ils ne peuvent échapper, on voit combien se retrouvent les antijuifs des deux bords, les judéophobes et les judéophiles, sans parler des Juifs qui se complaisent dans une idéologie qui leur permet, au nom de la situation de paria de leurs aïeux, de ne pas voir une réalité qui leur déplait : la guerre fondatrice de l'Etat d'Israël, loin d'être la guerre d'indépendance du peuple juif, ne fut que la guerre de conquête d'un territoire conduisant à l'expulsion de la majorité des habitants de ce territoire. Ce refus de voir la réalité, cet "irréalisme sioniste" comme le nommait Edward Saïd, permet de ne pas comprendre le conflit entre Israël et les Palestiniens, ce qui permet de réduire le refus palestinien, et plus généralement le refus arabe, de la conquête à une forme d'antisémitisme.

On peut alors considérer comme relevant d'un autisme juif le fait que certaines organisations ou certaines personnalités juives interviennent pour s'opposer à toute forme d'expression publique d'une critique à l'encontre de la politique israélienne ou du sionisme. Ainsi ces multiples procès, dont le dernier à propos d'un article publié dans le journal Le Monde et signé par Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave, article qui leur apparaît d'autant plus intolérable qu'Edgar Morin est juif.

Il y a quelques mois, Claude Lanzmann fustigeait dans le journal Le Monde le voyage d'écrivains en Israël et en Palestine pour avoir décrit la réalité de l'occupation, mais il s'en prenait en particulier au poète Breytenbrach, lequel était d'autant plus coupable qu'il est juif.

Dans une interview au Figaro à propos de Tariq Ramadan, Alexandre Adler expliquait que l'attitude de Ramadan lui paraissait moins grave que celle de certains Juifs qu'il qualifiait de "traîtres" pour oser critiquer le sionisme. Je ne crois pas que cette accusation infamante ait soulevé un tollé médiatique tel que celui qui a suivi les déclarations de Ramadan s'attaquant à certains intellectuels juifs, et non aux intellectuels juifs comme certains ont voulu le faire accroire. Quel que soit le jugement que l'on peut porter sur Ramadan, on ne peut considérer son article comme antisémite sous prétexte qu'il dénonçait certains thuriféraires de la cause sioniste sans pour autant mettre en cause tous les intellectuels juifs en tant que juifs. Faudrait-il considérer toute critique à l'encontre d'Alain Finkielkraut ou d'Alexandre Adler comme une forme d'antisémitisme ? Ce serait pourtant une forme d'antisémitisme que d'exiger que certains, sous prétexte qu'ils sont juifs, soient protégés de la critique.

Mais il y a plus grave que l'autisme juif, c'est le soutien apporté à cet autisme sous prétexte que les Juifs étaient encore, il y a peu, des parias. On peut le voir à travers une certaine judéo­philie qui n'est qu'une forme plus sournoise d'antisémitisme. Et parmi ces antijuifs judéo­philes on pourrait citer ceux qui propagent l'idée que l'antisionisme n'est qu'une forme d'an­tisémitisme. Ainsi Taguieff qui ose écrire ce mauvais pamphlet qui s'appelle La nouvelle judéopho­bie, exemple remarquable d'une pensée stalinienne qui construit toute son argumen­tation sur la pratique de l'amalgame ; ainsi se trouve rassemblés pêle-mêle les islamistes et leurs alliés trotskystes, marxistes compatissants ou chrétiens sentimentaux. Il est vrai qu'il suffit d'oublier le point essentiel du conflit, l'existence des Palestiniens, pour soutenir n'importe quel délire et il suffit de citer quelques discours du FIS algérien pour expli­quer ce que pensent les trotskystes.

Mais il semble qu'en France un pas a été franchi lorsque l'on voit certains ministres venir au secours des organisations juives et de leurs amis judéophiles.

On pourrait citer le procès intenté à Willem, maire d'une petite ville de la banlieue lilloise, lequel avait décidé de boycotter les jus de fruits israéliens dans les cantines scolaires dont il avait la responsabilité et fut pour cette raison poursuivi par l'Association Cultuelle Israélite de Lille (!!!). Lors du procès, le Procureur de Lille avait déclaré qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre et Willem avait été relaxé. Cela ne devait pas satisfaire nos gouvernants et le parquet de Douai interjectait appel sur injonction du Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ainsi un ministre s'autorisait à attaquer le Parquet de Lille pour complaire à quelques organisations juives. En appel, l'Avocat Général de Douai, qui semblait ne pas se sentir à son aise dans ce procès, demandait une amende de 2000 euros, laissant au Tribunal le soin de qualifier le délit. Le Tribunal coupait la poire en deux en condamnant Willem à 1000 euros d'amende.

On pourrait aussi citer l'intervention du ministre de la Culture qui demandait la suppression d'une des séances du film "Route 181" de Eyal Sivan et Michel Khleifi, sous prétexte que ce film pourrait provoquer des incidents. Il est vrai que ce film, réalisé par un cinéaste israélien et un cinéaste palestinien, est inacceptable pour les sionistes et leurs amis ; par avance ils décident que ce film peut provoquer à la haine raciale. Mais plus grave que l'attitude des organisations juives et leurs amis judéophiles, c'est l'attitude du ministre de la Culture qui pose problème ; en quoi le ministre doit-il donner raison aux fanatiques de l'interdiction ? en quoi un ministre de la Culture doit-il limiter l'expression culturelle pour plaire à quelques fanatiques.

Il faut alors chercher une raison plus profonde à cette judéophilie : l'Europe n'a pas réglé ses rapports avec les Juifs et la judéophilie n'est qu'une façon de se dédouaner d'une histoire douloureuse (1) La culpabilité européenne conduit certains à soutenir le sionisme pour réparer les crimes de leurs pères, et par conséquent à ne pas voir l'injustice commise à l'encontre des Palestiniens. Ainsi le philosophe Habermas peut déclarer dans une interview au journal Le Monde :

 

                Quel Européen pourrait, après la Shoah, contester à Israël son droit à l'existence  ? (2)

 

Comme si la question de l'Etat d'Israël était une question entre l'Europe et les Juifs, comme si les Palestiniens n'étaient pas concernés par la conquête et l'occupation de leur pays.

La solution paraissait pourtant bonne qui semblait résoudre ce que l'on a appelé la question juive et qui de surcroît permettait l'établissement d'un "bastion avancé de la civilisation contre la barbarie" comme le proclamèrent certains responsables sionistes. Après le génocide et les six millions de morts, l'Europe acceptait que les Juifs deviennent de vrais Européens, d'autant qu'ils allaient devenir de bons petits soldats blancs face à un monde arabe considéré comme encore barbare. Seul obstacle à cette solution, les Palestiniens, ce que l'Europe refuse encore de comprendre, même si certains discours marquent une certaine compassion envers les Palestiniens, comme si cette compassion suffisait à résoudre le conflit.

Rudolf Bkouche

(1)Parmi les diverses formes de cette judéophilie nous rappellerons la mode des déclarations de repentance, qu'elles viennent de l'Eglise ou de chefs d'Etats.

(2)Le Monde du 31/01/04


Source : auteur


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