L'intégralité du débat avec Leïla Shahid,
déléguée générale de l'Autorité palestinienne
en France, lundi 17 janvier 2005.
Pensez-vous que Mahmoud Abbas ait une
autorité et une légitimité suffisantes pour faire cesser les
attaques terroristes ?
Oui, Mahmoud Abbas a la légitimité et l'autorité pour faire
cesser toute action militaire, mais il a besoin de l'arrêt des
actions militaires côté israélien pour que ce soit un
cessez-le-feu simultané et réciproque.
Qu'espérez-vous de la nouvelle coalition
nationale israélienne ?
Avant tout, de comprendre qu'il n'y aura pas un gagnant et un
perdant, mais qu'il faut que nous soyons tous les deux gagnants,
sinon nous serons tous les deux perdants, nous et les Israéliens.
Et donc, la seule manière de s'en sortir est de prendre les
mesures parallèles nécessaires pour un cessez-le-feu des deux côtés
et des actions qui reconstruisent la confiance chez les Israéliens
et chez les Palestiniens.
Où en est-on avec la "feuille de
route" ?
La "feuille de route" est justement le seul projet
international approuvé par une résolution du Conseil de sécurité
qui propose des mesures à mettre en œuvre par les deux
protagonistes, de manière réciproque et parallèle. L'Autorité
palestinienne l'a acceptée sans aucune condition, le gouvernement
d'Ariel Sharon l'a approuvée avec quatorze réserves. Surtout,
Ariel Sharon refuse d'intégrer le retrait de Gaza dans le cadre
de la "feuille de route", ce que lui demandent non
seulement l'Autorité palestinienne, mais aussi l'Union européenne.
Aujourd'hui, c'est au quartette, qui est l'auteur de la
"feuille de route", de mettre en œuvre cette
"feuille de route" des deux côtés.
Il semble que la mort d'Arafat ouvre une ère
possible de relance du processus de paix, les Israéliens jugeant
enfin avoir un partenaire avec qui parler. Dans ces conditions,
Arafat de son vivant, n'aurait-il pas dû abandonner la tête de
l'Autorité palestinienne pour promouvoir la paix dans la région,
et accélérer la fin du bain de sang ?
Malheureusement, les événements de ce week-end montrent que rien
n'a changé, puisqu'il y a plusieurs morts du côté palestinien
et du côté israélien, puisque les assassinats ciblés perpétrés
par l'armée israélienne ne se sont pas arrêtés et les réponses
des militants du Hamas non plus, et qu'Ariel Sharon, par conséquent,
a arrêté le principe du dialogue avec Mahmoud Abbas avant qu'il
ait commencé !
Je crois donc que le problème n'est pas un problème de personne,
le président Arafat ou Mahmoud Abbas. Le problème consiste à
amener des solutions au problème des réalités politiques et
avant tout, celle de l'occupation militaire des territoires
palestiniens. Si Ariel Sharon propose un retrait sérieux des
territoires occupés, il y aura une trêve réciproque et mutuelle
qui permettra de négocier toutes les questions du statut final.
Pourquoi le Hamas a-t-il choisi de mettre M.
Abbas en difficulté si rapidement après son élection ? Quel est
le but de cette démonstration ?
Avant tout, parce qu'Ariel Sharon leur a donné une opportunité
de le faire en assassinant, le lendemain des élections, deux
responsables du Hamas en plein centre de Ramallah. Ils ont donc répondu
à cette agression volontaire par des attaques contre le poste de
Karneh à Gaza et le cycle de violence a repris. Je crois
qu'aujourd'hui il faut réellement réaliser qu'il faut
l'intervention d'un tiers pour sortir de ce cycle.
Quel serait ce tiers ?
Le seul tiers légitime est bien sûr la communauté
internationale, et en l'occurrence, le quartette, qui a la
responsabilité de mettre en œuvre le plan qu'il a rédigé,
qu'il a fait adopter au Conseil de sécurité, s'il veut préserver
sa crédibilité. De plus, je ne pense pas qu'il y ait un conflit
régional au monde qui puisse se résoudre uniquement à travers
les protagonistes eux-mêmes. Nous l'avons vu dans toutes les régions
du monde, dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient. Il faut
qu'il y ait un arbitre objectif pour s'assurer que chacun des
protagonistes met en œuvre ce que les Nations unies lui
demandent, et ce que les accords signés exigent.
Sous quelle forme imaginez-vous cette
intervention ? Qu'est-ce que le quartette peut faire de plus ?
Pour le moment, le quartette n'a absolument rien fait, à part d'écrire
un ordre du jour avec des mesures claires à prendre d'un côté
et de l'autre. Malheureusement, le président Bush a écrit une
lettre à Ariel Sharon, le 14 avril 2004, où il permet au
gouvernement israélien de modifier le contenu de la "feuille
de route" sans en référer aux autres partenaires du
quartette.
Je crois donc que la première chose à faire, c'est qu'au plus
haut sommet les membres du quartette, à savoir les Américains,
les Russes, les Européens et les Nations unies, se réunissent
pour préciser comment ils comptent mettre en œuvre ce plan avec
les deux protagonistes : Israéliens et Palestiniens, en
respectant toutes les clauses de la "feuille de route"
sans réserve.
Pensez-vous que M. Bush est sincère quand
il dit vouloir s'impliquer dans la résolution du conflit israélo-palestinien
?
Je crois qu'en politique il ne faut se fier à aucune prétention
de sincérité d'aucune partie, malheureusement. Le président
Bush fonctionne comme tous les hommes politiques selon l'intérêt
du pays qu'il dirige. Je crois que dans son deuxième mandat, il
est obligé de tirer la leçon de ses échecs dans le premier
mandat. Il sait très bien que la guerre en Irak n'a pas été une
victoire pour les Américains et il est obligé de montrer qu'il
sait autant faire la paix que la guerre. Mais c'est une question
tributaire d'un rapport de force entre les tenants de la guerre
parmi les néo-conservateurs américains et les tenants de la paix
dans l'opinion publique américaine. Qui gagnera des deux ? Il est
trop tôt pour le dire, mais je crois que les Européens ont un rôle
très important à jouer pour renforcer le camp de la construction
de la paix dans le monde, et plus spécifiquement au
Proche-Orient, dans l'administration américaine.
George Bush va-t-il maintenir l'invitation
faite à M. Abbas ?
Je le pense, parce qu'il est très difficile, après avoir fermé
la porte à Yasser Arafat pendant quatre ans, de justifier de
faire pareil pour le nouveau président élu à 62 % des votes des
électeurs, qui représentaient, eux, 70 % de l'électorat
palestinien. L'opinion publique mondiale a des exigences à l'égard
de la première puissance du monde, qui a été perçue dans les
quatre dernières années comme une puissance qui a mené une
guerre sans grande justification, puisque l'on sait aujourd'hui
qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive en Irak, ni de
relations entre le régime de Saddam Hussein et le réseau de Ben
Laden.
Je crois donc que le président américain est bien obligé de
faire un effort avec la nouvelle Autorité palestinienne présidée
par Mahmoud Abbas pour montrer aussi qu'il réalise la
responsabilité des Etats-Unis dans la construction de la paix
dans le monde et pour améliorer une image assez catastrophique
des Etats-Unis dans le monde arabe. Ira-t-il plus loin qu'un
entretien à la Maison Blanche ? Cela dépendra aussi de ce que
souhaite le nouveau gouvernement de coalition d'Ariel Sharon.
Est-ce que l'Autorité palestinienne veut
encore dire quelque chose ? Avec les durs israéliens d'une part,
Sharon en tête, et le Hamas et les Brigades, d'autre part ? Que
peut faire l'Autorité palestinienne entre un Likoud qui gouverne
et le Hamas en Palestine ?
C'est une bonne question. La marge de l'Autorité palestinienne
n'est pas très grande, parce qu'elle négocie dans une situation
d'occupation totale et après quatre ans d'une guerre totale menée
contre elle par le gouvernement d'Ariel Sharon. La principale
carte qu'elle a, c'est d'être élue démocratiquement par la
majorité d'un peuple qui a exprimé son désir de paix à travers
le choix du candidat du Fatah, Mahmoud Abbas. C'est très
important pour le peuple israélien de réaliser qu'il y a là un
message très clair et un mandat très clair donné au président
de l'Autorité. S'il y a une volonté politique de paix chez Ariel
Sharon et le nouveau gouvernement israélien, où siège
aujourd'hui le Parti travailliste, c'est la dernière chance donnée
à la paix. J'espère que les Israéliens la saisiront.
Croyez-vous que le projet d'Ariel Sharon à
propos du retrait de la bande de Gaza est un vrai projet ou un
projet fantôme pour mieux se maintenir au pouvoir ?
Je crois sincèrement que le projet d'Ariel Sharon est de se
retirer de Gaza pour mieux coloniser et contrôler la Cisjordanie.
C'est d'ailleurs ce qu'a dit de manière très claire son
conseiller politique le plus proche, M. Dove Weisglass, au journal
Yedioth Aharonot il y a un mois. Le Monde,
d'ailleurs, en avait fait sa manchette sur la première page. Il
avait dit : le meilleur moyen de mettre le processus de paix dans
le formol est de proposer un retrait unilatéral de la bande de
Gaza.
Deuxièmement, Gaza, de par sa résistance, de par la force de sa
population, est devenue un vrai cauchemar pour l'armée israélienne,
qui a de plus en plus de mal à se maintenir là-bas pour défendre
8 000 colons israéliens. C'est un prix trop cher à payer, et
donc la décision de Sharon est un calcul très cynique entre les
avantages et les désavantages de la présence militaire israélienne
à Gaza. S'il refuse d'intégrer ce projet de retrait dans le
cadre de la "feuille de route", c'est qu'il n'a pas
encore pris la décision stratégique de revenir à un vrai
processus de paix qui peut nous amener à une paix basée sur la
création d'un Etat palestinien viable sur les frontières de 1967
et qui coexisterait à côté d'un Etat israélien vivant en sécurité
parce que vivant en paix avec son voisin.
Ariel Sharon accepte de vous rendre ce que
vous réclamiez depuis 1967, tout du moins en partie. Pourquoi ne
vous félicitez-vous pas de ce retrait, même s'il doit
s'accompagner d'autres actions dans le futur ? N'est-ce pas un bon
début ?
Parce que nous ne faisons pas confiance à Ariel Sharon qui,
depuis qu'il est arrivé au pouvoir, a pratiquement détruit le
processus d'Oslo qui avait été mis en place par Rabin et Pérès
il y a un peu plus de dix ans, avec le président Arafat. Nous
avons le sentiment qu'Ariel Sharon n'a pas une vision politique de
l'avenir qui intègre le peuple palestinien et ses droits à un
Etat indépendant et viable, avec Jérusalem-Est comme capitale.
Et la politique pratiquée par le gouvernement d'Ariel Sharon dans
la construction du mur d'apartheid, le développement des colonies
en Cisjordanie, la politique d'assassinats ciblés, de destruction
de propriétés ne donnent pas le sentiment que le retrait de Gaza
s'intègre dans une vision plus globale de la paix. C'est pour
cela que nous demandons que le quartette, qui défend une vision
plus synthétique de la "feuille de route", soit le
garant que Gaza d'abord ne soit pas Gaza seulement.
Que pensez-vous de la lutte interne à la
société israélienne à propos du projet de M. Sharon de désengagement
de la bande de Gaza ?
Tout de même, que penser de la lutte
interne à la société israélienne à propos du projet ?
Dans toute société, qui pendant 38 ans a assumé la
responsabilité d'une occupation militaire contre notre
population, le prix de l'occupation est énorme. Il y a au sein de
la société israélienne un courant qui s'oppose à l'occupation
militaire et qui lutte pour mettre fin à l'armée israélienne
dans les territoires occupés en 1967. Une lutte courageuse dans
tous les milieux, y compris parmi les soldats israéliens qui
refusent de servir dans les territoires occupés.
Il y a aussi le courant qui s'oppose au retrait de l'armée israélienne
des territoires occupés, et qui défend le principe du
"grand Israël" avec les 400 000 colons qui habitent
dans les territoires. Ceux-là sont prêts à utiliser tous les
moyens pour empêcher le retrait des colons et des soldats de tout
pouce de territoire occupé. C'est à la société israélienne de
gagner ce combat interne en laissant la majorité des citoyens
s'exprimer sur ce qu'ils souhaitent eux-mêmes. C'est la chance
donnée à toute démocratie de choisir son destin.
C'est un travail que nous, Palestiniens, avons fait pour nous-mêmes
lorsque nous avons voté à la majorité pour la reconnaissance de
l'Etat d'Israël dans les frontières de 1967 et que nous avons déclaré
un Etat palestinien en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est.
La construction d'un mur, destiné à protéger
les Israéliens bien que condamné par l'ONU, continue
inexorablement. Comment est-ce possible ?
Par le fait qu'Israël se comporte comme un Etat au-dessus du
droit. Un Etat qui refuse d'appliquer toutes les résolutions des
Nations unies depuis 1967 et les Etats membres des Nations unies
permettent à Israël de se comporter ainsi, puisqu'ils ne
prennent aucune sanction, ni politique, ni économique, ni
diplomatique, à l'encontre du gouvernement israélien.
Comment réagissez-vous lorsqu'on vous dit
que 90 % des attentats-suicides ont été empêchés grâce au mur
de séparation ?
Je n'y crois pas, parce que malheureusement, les attentats
continuent. Nous l'avons vu pendant le week-end. Et je ne crois
pas aux solutions techniques du problème israélo-palestinien.
Les raisons de la violence en Palestine viennent de l'occupation
militaire. Il faut mettre fin à cette occupation, qui dure depuis
38 ans. Lorsqu'on pense que l'occupation allemande de la France a
duré 4 ans, vous imaginez ce que 7 fois plus signifie pour la
population palestinienne, dont au moins trois générations ont vécu
sous l'humiliation et sans liberté. Ce n'est pas un mur qui amènera
la sécurité légitime au peuple israélien, mais une paix bâtie
sur la justice et le droit.
Pourquoi faire toujours des amalgames et
comparer l'occupation nazie de la France à celle de la Palestine
?
Comment comparer ces deux occupations ?
C'est scandaleux !
Toutes les occupations du monde sont des occupations illégitimes.
Et toutes les occupations génèrent des résistances.
L'occupation israélienne est illégitime, comme l'occupation
allemande l'était. Cela ne veut pas dire que les causes ou les
conséquences aient été semblables. Mais il est primordial de
comprendre qu'on ne peut pas faire de l'occupation israélienne
des territoires palestiniens une occupation légitime. Sinon, on
justifierait l'injustifiable.
En parlant de mur de l'apartheid - et c'est
inadapté - alors qu'il s'agit d'une clôture antiterroriste, qui
fait ses preuves, vous jetez de l'huile sur le feu, de la haine au
lieu de parler de paix.
Vous savez, je ne crois pas à une situation de guerre où ce qui
compte c'est les mots et pas les actes. La haine, elle est la conséquence
d'une réalité d'humiliation, d'écrasement, de chômage, de
privation de liberté. Il y a aujourd'hui un système d'apartheid
à tous les niveaux dans les territoires palestiniens par rapport
à Israël, puisqu'il y a une loi qui gère la vie des Israéliens,
et qui leur assure tous les droits civils et politiques, et une
autre loi, militaire elle, qui empêche les Palestiniens de
circuler, de travailler, de respirer et de construire leur Etat.
Donc ce n'est pas une question de comment moi j'appelle le mur,
mais de comment la réalité doit être lue.
Pensez-vous que M. Abbas aura, face aux
attentats-suicides la même attitude qu'Arafat ? Aura-t-il la
volonté et le pouvoir de faire reculer les extrémistes
islamistes ?
Mahmoud Abbas, comme Yasser Arafat, ne pourra réussir à
convaincre par le dialogue politique les opposants de l'Autorité
palestinienne que dans la mesure où le gouvernement d'Ariel
Sharon fera de son côté ce qui est nécessaire. Cela signifie
arrêter les assassinats ciblés, les bombardements des quartiers
civils, ce qui, pour moi, représente du terrorisme d'Etat que je
dénonce autant que le terrorisme des organisations palestiniennes
qui ciblent des civils israéliens. Seuls, ni Mahmoud Abbas ni
Yasser Arafat ne peuvent mettre fin à la violence.
Avant la seconde Intifada, n'y avait-il pas
de progrès dans le développement économique et dans l'autonomie
et la liberté en Palestine ? Ne considérez-vous pas la situation
actuelle comme une conséquence de cette Intifada ?
C'est exactement le contraire. C'est-à-dire que la seconde
Intifada a commencé en septembre 2000 à cause des frustrations
de la population par rapport aux promesses du processus d'Oslo
qui, au lieu d'améliorer la vie de la population, l'a rendue plus
difficile, en particulier à cause de la fragmentation du
territoire en zones A, B et C, de la difficulté de circulation
des personnes et de la chute du niveau de vie de 40 %.
La visite d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées et la
tuerie qui l'a suivie n'ont été que l'étincelle qui a mis le
feu aux poudres. L'Intifada est une conséquence d'une situation,
elle n'en est pas la cause.
Si la paix ne se fait pas, c'est
essentiellement à cause de l'occupation. Comment pensez-vous que
M. Abbas doit s'y prendre avec M. Sharon quant à l'arrêt de la
colonisation ?
Je suis entièrement d'accord qu'il n'y aura pas de paix avec
l'occupation. Mais il n'y a pas de sécurité non plus pour le
peuple israélien sans paix. Et une majorité d'Israéliens, dans
les sondages, pensent que la paix ne viendra qu'à travers la création
d'un Etat palestinien. Quel Etat, sur combien de territoire, avec
quelle capitale et quelles frontières ? C'est là que les
divergences au sein de l'opinion publique israélienne
s'expriment.
La direction politique israélienne doit faire des choix démocratiques
qui reflètent l'opinion de sa population. Ce n'est pas le cas
aujourd'hui, et c'est tout le paradoxe de la situation israélienne.
Mais il y a aussi une responsabilité internationale qui n'est pas
assumée, parce que la colonisation est dénoncée par les 4es
conventions de Genève et les résolutions du Conseil de sécurité
comme des violations du droit, et elles sont impunies depuis 38
ans.
Pensez-vous qu'il y ait un risque de guerre
civile entre Palestiniens ?
C'est une des questions majeures qui se débattent aujourd'hui
dans la société palestinienne. Les gens sont très conscients de
ce danger, mais je crois qu'il y a assez de maturité politique
pour éviter une telle possibilité. C'est pour cela que Mahmoud
Abbas intensifie le dialogue politique avec le Hamas, le Djihad et
toutes les forces politiques au sein de l'OLP pour renforcer
l'unité nationale et éviter toute possibilité d'affrontement
intérieur. Ce n'est d'ailleurs pas non plus dans l'intérêt de
l'Etat d'Israël, même si certains responsables politiques israéliens
essaient d'alimenter ce genre d'affrontement militaire dans
l'espoir qu'une guerre civile anéantisse les chances de création
d'un Etat palestinien.
Quel doit être le rôle de la France dans
le soutien au processus de paix ?
Le rôle de la France est primordial au sein de l'Union européenne,
dont elle fait partie. Comme l'a dit Michel Barnier il y a une
semaine exactement, le test de la relation transatlantique entre
l'Europe et les Etats-Unis est la relance du processus de paix sur
la base de l'application de la "feuille de route" et de
la responsabilité du quartette. C'est aussi ce que le président
Chirac a affirmé à tous les diplomates réunis à l'Elysée le 6
janvier, lorsqu'il s'est adressé à eux à l'occasion de la
nouvelle année. Il a aussi dit qu'il fallait tous nous investir
dans cette tentative de relance du processus de paix si nous
voulons assurer la paix dans toute cette région du monde.
Pensez-vous qu'il soit nécessaire de
maintenir des contacts avec les groupes terroristes comme le
Hamas, ainsi que le fait l'Autorité palestinienne ? Peut-on avoir
une politique cohérente de négociation vis-à-vis d'Israël tout
en cherchant à ne pas heurter ces groupes ?
L'appellation "terroriste" est toujours appliquée à
des forces politiques ou des Etats qui ont recours à l'assassinat
de civils. Israël pratique à notre égard du terrorisme d'Etat
en tuant nos civils, femmes et enfants. Nous n'avons pas suspendu
notre volonté de dialogue avec l'Etat d'Israël pour autant. Il
n' y a pas de guerre propre, et le terrorisme n'est pas l'apanage
unique des victimes, mais aussi des bourreaux, donc faisons face
aux réalités et assumons nos responsabilités, nous et les Israéliens.
Et des contacts avec le Hezbollah chiite
libanais ? Pourquoi avoir soutenu la diffusion d'Al Manar en
France ?
Al Manar est une télévision qui est proche d'un parti politique
libanais qui a mené la résistance contre l'occupation militaire
du Sud-Liban par Israël pendant 22 ans. Aujourd'hui, ce
territoire a été libéré et il faut s'en féliciter. Le
Hezbollah est un parti politique légitime, reconnu, qui a
plusieurs députés au Parlement libanais.
Cette chaîne fait partie, avec les chaînes satellitaires arabes,
d'un réseau de télévisions qui participent à la scène
audiovisuelle arabe actuelle qui est très importante pour les
opinions publiques du monde arabe. Elle a diffusé un feuilleton
antisémite inacceptable, La Diaspora, que j'ai condamné
aussitôt que je l'ai vu, au moment de sa diffusion. Je crois que
c'était une erreur grave et je me suis réjouie que les
responsables de la chaîne l'aient reconnu. Mais je ne crois pas
à la censure ni d'Al Manar ni d'aucune autre télévision
d'ailleurs. Je crois à l'efficacité de la pédagogie en
politique pour avancer vers la tolérance, le respect de l'autre
et la paix.
Que pensez-vous de la position des pays
arabes, est-ce qu'ils peuvent jouer un rôle dans la résolution
du conflit ?
Excellente question, à laquelle je dois répondre avec beaucoup
d'honnêteté qu'ils ne font pas assez. Ni pour leur propre intérêt
ni pour le nôtre. Le monde arabe traverse une crise grave de son
histoire où il doit faire face à des défis primordiaux par
rapport à la liberté des citoyens arabes, par rapport à la démocratie,
par rapport à la place de la religion dans l'Etat, et par rapport
aux intérêts objectifs des Arabes pour faire de la Ligue arabe
un outil plus efficace dans l'intérêt des peuples arabes. Et
parmi eux, bien sûr, le peuple palestinien.
Avez-vous eu accès au dossier médical de
la cause de la mort de Yasser Arafat ? Allez-vous de nouveau vous
prononcer à ce sujet ?
Je me suis déjà exprimée sur cette question et le dossier médical
a été confié à l'Autorité palestinienne, qui l'examine et se
prononcera sur le sujet.
Quel est actuellement l'avenir d'un jeune
Palestinien ?
Je voudrais croire à un avenir d'espoir, de liberté, de développement,
d'universalité. Mais il faudra se battre pour cela. Je crois que
les jeunes Palestiniens ont beaucoup de mérite de continuer à
croire dans l'éducation, dans la formation professionnelle, dans
l'humanité des hommes et des femmes qui fondent notre planète.
La majorité de nos jeunes croient au droit du peuple israélien
à vivre en paix. Ils souhaiteraient sentir que la majorité des
jeunes Israéliens partagent cette conviction quant au droit du
peuple palestinien d'exister.
Et j'en suis certaine, l'avenir appartient aux jeunes Palestiniens
comme aux jeunes Israéliens, parce que la coexistence de ces deux
peuples est inéluctable. C'est le destin qui les a réunis, et
c'est la leçon de l'histoire humaine qui montrera que le choix de
la paix, c'est le choix de la vie, et que la guerre, c'est la mort
pour tous.
Chat modéré par Constance Baudry et Stéphane
Mazzorato sur le site du journal Le Monde.
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