Haaretz, 19 mai 2006
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Il
y a obligation à marquer du respect pour les décisions de la Cour
Suprême et à voir dans les attendus des juges l’expression
d’une réflexion dénuée d’emportement et éloignée des
formules superficielles. Mais s’il convient de s’incliner devant
la grandeur du tribunal, il est bon aussi que ceux qui siègent si
haut aient du respect pour la capacité de discernement qu’il y a
dans le public.
Il
n’y a en fait pas lieu d’accorder une énorme importance aux
motifs et aux arguments que les juges de la Cour Suprême ont avancés
pour décider, à une très faible majorité, que priver des Arabes
du droit d’épouser l’élu(e) de leur cœur n’était pas en
contradiction avec des valeurs fondamentales d’une société éclairée.
Ceux qui sont visés par cette décision, aucun laïus ne parviendra
jamais à les convaincre et les centaines de pages de l’arrêt de
justice ne sont pas à même de se débarrasser de la malignité du
décret. Toute personne civilisée a besoin d’explications qui la
satisfassent devant ce qui apparaît comme de la cruauté dans le
fait d’arracher une mère à ses enfants, la moitié d’un couple
à l’autre moitié, si leur lot est d’être Palestiniens.
On
peut vraiment douter que les arguments du juge Mishael Cheshin –
auxquels se sont associés les juges majoritaires – soient en
mesure de porter le lourd fardeau de légitimer une discrimination
frisant le racisme. Et il ne s’agit pas de questions
juridiques-constitutionnelles, mais de discernement politique et de
compréhension de la réalité, pour lesquels le juge suprême
n’est jamais qu’un citoyen lambda, sous l’influence de
l’ambiance générale. Il est dès lors tenu de redoubler de précaution.
Les
arguments de Mishael Cheshin reposent sur deux piliers :
« le droit » des requérants à vivre avec leur conjoint et le
fait qu’ils sont des « citoyens
ennemis » en temps de guerre. Il ne fait pas de doute que
les habitants de la région – c’est-à-dire ceux qui habitent
dans les Territoires occupés et que l’on prive de la possibilité
de vivre avec les membres de leur famille – ne sont pas des
citoyens israéliens ; mais les désigner comme « étrangers »
et les comparer à des immigrants étrangers tentant de
s’infiltrer dans les états de l’Union européenne, relève au
mieux d’une feinte naïveté, et au pire, d’une volonté délibérée
de tromper.
Les
Palestiniens sont-ils des « étrangers »
pour les Arabes d’Israël ? La différence de statut
juridique entre les habitants du Barta’a « israélien »
et ceux du Barta’a « palestinien » en fait-elle des étrangers
les uns pour les autres ? Quand cela nous convient, on fait de
l’Arabe d’Israël un citoyen israélien dont il faut sauvegarder
la dignité humaine, alors même qu’on lui interdit « de
revenir avec un conjoint étranger », ce qui « modifierait
le statu quo existant dans les relations entre citoyens et résidents »,
comme dit le juge Mishael Cheshin.
Le
processus d’éclatement du peuple palestinien en fragments de
communautés – les Arabes de 1948, les Arabes de 1967, les Arabes
de Jérusalem-Est et les Arabes d’au-delà de la clôture de séparation
– a maintenant droit au sceau de conformité de la Cour suprême.
Ce sont des « étrangers »
les uns pour les autres – pour la plus grande commodité des Israéliens
juifs qui ne sont pas tenus de tirer de ce « droit »-là
des conclusions mal venues à leurs yeux. Car les habitants des
Territoires sont des étrangers sur leur terre natale également ;
empêchés de se déplacer sur ses routes, de bénéficier de ses
ressources, de mener leurs affaires civiles et politiques.
Le
fait que les Palestiniens soient privés de citoyenneté et soient
assujettis au pouvoir israélien depuis une quarantaine d’années,
n’altère pas cette conception qui leur trouve toutes les
apparences de citoyens d’un pays d’outre-mer surgissant aux
frontières de la patrie. Où commence la patrie ? Au barrage
de Qalandiya ou à celui de Tarkoumiya ?
Mais
définir les Palestiniens comme des étrangers ne suffit pas ;
il faut encore souligner les dangers qu’ils représentent :
« Ce sont des sujets ennemis et comme tels, ils constituent un groupe à
risque pour les citoyens et les résidents d’Israël ».
Israël est « en guerre
(ou une sorte de guerre) » face à l’Autorité
Palestinienne – « un
gouvernement ennemi, un gouvernement qui veut anéantir l’Etat ».
Et de toute façon, la comparaison est faite, invocatoire, avec l’Angleterre
et l’Amérique dans leur guerre contre l’Allemagne nazie et
l’on rapporte des exemples dont le but est de convaincre que tout
le monde a empêché l’immigration voire a expulsé des sujets
d’un pays ennemi pendant que se menait la guerre contre cet
ennemi.
Il
serait bon qu’un arrêt de justice explique quand employer le
terme de guerre ou de conflit armé et s’il est permis d’y
recourir à notre bonne convenance. L’état de guerre sur lequel
s’appuie la Cour suprême s’applique-t-il également aux
situations dans lesquelles Israël se dérobe aux lois de la guerre
ou les viole sciemment ? Si on appliquait ponctuellement les
lois de la guerre, bien des officiers israéliens seraient déjà
sous les verrous. Mais le monopole exercé par les Israéliens sur
l’application de la définition de la guerre leur permet de porter
atteinte « avec mesure »
aux droits des personnes à fonder et entretenir une famille, et
cela sans éprouver la moindre honte de refuser ce droit sur une
base clairement ethnique.
Et
on n’a encore rien dit du clin d’œil et de ce qui se murmure :
que tous ces arguments ne sont que bêtises ; que tout est là
pour empêcher un « droit
au retour rampant » ; mais interdiction de faire aveu
de racisme.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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