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Europe et antisémitisme
Rudolf Bkouche

 

Lorsqu'on lit dans le texte de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), cette définition de l'antisémitisme :
" L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs que l'on peut exprimer comme de la haine à l'encontre des Juifs. Des manifestations verbales ou physiques d'antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non-juifs et/ou leurs biens, contre des institutions de la communauté juive et contre des lieux de culte. "
on ne peut qu'approuver.
Mais lorsqu'on lit les exemples d'antisémitisme qui suivent on peut se poser quelques questions quant à l'objectif de ce document.
Si la première liste d'exemple semble raisonnable, la seconde liste apparaît comme un soutien à l'Etat d'Israël et par conséquent ne ressortit plus de la lutte contre l'antisémitisme.  Selon ce texte, toute critique du sionisme participe de l'antisémitisme.
Ainsi rappeler que le plan de partage de la Palestine en 1947 et la création de l'Etat d'Israël en 1948 sont une injustice à l'encontre des Palestiniens devient de l'antisémitisme.
Ainsi le professeur Leibowitz qui dénonçait les dérives judéo-nazies1 de l'occupation de la Palestine serait aujourd'hui dénoncé comme antisémite par l'OSCE.
Loin d'être un instrument de lutte contre l'antisémitisme, le texte de l'OSCE amalgame antisionisme et antisémitisme, ce qui conduit à affaiblir la lutte contre l'antisémitisme qui n'apparaît plus que comme un soutien au sionisme et à l'Etat d'Israël.
Alors qu'il importe aujourd'hui, et c'est le rôle des organisations juives qui se sont regroupées autour des Juifs Européens pour une Paix Juste (JEPJ), de casser l'équation "juif = israélien = sioniste" et de refuser l'amalgame entre antisionisme et antisémitisme, la définition européenne de l'antisémitisme conforte cet amalgame.
On peut voir dans cette incapacité européenne (incapacité volontaire !) de distinguer entre la lutte contre l'antisémitisme et le soutien à l'Etat d'Israël plusieurs raisons :

1- L'Europe n'a pas réglé son problème avec les Juifs. Incapable de lutter contre l'antisémitisme au moment où il le fallait, elle croit atténuer ses responsabilités envers les Juifs en renchérissant sur la lutte contre l'antisémitisme, ce qui la conduit à remplacer la judéophobie qui a marqué son histoire, de l'antijudaïsme chrétien à l'antisémitisme des temps modernes, par une judéophilie tout aussi douteuse. C'est cela qui l'amène à soutenir l'Etat d'Israël et à se contenter de critiquer sa politique avec parcimonie. C'est cela qui l'amène aussi à oublier l'injustice de 1948 commise à l'encontre des Palestiniens, comme si la création de l'Etat d'Israël en Palestine, dans la " patrie ancestrale ", comme on peut le lire chez nombre d'idéologues sionistes, valait compensation, après la Shoah, pour les siècles d'antijudaïsme et d'antisémitisme. L'un des grands penseurs européens contemporains, Jürgen Habermas, n'a pas hésité à proclamer, dans un entretien dans le quotidien français Le Monde :
"Quel Européen pourrait, après la Shoah, contester à Israël son droit à l'existence  ?comme si la question d'un Etat juif en Palestine ne concernait que les Juifs et l'Europe, comme si cette question ne concernait pas les Palestiniens.

2- On ne doit pas oublier que ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale et le massacre des Juifs par les nazis, que les Juifs ont obtenu le droit d'être considérés comme des Européens. Il aura fallu six millions de morts pour une telle reconnaissance. En échange, le nouvel Etat juif devenait culturellement et politiquement un Etat européen ; la critique européenne de la politique israélienne devenait ainsi une critique interne et l'intérêt pour les Palestiniens venait en second, jusqu'à encore aujourd'hui ; on peut à la rigueur faire remarquer aux Israéliens qu'ils vont trop loin, mais il n'était pas question de juger les crimes commis par l'armée israélienne comme on juge les crimes commis par un Etat étranger comme l'Irak ou la Serbie. Aucun Etat européen n'a dénoncé la contradiction entre la pression sur la Syrie pour qu'elle évacue le Liban après les grandes manifestations anti-syriennes de Beyrouth et l'acceptation par ces mêmes Européens de l'occupation israélienne de la Palestine ou du Golan syrien, ce dernier annexé au mépris de toute règle du droit international. Aujourd'hui on félicite Sharon pour le retrait de Gaza alors qu'au même moment le gouvernement israélien renforce la colonisation en Cisjordanie et construit un mur qui annonce des annexions de fait en Palestine.
Que le mur ait été condamné par une instance judiciaire internationale et que, malgré cette condamnation prononcée il y a un peu plus d'un an, le gouvernement israélien continue la construction, cela ne semble pas émouvoir les Etats européens, lesquels continuent à faire pression sur l'Autorité Palestinienne pour qu'elle fasse preuve de modération envers ceux qui occupent la Palestine.

3- Il ne faut pas oublier non plus que la reconnaissance par l'Europe de son passé antijuif et les actes de contrition qui l'accompagnent permettent d'occulter d'autres crimes comme ceux de la colonisation ou de la traite négrière. On entend beaucoup moins parler de repentance pour ces derniers crimes, comme si le fait de reconnaître une ignominie permettait d'oublier les autres. Une façon aussi de jouer la concurrence des victimes, ce qui ne peut que profiter au mouvement sioniste qui se considère encore aujourd'hui comme le représentant des Juifs du monde. Il importe alors, pour le mouvement sioniste, non seulement de mettre l'accent sur leur statut d'éternelles victimes, mais de présenter les Juifs comme les plus grandes victimes, quitte à provoquer les ressentiments des autres victimes de l'Europe. Mais n'est-ce pas un objectif du mouvement sioniste que de provoquer ce ressentiment pour mieux crier à l'antisémitisme. On peut alors considérer le texte européen comme faisant partie de ce jeu.
Il importe que le Réseau JEPJ, en tant qu'organisation juive, dénonce cette pseudo-dénonciation de l'antisémitisme.
Il est alors nécessaire d'énoncer quelques principes qui doivent gouverner toute dénonciation de l'antisémitisme.
Toute dénonciation de l'antisémitisme doit s'inscrire dans la dénonciation générale du racisme. S'il est vrai que chaque forme de racisme peut avoir sa spécificité, cela n'implique en rien qu'il faille les distinguer dans la dénonciation du racisme.
Toute dénonciation de l'antisémitisme doit être indépendante de toute position de soutien à l'Etat d'Israël ou au sionisme.
Enfin il est important de rappeler que le soutien au sionisme, parce qu'il s'oppose aux principes énoncés ci-dessus, loin de participer à la lutte contre l'antisémitisme, ne peut que renforcer ce dernier.

Rudolf Bkouche

Membre du Bureau National de l'UJFP


Source : auteur


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