On nous a roulés, encore. Les élections israéliennes,
à nous entendre, signifient que le rêve du « grand Israël »
est finalement abandonné. Des colonies en Cisjordanie seront fermées
définitivement, comme l’ont été celles de Gaza l’année
dernière. La revendication sioniste sur tout l’Israël biblique
s’est évanouie. Le Likoud, le parti cauchemardesque de Menachem
Begin et de Benjamin Netanyahu, a été fracassé par un
personnage gaullien, le mourant Ariel Sharon, dont le parti Kadima
a recueilli Ehud Olmert et ce symbole décadent de la gauche israélienne,
détenteur du prix Nobel, Shimon Peres.
Cela, du moins, c’est le récit présenté par
nombre de nos journalistes, « analystes » et « commentateurs ».
Mais c’est un mensonge.
C’est seulement dans le deuxième - ou 3ème ou
4ème - paragraphe des comptes rendus obséquieux des informations
sur le Moyen-Orient, que nous pouvons lire que la victoire électorale
- pas vraiment impressionnante - d’Olmert lui permettra de
« redessiner » les « frontières » d’Israël,
une décision présentée comme « à discuter » ;
le lecteur fidèle n’aura cependant pas cette information que le
journal tient à lui éviter : Israël va s’emparer de plus
de territoire, et déclarer qu’il fait partie de l’Etat
d’Israël.
Oui, c’est vrai, les plus petites et les plus
vulnérables colonies juives, illégales, sur la terre des
Palestiniens vont être abandonnées ; attendez-vous à plus
de chagrin et de larmes encore que vous en avez vus pour Gaza.
Mais le reste, le formidable demi-cercle de béton qui chemine
tout autour de Jérusalem-Est, par exemple, lui, ne sera pas dépeuplé.
Commençons par le mur. Il s’étendra bientôt
du haut en bas de la Cisjordanie palestinienne occupée, et il va
y demeurer. Dans ses tronçons déjà achevés (Jérusalem-Est par
exemple), il est plus haut que le mur de Berlin. Les journalistes
pourtant continuent de l’appeler « barrière de sécurité »,
ou « clôture » car dans les parties non terminées,
ce n’est encore que des rouleaux de fil de fer barbelé. Tout
cela fait partie du monde imaginaire que les rédacteurs et les
journalistes ont créé autour du conflit israélo-palestinien.
Il existe dans le même paysage de Potemkine * qui
permet à des journalistes d’appeler les territoires
palestiniens occupés, des « territoires disputés »,
après que le secrétaire d’Etat US, Colin Powell, ait ordonné
à ses diplomates dans la région d’utiliser cette expression
mensongère, et d’appeler les colonies juives illégales sur la
terre arabe, des « implantations » ou - mes préférées
maintenant - des « quartiers juifs voisins » ou des
« avant-postes ». On procède de la même manière
pour les Israéliens qui sont tués par des Palestiniens - ce qui
est vrai - mais quant aux Palestiniens, ils meurent dans des
« affrontements » incognito (avec qui, tués par qui
exactement ?)
Et chacun de ces petits mensonges, naturellement,
contient un grain de la vérité. Les territoires occupés
effectivement "sont disputés" entre les Israéliens et
les Palestiniens, les premiers prétendant que Dieu leur a donné
la terre, les seconds produisant les documents se rapportant à la
terre et prouvant qu’elle leur appartient en propre de par la
loi.
Si les colonies illégales, comme Maale Adumim,
sont construites en limite de Jérusalem - elle-même annexée illégalement
par Israël - alors bien sûr qu’il y « voisinage ».
Et si le mur - qui a englouti 10 % de terres palestiniennes supplémentaires
au bénéfice des Israéliens - est destiné à empêcher les
attentats suicide (et il y a un peu réussi), c’est donc une
« barrière de sécurité ».
***
Je crois me rappeler que les Allemands de l’Est
avaient appelé le mur de Berlin - ou la « clôture de
Berlin » comme je suppose que nous l’aurions appelé
s’il avait été érigé par les Israéliens - une « barrière
de sécurité ».
Oubliées l’illégalité de l’occupation,
l’illégalité du vol de la maison d’autrui et de sa terre, et
l’illégalité de la construction d’un mur qui s’empare
d’encore plus de propriétés sur les 22 % de la Palestine
mandataire, lesquels sont censés être l’objet de négociations
avec les Palestiniens.
Je vais être franc. Si j’étais Israélien, moi
aussi, j’aurais construit un mur pour faire obstacle aux
candidats au suicide du Jihad islamique et, auparavant, du Hamas.
Mais je l’aurais monté le long de la frontière internationale
d’Israël, je ne m’en serais pas servi comme d’un moyen
facile pour voler plus de terre.
En effet, en vertu de la résolution 242 du
Conseil de Sécurité des Nations unies - sur laquelle est censée
se fonder la paix - l’acquisition de terre par la guerre est déclarée
illégale. Le mur lui-même est donc illégal. Et la Cour
internationale l’a aussi déclaré illégal. Et Israël ignore
toutes ces décisions. Et de même, bien sûr, les Etats-Unis.
Seulement maintenant, tout le poids de ce vol
post-électoral va reposer sur le Président palestinien, Mahmoud
Abbas. Cet homme sans charisme, démuni, qui a pu présider malgré
une corruption permanente de l’Autorité palestinienne, est
supposé convaincre le gouvernement Hamas d’accepter les saisies
de la terre par Israël, de reprendre le processus d’Oslo là où
il a été laissé (qui laisse toujours Jérusalem entre les mains
israéliennes exclusivement), et d’abandonner toute violence -
ce qui signifie lever les mains à chaque fois que les troupes
israéliennes font des raids sur les camps de réfugiés ou les
villes de Cisjordanie.
Le fait est que les membres du Hamas ont été élus
sans ambiguïté représentants des Palestiniens - comme Olmert et
ses futurs partenaires au gouvernement, le sont des Israéliens.
Mais au Hamas, ceci ne lui permet pas de monter des projets pour
les « discuter » et redessiner sa « frontière »
avec Israël, même pas d’insister pour qu’Israël se retire -
ou se redéploie - jusqu’à ses frontières reconnues
internationalement (je parle de la frontière d’avant 1967, pas
celle de 1948). Il ne peut pas non plus exiger l’application de
la résolution 242 des Nations unies puisque que le Président
George Bush a déjà indiqué clairement que les grandes colonies
juives à l’est de Jérusalem, et Jérusalem elle-même,
resteraient entre les mains des Israéliens.
C’est sûr, 14 des 24 ministres Hamas sont passés
par les prisons israéliennes. Mais que doivent penser les
Palestiniens quand 15 généraux israéliens ont été élus à la
Knesset, et parmi eux, six agents des services secrets ?
Pourtant même ça, ce n’est pas la question. Si
les Israéliens veulent que le Hamas reconnaisse l’Etat d’Israël,
alors il faudrait qu’il le reconnaisse dans ses frontières légales,
pas dans des frontières illégales comme en rêve Olmert.
Il nous faut abandonner l’idée selon laquelle
Ariel Sharon - criminel de guerre, non poursuivi, par son
implication dans les massacres de Sabra et Chatila - aurait renoncé
aux principales colonies juives implantées illégalement sur la
terre arabe, ou à l’annexion illégale de Jérusalem.
Certainement, Olmert n’est pas sur le point de
faire cela. Il va créer des frontières plus larges pour Israël
et de cette manière, voler - disons pelletée par pelletée -
plus de terre arabe.
Les USA seront d’accord avec cette nouvelle
saisie illégale de terres. Et l’Union européenne ? Et les
Nations unies ? Et la Russie ? Et Tony Blair ?
Les Israéliens méritent la paix et la sécurité
autant que les Palestiniens. Mais, les « nouvelles »
frontières, en expansion, « à discuter »,
n’apporteront ni la paix ni la sécurité, à aucun.
* Homme d’Etat et feld-maréchal
russe qui annexa la Crimée en 1783.
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