Haaretz, 30 décembre 2005
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Version
anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/664554.html
Cela
ne fait aucun doute : les auteurs de la plate-forme politique
du parti Travailliste ont fait preuve d’une revigorante originalité
en introduisant une nouvelle notion dans le dictionnaire, déjà
bien chargé, des concepts de l’occupation israélienne : le
« schéma Hong Kong ».
L’idée d’acheter aux Palestiniens les blocs de colonies à la
manière dont la Grande Bretagne avait acheté à la Chine (en 1898)
des territoires pour une période de 99 ans (et non pas Hong Kong même,
qui était une colonie de la couronne depuis 1841), est une idée
particulièrement heureuse : on ne pouvait donner expression
plus percutante au caractère colonialiste de l’annexion de
parties de la Cisjordanie que l’exemple de la mainmise de l’Empire
britannique (et avec lui, la France, l’Allemagne et le Japon) sur
des parties d’un Empire de Chine impuissant.
De
fait, les inventeurs du « schéma
Hong Kong » ont relevé la ressemblance : un
capitalisme rapace agissant sous la protection d’une force
militaire contre un adversaire impuissant, une mainmise brutale sur
les ressources du sol et l’eau parallèlement à la dépossession
et l’expulsion des indigènes, la réalisation de profits énormes
tout en exploitant sentiments patriotiques et poussées
nationalistes. Les intérêts et les sentiments qui animaient
l’impérialisme et le colonialisme à la fin du 19e siècle
– et qui maintenant sont devenus illégitimes, proscrits et
embarrassants – subsistent dans l’Israël d’aujourd’hui, et
les auteurs de la plate-forme politique du parti Travailliste n’hésitent
pas, si colombes et amoureux de la paix soient-ils, de se baser sur
Hong Kong (qui fut créé pour permettre un marché libre de
l’opium) comme « solution » aux blocs de colonies.
En
vérité, la situation dans ces blocs s’accorde avec l’époque
coloniale. Le Dr Gadi Algazi révèle, dans une saisissante étude,
« l’histoire du
capitalisme colonial en Israël 2005 », avec dans les rôles
principaux, des hommes d’affaires orthodoxes, des escrocs
marchands de terrains, des collaborateurs, des officiers de
l’administration militaire, et puis ceux qui dessinent le tracé
de la clôture de séparation et les leaders parmi les colons.
« Alliance non sacrée
entre les autorités de l’Etat qui subventionnent et promeuvent
les clôtures d’une part, et d’autre part les sociétés
immobilières et les entrepreneurs high-tech, la vieille et la
nouvelle économie. »
Cette
alliance fixe les limites élastiques des « blocs »
[de colonies] puis, s’appuyant sur le « consensus », ces blocs ne cessent de se remplir, ne cessent de
s’étendre. Des milliers d’unités d’habitation, pour partie
sans permis, sont construites sur des terres volées à leurs propriétaires
palestiniens par des ruses criminelles, et les planificateurs de la
clôture de séparation, qui connaissent parfaitement les cartes de
la mainmise planifiée par les requins de l’immobilier, veillent
soigneusement à inclure les terrains concernés à l’intérieur
du tracé de la clôture, ce qui ne les empêche pas de déclarer
ensuite, sans la moindre honte, que la clôture est établie
« sur base de considérations
sécuritaires ».
Les
confrontations continues entre Palestiniens, habitants des villages
dont les terres ont été volées – et à leur tête le village de
Bil’in, devenu un symbole – et les forces de sécurité, ne bénéficient
pas de l’attention qu’elles méritent car le combat de ces
habitants est perçu dans le contexte politique large de
l’opposition à la clôture, et pas comme protestation contre le
vol de leurs terres et la création du « bloc ».
Comme le résume Algazi : « Il
s’agit d’une caractéristique structurelle de la frontière
coloniale. La colonisation sauvage offre des opportunités en matière
d’immobilier et des bénéfices excessifs aux dépens de
l’environnement humain et de l’environnement naturel. »
Le
« camp de la paix »
a, dans sa majorité, renoncé à la lutte contre les injustices
entraînées par l’établissement des blocs de colonies. Si la
demande de leur annexion a été admise par le Président Bush, quel
sens y aurait-il à lutter à propos de leur avenir ? Il suffit
d’inventer un alibi comme le « schéma Hong Kong ». Le combat du camp de la paix ne vise que
les colons « idéologiques »,
les fanatiques des avant-postes et la « jeunesse
des collines » – les habitants des blocs urbains, en quête
de qualité de vie, ne faisant eux apparemment pas partie de cette
confrontation.
Et
effectivement, une part non négligeable des habitants des blocs
sont des victimes de l’occupation. Ils n’en sont pas les
instigateurs ni ne la perpétue. La population qui croît à un
rythme des plus élevé dans les blocs de colonies est une
population orthodoxe. Les villes de Modi’in Ilit (Kiryat Sefer) et
Betar Ilit grandissent à un rythme stupéfiant et le nombre de
leurs habitants atteint les soixante mille (soit près d’un quart
du nombre total des colons).
Des
familles orthodoxes pauvres, avec de nombreux enfants et sans
logement n’ont pas eu d’autres choix que de venir dans les
blocs, et leurs leaders se sont définis comme chair à canon. Là-bas,
sur des territoires volés aux villages palestiniens, des maisons
leur ont été bâties et vendues à des prix subventionnés, et on
leur a offert des solutions d’emploi et des conditions de vie sans
équivalent en Israël. Les dirigeants du conseil du Yesha se réfèrent
à ces colons contraints et forcés comme des boucliers humains :
« Même s’ils ne
viennent pas ici pour des raisons idéologiques, ils ne renonceront
pas si aisément à leurs maisons », explique cyniquement
Pinhas Wallerstein, posant un rude défi à ceux que dégoûte la
poursuite de ces vols. Se cacher derrière les astuces de Hong Kong
ou les blocs de colonies en général ne résout rien car cela fait
longtemps que la complication n’est plus territoriale mais
structurelle, globale.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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