Haaretz, 26 janvier 2006
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=675150
Version
anglaise : The masquerade ball
www.haaretz.com/hasen/spages/675183.html
Ce n’est pas pour rien qu’Ehoud Olmert et Tzipi
Livni se sont métamorphosés en chantres des « deux Etats
nationaux »
Tant
la participation israélienne que la participation internationale
aux festivités démocratiques palestiniennes, les comptes-rendus du
processus électoral et les spéculations sur leur signification et
sur leurs résultats sont, sans aucun doute, des réponses compréhensibles
à un événement qualifié d’ « historique » :
après tout, qu’est-ce qui pourrait être plus significatif et
plus riche d’espoir qu’un processus démocratique qui établira
enfin un régime débarrassé de la corruption, rejetant la
violence, prônant le compromis, et digne par conséquent de tenir
lieu de « partenaire » ?
En
vérité, la participation du Hamas dérange quelque peu la fête et
suscite de l’embarras quant aux lendemains du scrutin où les Israéliens
seront contraints d’aborder la question des contacts avec une
organisation terroriste. Mais à la réflexion, pareil résultat est
susceptible de servir justement les intérêts israéliens dans la
mesure où la participation du Hamas au gouvernement de l’Autorité
Palestinienne renforcera la stratégie unilatérale sur laquelle les
partis « centristes » israéliens (Kadima et les
Travaillistes) fondent leur propagande électorale : étant
donné que le Hamas prêche la destruction d’Israël, Israël est
libre de modeler par lui-même ses frontières définitives,
puisqu’il n’y a « pas de partenaire ».
Le
façonnage des frontières définitives, sur base de considérations
visant à assurer une majorité juive, impose, outre un tracé
conforme aux intérêts israéliens, de laisser des territoires
peuplés de Palestiniens que quelqu'un sera d’accord
d’administrer et dans lesquels les conditions physiques et
politiques seront réduites à un minimum afin d’en permettre le
contrôle. A défaut, Israël ne pourra pas se dégager de sa
responsabilité quant au sort de millions d’êtres humains, et son
objectif de se couper de la menace d’un Etat binational sera mis
en échec.
C’est
le rôle qu’Israël entend faire jouer par l’Autorité
Palestinienne et c’est la raison pour laquelle les élections sont
présentées comme si elles se déroulaient dans un Etat souverain
qui se choisit un « parlement » et un « gouvernement ».
On sait pourtant que les Palestiniens élisent en fait un « Comité
de Communauté » dépourvu de pouvoirs, administrant un
territoire dépourvu de souveraineté, mais on laisse entendre que
ce n’est qu’une étape préliminaire en attendant le moment où,
par bonté, Israël se retirera unilatéralement des territoires où
il n’a pas d’intérêt. Alors l’Autorité Palestinienne
deviendra un gouvernement exerçant sa souveraineté sur les
territoires libérés de l’ « Etat national »
palestinien, conformément à la vision de la Ministre Tzipi Livni.
L’ironie
est sans limite : Israël qui, du temps d’Oslo, repoussait
tout emploi de titres comme gouvernement,
parlement, président et premier ministre
– qui tous suggèrent une souveraineté – met aujourd’hui
l’accent sur ces notions afin de nourrir l’illusion qu’il
existe un gouvernement palestinien ; qui certes n’est pas un
partenaire mais qui attendra, toujours en suspens, de ramasser les
miettes lancées par Israël une fois qu’il aura satisfait ses intérêts
démographiques. Ce n’est pas pour rien qu’Ehoud Olmert et Tzipi
Livni se sont métamorphosés en chantres des « deux Etats
nationaux, l’israélien et le palestinien » et ce sont
justement les Palestiniens qui s’opposent à la déclaration
d’un Etat palestinien dans les conditions existantes.
Une
autre raison de l’intérêt évident d’Israël à alimenter
l’illusion d’un gouvernement palestinien et de ses prétentions
de souveraineté est que, si un tel gouvernement n’existait
pas, les sources du soutien extérieur se tariraient, mettant à découvert
le fait que l’occupation israélienne directe et indirecte est
toute entière financée par les budgets des « Etats donateurs ».
150 000 personnes, qui subviennent aux besoins d’un demi million
de personnes, reçoivent leur salaire directement de l’Autorité
Palestinienne. S’y ajoute un nombre équivalent de personnes
vivant de la générosité d’organismes étrangers. Si Israël se
voyait imposer de remplir ses obligations de puissance occupante, il
aurait à payer environ un milliard de dollars par an, simplement
pour le maintien des services à la population de Cisjordanie.
Mais
Israël a créé un précédent international : l’occupation
est financée dans son intégralité par la communauté
internationale et il existe un intérêt commun – palestinien,
israélien et international – d’apporter au moyen des élections
une légitimité à ce régime de la charité : les
institutions palestiniennes pourront maintenir le système corrompu
qui gère la répartition des dons ; les Israéliens pourront
perpétuer une occupation qui ne leur coûte rien et la communauté
internationale perpétuera son illusion : il n’y a pas
d’alternative, si on veut conserver l’espoir de paix, car
l’effondrement de l’Autorité Palestinienne et
l’appauvrissement de sa population anéantiraient tout espoir de
changement.
Ainsi
se poursuivent les festivités de la démocratie sous le regard
attentif de centaines d’observateurs internationaux. Leur rôle se
limite à superviser la démocratie interne des Palestiniens :
qu’ils osent seulement « observer » les check points,
la clôture et les avant-postes ; en elle-même, leur présence
ici suggère qu’ils ne comprennent pas que la normalité qu’ils
transmettent, dans leurs uniformes bleus et avec leurs symboles ne
fait que mettre en relief le bal masqué organisé ici.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
|