Ce
que je redoute, ce n’est pas tant la barrière physique, bien
qu’elle soit une réalité désastreuse pour le peuple palestinien
et une réalité honteuse pour nous autres Israéliens.
La barrière elle-même pourrait être démolie en moins de temps
qu’il n’en a fallu pour la construire.
On pourra planter de nouveaux oliviers
et recouvrir les cicatrices de la terre déchirée tout au
long de la longue route sinueuse.
Ce que je redoute, c’est ce que la barrière fera à nos esprits.
J’écris ceci parce que je vois ce qui est en train de se
passer maintenant, ce qui se développe chaque jour et qui fait que
les Israéliens s’habituent à
la vision d’êtres humains derrière des barbelés.
“ Nous
avons eu peur. Réellement
peur ” a
déclaré l’un des soldats impliqué dans la récente fusillade de
Mas’ha. “ On les a vus secouer la grille comme des
animaux. Que se
serait-il passé s’ils avaient réussi à forcer cette grille et
à nous foncer dessus ? A cause de cette peur, un
jeune soldat a tiré sur un manifestant non armé, Gil Na’amati,
qui restera sans doute handicapé à vie.
Peut-être ne s’agissait-il là que d’une excuse de circonstance
pour un acte abominable, mais qui illustre la modification
dramatique des mentalités qui s’opère chez de nombreux Israéliens.
La logique est à peu près la suivante :
Le fait même que
des Palestiniens soient mis en cage derrière des murs, des fils de
fer barbelés et des barrières électroniques les définit comme
des animaux dangereux dans la mentalité
israélienne.
Cette impression
se forme de la même manière que nous nous faisons une idée
d’une personne d’après ses vêtements, sa maison, sa voiture
etc…
Devant la photo d’un homme menotté, plusieurs réactions sont
possibles.
La première question est : ”Qu’a t’il fait ? ”,
de façon à déterminer l’attitude appropriée, la pitié, s’il
s’agit, par exemple,
d’un prisonnier politique ou le rejet s’il s’agit
d’un criminel.
La plupart des Israéliens ont déjà condamné depuis longtemps les
Palestiniens.
Nos manuels scolaires ont remplacé la lutte nationale palestinienne
par des histoires de “ Bandits ”, et ont évacué la
notion d’un combat
pour des droits politiques, sociaux et culturels pour ne le représenter
que comme une pure malfaisance insensée.
Beaucoup de jeunes Israéliens, nés longtemps après la fondation
de l’Etat d’Israêl et la destruction de la société
Palestinienne (la Naqba), ne peuvent
tout simplement pas se faire à l’idée que les Palestiniens
puissent avoir des droits.
Il y a longtemps que les 420 villages palestiniens qui avaient été
détruits ont totalement disparu, enterrés sous des “ Kibbutzim ”
ou des villes israéliennes.
Pour ces jeunes Israéliens, la violence palestinienne est dénuée
de tout motif et toute justification. Dans leur univers
mental, elle s’inscrit comme une folie terroriste, et la place des
terroristes , c’est d’être enfermés derrière des barreaux.
Cet système de pensée est
soumis à un défi croissant quand l’image mentale du “ terroriste ”
est confrontée à
l’image réelle d’un jeune Palestinien essayant, un fusil à la
main, de défendre sa maison à Jénine ou Naplouse, face à
l’invasion de tanks israéliens et de bulldozers qui écrasent
tout sur leur passage.
La barrière permet non seulement de cacher à la vue cette réalité,
elle résout aussi cette contradiction interne par la construction
d’une réalité externe parfaitement adaptée à la réalité
mentale.
Le monde est finalement équilibré et clair. Les Palestiniens,
mauvais et violents, sont derrière les barreaux et les fils de fer
barbelés, à leur place.
Ainsi, ce système mental qui ne reconnaît pas les droits des
Palestiniens et, éventuellement,
met en doute leur humanité même,
peut se
cristalliser autour de la barrière.
Ceci se manifeste clairement dans la facilité avec laquelle la
plupart des Israéliens acceptent cette nouvelle réalité d’un
peuple tout entier derrière des fils de fer barbelés.
Et il semble tout naturel à de jeunes soldats d’ouvrir ou de
fermer des grilles, d’autoriser ou d’interdire le passage
suivant qu’il estime
que celui qui le demande s’est bien ou mal comporté, ou même sur
un simple caprice.
Je redoute la solidité et la stabilité de cette structure.
Le reflet physique parfait d’une image mentale.
Si le monde laisse le mur s’ériger pour enfermer les Palestiniens
et si les Palestiniens deviennent un “ Peuple Fantôme ”
derrière le mur, ils pourraient perdre leur derniers moyens de
convaincre les Israéliens de leur humanité :
Le contact des yeux et la voix humaine.
Oren
Medicks de
Gush Shalom
22.02.04
(traduction
libre de Claudine L.)
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