in Haaretz, 12 mai 2006
http://www.haaretz.com/hasen/spages/715087.html
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Les remarques formulées par A.B. Yehoshua lors
du récent congrès du Comité Juif Américain a soulevé comme prévu
une tempête sur les deux rives de l’Océan atlantique. En Israël,
on a protesté : dire que les Israéliens seraient indifférents
au sort des juifs de la diaspora est erroné. Aux Etats-Unis, on a
dit que sans l’aide continue et le soutien indéfectible apporté
à Israël, ce pays n’aurait pas survécu. Des deux côté, encore
une fois et comme toujours, telles furent les habituelles réactions
paternalistes. Nous savons ce qui est bon pour vous, d’ailleurs
nous vous aidons. Sans nous, vous ne survivriez pas…
Mais les observations de Yehoshua, au sujet des
relations entre Israël et la diaspora, aussi irritantes
soient-elles, me dérangent bien moins que la manière dont il présenté
sa propre identité : « Je suis Israélien »,
a-t-il dit. « La religion juive ne joue aucun rôle dans ma
vie ; ce sont le territoire et la langue qui construisent mon
identité ».
Une telle définition de l’identité équivaut
à la répudiation du peuple juif, de l’héritage juif, de trois
mille ans de culture, de créativité, de prières, de rituels, de
traditions et de tout ce qui est subsumé par le terme « judaïsme »,
et elle montre une préférence pour la « nation » israélienne,
qui « a surgi de la mer », voici un siècle. Pour
Yehoshua – et beaucoup, beaucoup de gens en Israël – la seule
chose qui importe, la seule chose qui soit existentielle et
pertinente du point de vue juif, c’est ce qui se passe ici, en
Israël ; tout ce qui se passe en-dehors d’Israël est considéré
obsolète, condamné à disparaître. En affirmant cela, Yehoshua
sape et affaiblit la justification de l’Etat d’Israël [sic].
Le débat interne, entre nous, ici [en Israël],
sur la question des frontières du pays, et la discussion sur la
manière appropriée de réaliser la paix dans notre région, dérivent
entièrement de l’assomption que l’Etat d’Israël a un droit
à exister – moralement, légalement et historiquement. Cette
assomption est confrontée à une remise en question constante. Les
gens du Hamas tentent de la saper, comme le font bien d’autres
dirigeants dans le monde palestinien et arabe. Et beaucoup
d’intellectuels, dans le monde occidental, qui ont fait leur la
narration arabe, qui voit en nous un reste anachronique d’un
colonialisme suranné, s’efforcent eux aussi de miner cette
assomption. Se dressant face à ces forces débilitantes, il y a la
certitude, dont beaucoup de gens, dans le monde, que le peuple juif
a droit à un Etat national, dans sa patrie historique. Nous pouvons
remporter la bataille entre ces deux approches, à condition que
nous mêmes, nous qui vivons à Sion, croyions et ressentions cela.
Les disciples ultra-orthodoxes du Gaon de Vilnius,
qui immigra en Terre d’Israël au dix-huitième siècle, les
sionistes socialistes, à la fin du dix-neuvième siècle, et les
juifs assimilés de l’Union soviétique qui luttèrent pour conquérir
leur droit à immigrer, à la fin du vingtième siècle, n’ont
rien en commun entre eux, en ce qui concerne la manière dont ils
perçoivent la tradition juive. Toutefois, tous se sont vus comme
des partenaires dans la réalisation du même rêve ancestral,
l’antique prière juive invoquant le retour en Terre d’Israël.
Tous se sont vus comme appartenant à un peuple spécial, et se sont
sentis concernés par le processus historique du retour à Sion.
Cette persuasion fut la source de leur force et la seule garantie de
leur succès.
Il ne saurait y avoir de sionisme sans judaïsme
et il n’y en a d’ailleurs jamais eu. De même que le peuple israélien
n’a jamais eu un droit à la Terre d’Israël. Ce droit est le
droit exclusif du peuple juif. C’est le peuple juif qui a reçu la
Déclaration Balfour [ ! ndt] et c’est lui qui s’est vu
garantir par les Nations Unies le droit légal d’établir un Etat.
C’est le peuple juif qui est retourné dans son ancienne patrie,
pour laquelle il avait prié et à laquelle il avait aspiré durant
deux millénaires. Car si nous parlons de « peuple »
israélien – comment le droit d’un « peuple » qui
n’existe que depuis environ un siècle pourrait-il donc être supérieur,
ou équivalent, à celui des Palestiniens, qui ont vécu sur leur
territoire depuis environ trois siècles [sic ! ndt] ?
Qu’est-ce qui le distinguerait, en réalité, des autres projets
coloniaux qui ont disparu de la surface de la planète ?
La contestation de notre droit à cette terre et
la guerre entre notre narration et la leur n’est pas une dispute
purement philosophique. Tout du moins, pas aux yeux des dirigeants
palestiniens. Quand les dirigeants du Hamas, à l’instar e Yasser
Arafat, dans le temps, étaient ou sont en train de se préparer à
reconsidérer l’existence de facto d’Israël, mais non de jure,
ils ne jouent pas sur les mots. C’est la raison pour laquelle
Arafat n’a cessé de répéter ses allégations prétendument
historiques à propos de l’absence de lien historique entre le
Mont du Temple et le peuple juif. Pour lui, il était clair que le
lien historique qui est ancré et fondé dans la tradition juive est
la base de l’existence de l’Etat d’Israël, et que sans ce
lien, l’Etat disparaîtrait, tout juste comme il avait « surgi
de la mer ».
D’après Yehoshua, la différence entre
l’identité israélienne et l’identité juive, c’est
exactement celle qui existe entre le fait d’exister et le droit à
exister. La différence est entre un groupe de gens qui vivent sur
un territoire et parlent l’hébreu, et les descendants d’un
peuple, dispersés dans le monde entier, et qui sont revenus dans
leur patrie historique.
Au cas – ce qu’à Dieu ne plaise – où nous
nous couperions de la chaîne qui nous relie au peuple juif, si nous
nous coupions de trois mille ans d’histoire juive, si nous nous
coupions de la réalisation de deux mille ans d’espoir juif –
d’être l’an prochain à Jérusalem – alors nous perdrions
notre droit à l’existence. Et en perdant ce droit, nous serions
perdus.
Sans
doute les juifs de la diaspora ont-ils été insultés par les
remarques abruptes de Yehoshua, mais nous, les juifs de la Terre
d’Israël, nous devons continuer à nous dresser contre ces
observations, car il en va de notre existence même.
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