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Palestine :
face aux manœuvres de l’impérialisme,
du sionisme et des collaborateurs, pas de tergiversation
Julien Salingue
« Depuis le début, on peut identifier deux conceptions sous-jacentes au
processus d’Oslo. La première est que ce processus peut réduire
le coût de l’occupation grâce à un régime palestinien
fantoche, avec Arafat dans le rôle du policier en chef
responsable de la sécurité d’Israël. L’autre est que le
processus doit déboucher sur l’écroulement d’Arafat et de
l’OLP. L’humiliation d’Arafat, sa capitulation de plus en
plus flagrante conduiront progressivement à la perte de son
soutien populaire. L’OLP va s’effondrer ou succomber à des
luttes internes. La société palestinienne va ainsi perdre sa
direction politique et ses institutions, ce qui constituera un
succès car il faudra du temps aux Palestiniens pour se réorganiser.
Et il sera plus facile de justifier la pire oppression quand
l’ennemi sera une organisation islamiste fanatique »
(1).
« La pire oppression »
Ces lignes ont été
écrites il y a plus de 12 ans. Ce qu’elles prédisaient a fini
par arriver. A l’heure où nous écrivons, la situation à
laquelle doit faire face la population palestinienne est des plus
dramatiques et tout laisse à penser qu’elle va aller en
s’aggravant. Mais elle ne semble pas émouvoir grand monde, dans
la mesure où elle n’est que la conséquence de l’arrivée au
pouvoir d’une « organisation islamiste fanatique ».
Les aides internationales ont été coupées, Israël vole les
taxes à l’importation qui devraient revenir aux Palestiniens,
l’organisme de l’ONU chargé du sort des réfugiés (UNRWA)
fait de l’assistance humanitaire dans les camps de Gaza et de
Cisjordanie où il est encore présent… La proposition
qu’avait faite Dov Weisglass, conseiller du Premier Ministre
israélien, au lendemain de la victoire du Hamas, a donc fait son
chemin. Il avait alors déclaré « [que] l’idée
est de mettre les Palestiniens à la diète, mais de ne pas les
faire mourir de faim » (2), déclenchant à l’époque,
d’après des témoins, un fou rire du cabinet israélien. Mais
pas de condamnation de la « communauté internationale »,
plus prompte à demander des comptes au Hamas.
Nous y sommes. Les
Palestiniens sont « à
la diète ». Evidemment avant les « sanctions économiques »,
on ne faisait pas 3 repas complets et équilibrés par jour en
Palestine. 6 ans de bouclage quasi-permanent des territoires
palestiniens ont généré une paralysie et une asphyxie économiques,
entraînant toute la population dans une longue descente aux
enfers vers l’extrême pauvreté. Mais depuis les élections un
pas a été franchi. Aujourd’hui on mange du pain, de l’huile,
quelques fruits et légumes. On circule à pied car l’essence
(quand il y en a) et les taxis sont trop chers. On ne peut plus
financer sa scolarité. On ne peut plus se soigner. On ne peut
plus payer l’eau et l’électricité. Les commerçants ne
vendent plus rien. Les banques refusent les retraits. Et lorsque
le 29 mai dernier, les coiffeurs d’Hébron organisent une journée
« coupe gratuite », les gens se pressent et on peut
entendre des fonctionnaires déclarer : « Je
suis heureux qu’on me coupe les cheveux gratuitement, mais ça
me gêne de ne pas pouvoir payer. Je n'avais jamais été
auparavant dans cette situation, d’avoir à demander de l’aide »
(3).
Et pendant ce
temps, la colonisation et la répression continuent. De nouvelles
parties du Mur sont construites, parachevant l’encerclement des
zones palestiniennes, les expropriations se poursuivent, la Bande
de Gaza est bombardée en permanence (350 obus par jour en moyenne
pour le mois d’avril), les « incursions » se
poursuivent (bilan des 439 agressions israéliennes du mois de mai :
44 morts (dont 15 lors d’assassinats « ciblés »),
183 blessés et 481 interpellations (4)), en Cisjordanie nombre de
villes, villages et camps sont régulièrement sous couvre-feu… « La
pire oppression », disait T. Reinhart. Pas sûr
qu’elle s’imaginait, à l’époque, et ce même si elle était
une des rares à ne pas se faire la moindre illusion sur les
Accords d’Oslo, jusqu’où les autorités israéliennes
seraient prêtes à aller, avec le soutien unanime des puissances
impérialistes.
Intifada électorale
On a pu lire ces
dernières semaines de nombreuses condamnations des sanctions
prises contre les Palestiniens, au motif qu’elles seraient
injustes et révoltantes car prises dans le but de « punir
les Palestiniens d’avoir mal voté » (5). La formule
est commode mais elle ne doit pas devenir une grille d’analyse
car elle contourne l’essentiel : l’objectif de ces
sanctions. Il ne s’agit en effet pas seulement d’une petite
tape sur les doigts des Palestiniens pour les rappeler à
l’ordre.
La brutalité des
sanctions est à la hauteur de la force du message qui s’est
exprimé lors des élections palestiniennes de janvier dernier. La
population palestinienne a en effet lancé un véritable défi au
sionisme et à l’impérialisme et elle l’a fait en
connaissance de cause. Comme le rappelle Khaled Meshal,
responsable du Bureau Politique du Hamas, « il
y avait des voix avertissant [les Palestiniens],
localement et internationalement, de ne pas voter pour une
organisation étiquetée par les Etats-Unis et l’Union Européenne
comme terroriste parce que ce droit démocratique leur coûterait
l’aide financière fournie par les donateurs étrangers »
(6).
En donnant une
majorité au Hamas, les Palestiniens ont voté contre
l’occupation israélienne, mais aussi et surtout contre la
soumission de la direction de l’Autorité Palestinienne aux
exigences israéliennes et occidentales, contre les privilèges et
la corruption, contre la fiction des « négociations »
et d’un « processus de paix » qui n’existe que
dans la tête des médias et des politiques occidentaux. Ils ont
voté pour affirmer qu’ils ne sont pas prêts à capituler, pour
exprimer leur volonté de continuer à lutter pour leurs droits légitimes
tout en exigeant une amélioration de leurs conditions de vie
quotidiennes. Et c’est le Hamas, qui a su allier un profil sans
compromis vis-à-vis d’Israël et une assistance réelle à la
population, qui incarnait le mieux, même si on peut le regretter,
cette aspiration.
Lorsque l’on
examine dans le détail les résultats des élections, cette
tendance générale est largement confirmée. La moitié des députés
palestiniens sont élus dans des circonscriptions, l’autre moitié
par un vote à la proportionnelle sur des listes nationales. Le
scrutin de liste est très serré : 43% pour le Hamas, 40%
pour le Fatah. Mais au niveau des circonscriptions, la victoire du
Hamas est écrasante : 46 sièges pour le Hamas, 17 pour le
Fatah. Les électeurs palestiniens n’ont donc pas rejeté en
bloc le Fatah, parti historique de la résistance, dont certains
courants participent à la lutte contre l’occupation. Ils ont
rejeté la caste « Autorité Palestinienne », c’est
à dire toutes les personnalités, issues du Fatah, qui depuis des
années sont intégrées à l’Autorité et assimilées, à juste
titre, aux compromissions, à la corruption, à la collaboration
et à la déroute des années Oslo.
Les sanctions économiques
sont la réaction violente à ce défi lancé par les
Palestiniens. « L’objectif
n’est autre que celui de leur imposer une capitulation sans
conditions. Le chantage à l’argent et à la faim n’a
d’autre but que celui d’une humiliation totale, pour
contraindre enfin ce peuple - qui refuse de se soumettre - à
accepter de ne plus être qu’un peuple de mendiants et à
renoncer à ses droits. L’objectif n’est donc pas de défaire
le Hamas mais de liquider tout esprit de résistance »
(7). Loin d’être une simple punition, les sanctions sont une
nouvelle étape dans la destruction du mouvement de libération
palestinien, une réponse à l’Intifada électorale de janvier
dernier, comme la brutale répression qui a suivi la seconde
Intifada en septembre 2000.
Derrière Abu Mazen, Oslo…
La défaite de la
direction Abu Mazen est donc la défaite d’individus corrompus,
détestés et considérés comme des collaborateurs par la grande
majorité de la population (8), mais elle sonne aussi le glas du
projet politique qui leur était intimement lié : les négociations
en vue de la création d’un « Etat palestinien indépendant »
dans le cadre du processus dit d’Oslo (9), et l’abandon de
toute stratégie de lutte réelle contre l’occupant, quitte à
être en conflit avec la base du Fatah.
Même si nous ne
pourrons pas ici développer une analyse exhaustive de ce qu’ont
été les Accords d’Oslo, il convient cependant de rappeler
quelques éléments essentiels. On a tendance à considérer les
Accords d’Oslo, qui ont mis un terme à la première Intifada,
comme des Accords conquis de haute lutte par les Palestiniens, répondant
en partie aux aspirations qui s’étaient exprimées lors du soulèvement.
C’est cela qui aurait expliqué leur caractère certes
insuffisant mais néanmoins positif. Mais à y regarder de plus prêt,
la réalité est tout autre et nettement moins reluisante.
Loin d’être une
« concession » faite par les Israéliens et leurs alliés
aux Palestiniens, il s’agit avant tout d’une adaptation de la
stratégie d’Israël dans son entreprise de colonisation de la
Palestine. L’Intifada a démontré aux dirigeants sionistes
qu’il leur était impossible de contrôler l’ensemble de la
population palestinienne et d’empêcher toute insurrection. Oslo
avait pour principal objectif de poursuivre la colonisation en
confiant le maintien de l’ordre dans les zones palestiniennes
les plus densément peuplées (villes, villages et camps de réfugiés)
à des forces de sécurité palestiniennes, dirigées par un
appareil d’Etat sans Etat, « en échange d’une promesse d’autonomie dans quelques territoires
restant à définir ultérieurement par des négociations qui
n’ont, en fait, jamais débouché » (10) et de
quelques accords commerciaux favorisant les entreprises des
« négociateurs » et de leurs amis.
Ahmed Saadat, Secrétaire
Général du FPLP, portait en septembre 2002 le jugement suivant :
« Oslo n’est pas un
accord politique qui aurait pu permettre d’amener une solution
pour le peuple palestinien, mais bel et bien un projet qui ne
concernait que les questions sécuritaires et commerciales, dont
l’une des principales finalités était la sécurité israélienne.
Il y a eu avec Oslo un passage de témoin entre les Israéliens et
l’Autorité dans un certain nombre de régions, y compris dans
des zones que l’Autorité ne contrôlait absolument pas »
(11).
Collaboration et colonisation institutionnelles
Pour les
sceptiques, citons quelques extraits significatifs des documents
paraphés à l’époque par Arafat et Abu Mazen : « La
partie palestinienne prendra toutes les mesures pour empêcher
tout acte d’hostilité à l’encontre des implantations [=
colonies], des infrastructures les desservant [= routes de contournement et
checkpoints] et des zones
d’installation militaire » (12). Concernant
l’autonomie palestinienne, « les
moindres détails concernant l’Autorité palestinienne sont,
en outre, soumis à l’accord du gouvernement israélien :
« la structure du Conseil, le nombre de ses membres »,
ses pouvoirs exécutifs et législatifs
(article VII), ainsi que « le système électoral »
et même « les règles
et règlements applicables à la campagne électorale » (Annexe
I) » (13).
Quant aux
questions territoriales, aucun engagement ferme n’est pris par
Israël. Comme pour la question des réfugiés ou de Jérusalem,
tout est repoussé à des négociations ultérieures. Ce qui fera
dire en 1994 à Meron Benvenisti, Maire-adjoint de Jérusalem,
« [que] les négociateurs
de l'OLP ont déjà admis deux principes : « aucune
implantation israélienne ne sera évacuée » et
« les blocs d'implantations, constituant une continuité géographique,
seront sous autorité israélienne » » (14). Dans un
autre article au titre évocateur (« Un
accord de reddition »), son appréciation globale des
accords est la suivante : « On
peut clairement reconnaître que la victoire israélienne fut
absolue et la défaite palestinienne abjecte » (15).
On est bien loin
du « pas en avant »
(même « petit »)
ou de la « paix des
braves » qui ont été salués à l’époque. Si les
Accords d’Oslo sont bel et bien le produit de la première
Intifada, il est erroné de les considérer comme un compromis
israélo-palestinien. Il ne s’agit que d’une version réactualisée
d’un vieux plan de colonisation établi quelques décennies plus
tôt par un Général travailliste, Ygal Allon (16), plus préoccupé
par la gestion des « zones arabes » densément peuplées
que par le bien-être de la population palestinienne. « Loin
d’être le résultat d’un moment donné de la lutte de libération,
avec de possibles compromis provisoires, la mise en place de l’Autorité
palestinienne était entièrement tournée vers la défense des
positions de l’occupant israélien, et conférait à la
colonisation un statut légal en institutionnalisant une forme
d’autonomie très partielle et sous contrôle » (17).
La fin d’une fiction politique (18)
On pourra objecter
que les électeurs palestiniens n’ont pas été amenés à se
prononcer uniquement sur les Accords d’Oslo et que pour nombre
d’entre eux voter contre Abu Mazen ne signifiait pas nécessairement
voter contre Oslo. Mais les choses sont pourtant bien imbriquées.
Rappelons que l’Autorité
Palestinienne n’est rien d’autre que l’appareil d’Etat
sans Etat mis en place par les Accords d’Oslo, chargé, lorsque
les « négociations » arriveraient à leur terme, de
diriger l’Etat palestinien. Cette création diplomatique s’est
progressivement substituée à l’organisation historique du
mouvement national de libération, l’OLP, avec l’intégration
de la plupart des cadres de l’OLP à l’appareil de l’Autorité.
D’un mouvement de libération nationale, certes nationaliste
petit-bourgeois, corrompu et bureaucratisé, l’OLP, on est donc
passé à un proto-appareil d’Etat, dont la tâche, comme on
l’a vu plus haut, était de détruire les aspirations nationales
du peuple palestinien en échange de quelques faveurs économiques
et de micro-territoires à administrer.
En 2002, A. Saadat
résumait la situation de la manière suivante : « Il est clair que l’Autorité est un obstacle pour la résistance, dans
la mesure où ils représentent exclusivement les intérêts de la
bourgeoisie palestinienne, intérêts qui sont ceux des Israéliens,
pas ceux de la population palestinienne. Ils n’ont aucun intérêt
à ce que l’Intifada se poursuive, au contraire ce qu’ils
veulent c’est arrêter la résistance, en d’autres termes on
peut dire que leurs intérêts vont contre ceux de la population.
Vous voyez, même si nous parvenons à faire l’unité entre les
partis politiques palestiniens, il restera un obstacle qui a pour
nom l’Autorité Palestinienne » (19).
C’est donc aussi
une Institution et sa tâche historique qui ont été rejetées
par les Palestiniens en janvier dernier. En remplaçant les
« négociateurs historiques » par une nouvelle
direction qui affirme ne pas reconnaître les accords antérieurs,
qui refuse de négocier avec Israël sans un minimum de préalables
et qui appelle à la poursuite de la résistance, les électeurs
palestiniens ont fait un choix clair : dire stop aux
illusions d’Oslo, à la comédie qui se joue depuis 15 ans,
celle de la fiction des « négociateurs
israéliens » et des « négociateurs
palestiniens » s’asseyant à la « table des négociations » pour discuter de la « prochaine
étape » du « processus
de paix » (souvent « malmené »
par les « extrémistes
de tous bords »), processus qui doit aboutir « à
moyen terme » à la création d’un « Etat
palestinien souverain aux côtés d’Israël ».
Car derrière ce
rideau de fumée, ce qu’a pu voir la population palestinienne,
c’est l’extension des colonies, la multiplication des
checkpoints, les expropriations et les destructions de maison, la
construction du Mur, les assassinats, les arrestations, et
l’enrichissement d’une minorité composée des « négociateurs »
et de leurs amis entrepreneurs, les seuls bénéficiaires
palestiniens des Accords d’Oslo.
Contradictions inter-palestiniennes
C’est à la lumière
de ces éléments qu’il faut appréhender ce qui se passe en
Palestine depuis plusieurs mois, notamment les tensions
inter-palestiniennes, que certains qualifient de « guerre
civile larvée ». La situation issue des élections est
éminemment contradictoire: le Hamas a été mis à la tête
d’une institution avec comme mandat de jouer un rôle
incompatible avec ce pour quoi elle a été créée. Cohabitent
dans l’Autorité Palestinienne non des courants politiques qui
ont des stratégies divergentes quant à la lutte du peuple
palestinien, mais un camp qui veut utiliser (avec toutes les
contradictions que cela implique) l’Autorité comme un outil de
la lutte de libération et un camp qui veut la préserver comme
outil de protection de leurs avantages et privilèges.
Au sein de cette
institution, le Président jouit de pouvoirs considérables,
pouvoirs qui se sont accrus juste avant le changement de majorité,
avec de nouveaux textes votés par la majorité qui venait d’être
défaite aux élections (renforcement du contrôle d’Abu Mazen
sur les forces armées, sur la télévision, la radio…) (20). Il
contrôle notamment les (nombreuses) forces de sécurité, la
Police, et au sein de l’administration la plupart des hauts
fonctionnaires sont ses hommes. On mesure les tensions qui peuvent
régner à tous les niveaux : un Ministre Hamas est confronté
en permanence, au sein de son Ministère, aux hommes du Président,
et à l’autre bout de la chaîne les groupes armés du Hamas
sont confrontés en permanence à la Police.
L’affrontement
qui se joue en Palestine n’est pas, contrairement à ce que
certains laissent entendre, une banale lutte pour le pouvoir.
C’est la survie d’Abu Mazen et de ses hommes qui est en jeu.
Politiciens, hommes d’affaire et entrepreneurs sans base
sociale, ils sont prêts à tout pour garder leur place dans l’Appareil
d’Etat et pour s’assurer que l’Autorité ne va pas devenir
autre chose que ce pour quoi elle a été créée : canaliser
la colère populaire, être l’interlocuteur officiel des pays
impérialistes et assurer une place au chaud à ceux qui la
dirigent une fois que la question nationale palestinienne sera
liquidée. Prêts à tout, y compris au coup d’Etat.
L’hypothèse du coup d’Etat
« L’administration Bush va certainement prendre en considération trois
possibilités.
- [L’une d’entre elles] consisterait
à stimuler des tensions et des oppositions au Hamas afin de
provoquer des nouvelles élections dans un futur pas trop lointain
; cela en utilisant l’avantage du vaste pouvoir présidentiel
qu’Arafat s’était attribué et dont Mahmoud Abbas a hérité
(…).
- Une troisième option consisterait à mettre en place consiste en un
« scénario algérien ». Je
fais référence ici à l’interruption du processus électoral
en Algérie, telle qu’elle fut dictée par la Junte militaire en
1992. (…) L’appareil répressif de l’AP mènerait une attaque contre le Hamas,
imposerait un état de siège et établirait une dictature
militaire. Evidemment, une combinaison des deux dernières options
(ou scénarios) est aussi possible, en reportant dans le temps la
répression contre le Hamas, jusqu’à ce que les conditions
politiques existantes soient plus propices à la dernière option »
(21).
Ces lignes ont été
écrites juste après les élections. Aujourd’hui le développement
des événements fait pencher la balance dans le sens du « scénario
algérien », du putsch militaire combiné à une « stimulation
de tensions ». Depuis les élections, Abu Mazen et ses
hommes (au premier rang desquels Mohammed Dahlan, dont nous avons
déjà parlé (note 8) et qui jouera un rôle clé en cas de
putsch) font tout pour entretenir le chaos dans les territoires
occupés, notamment à Gaza. A plusieurs reprises, Abu Mazen a
accusé le Hamas d’être responsable du non-paiement des
salaires, tandis que Dahlan organisait des manifestations « spontanées »
de fonctionnaires devant les Ministères à Gaza.
Abu Mazen a même
constitué un cabinet fantôme (22), composé de sa garde rapprochée,
c’est à dire tous ceux qui ont été rejetés par la population
lors des dernières élections, prêt à jouer son rôle lorsque
leur heure sera (re-)venue. Dahlan, de son côté, multiplie les
contacts avec les services du renseignement égyptien. « Ha’aretz
a rapporté le 28 mai qu'Abbas avait demandé la permission à
Israel d'augmenter sa « garde présidentielle » de
2.000 hommes à 10.000, créant une milice personnelle directement
sous son contrôle, en supplément des autres forces de sécurité
de l'Autorité Palestinienne sous la direction du Fatah. Avec la
coopération du gouvernement israélien, la milice d'Abbas sera
armée par un pays tiers (Ha’aretz, 29 mai). Le
but d’Israel dans le transfert des armes, a déclaré un haut
responsable de la Défense à Ha’aretz, est « de
permettre à Abu Mazen de s’occuper » du
Hamas et d'autres groupes islamiques (le 26 mai) (23).
Quel intérêt
pour Israël, qui a boycotté l’Autorité pendant des années et
qui ne parle que de « décisions unilatérales » ?
Tout simplement parce que l’aboutissement du projet actuel du
gouvernement Olmert (des îlots palestiniens « autonomes »
dans un océan sous contrôle israélien) nécessite un écrasement
de la résistance, de l’esprit de résistance, et la remise en
selle d’interlocuteurs palestiniens chargés d’administrer les
futurs bantoustans. Etant donné le contexte international et régional,
Israël ne peut prendre seul la responsabilité d’écraser le
gouvernement Hamas et la résistance armée à l’intérieur des
territoires palestiniens. Dans l’esprit des accords d’Oslo,
ils comptent donc sur l’équipe d’Abu Mazen pour faire le sale
boulot à leur place et ils sont prêts, comme nous venons de le
voir, à leur apporter un soutien logistique à peine dissimulé. Olmert
a fait des déclarations qui vont explicitement en ce sens :
« Abu Mazen est
une personne très authentique et j'ai un immense respect pour
lui. (…) Il lui revient de désarmer les organisations terroristes et je ferai
tout ce qui est en mon pouvoir pour l'aider » (24). L’équipe
Abu Mazen est toute disposée à recevoir cette aide, leur survie
politique passe par la chute du gouvernement Hamas et ils ne sont
pas prêts à laisser filer entre leurs doigts la gestion des
futures « zones autonomes ».
Ultime
(?) manœuvre : le referendum
Ces dernières
semaines, les processus que nous venons de décrire se sont accélérés :
multiplication des « incidents » entre groupes armés
du Fatah et du Hamas, « révélations » mensongères
de prétendus projets d’attentats du Hamas contre Abu Mazen,
contre des dirigeants jordaniens (et bientôt, contre Bush ?),
« voyages » à répétition d’hommes d’Abu Mazen
en Egypte et aux Etats-Unis… C’est dans ce contexte qu’il
faut appréhender « l’affaire » du referendum, qui
pourrait bien être l’ultime manœuvre du clan Abu Mazen pour
provoquer l’explosion.
Le texte qu’Abu
Mazen veut soumettre à referendum est un document élaboré par
des prisonniers palestiniens de tous les courants politiques (Jihad
islamique excepté), rendu public dans le quotidien Al-Quds du 11
mai (25). Nous n’en détaillerons pas ici le contenu intégral,
car comme nous allons le voir, c’est bel et bien la méthode qui
est en question dans cette affaire. Les prisonniers le présentent
comme un « document
pour le dialogue national », rédigé et soumis à la
discussion « afin de
maintenir et préserver juin
l’unité nationale et l’unité [du peuple palestinien] dehors et à l’intérieur de la Palestine » (26). Il aborde
la plupart des questions qui touchent aux droits nationaux et à
la lutte des Palestiniens, du droit au retour des réfugiés à la
libération des prisonniers, de la reconnaissance implicite de
l’Etat d’Israël au droit à la résistance armée…
Mais ce document
n’a pas été présenté par ses signataires comme un programme
à prendre en bloc. Il s’agit d’un texte soumis à la
discussion afin d’éviter que les luttes inter-palestiniennes ne
l’emportent sur l’unité contre Israël. En soumettant le
texte en l’état a referendum, sans aucune discussion
inter-palestinienne, en lançant des ultimatums au Hamas et en décidant
de convoquer le referendum malgré l’opposition du gouvernement
et du parlement, Abu Mazen emprunte la direction opposée :
il décide d’approfondir la crise actuelle et d’accentuer la
confrontation avec le Hamas. « M. Abbas veut utiliser le document pour obtenir un mandat direct de la
rue palestinienne pour contourner le Conseil législatif, amorcer
de nouvelles négociations selon les conditions américano-israéliennes,
et le danger est là » (27).
Abu Mazen entend,
en faisant retourner les Palestiniens aux urnes, « annuler »
sa défaite aux législatives et invalider a posteriori la
victoire du Hamas en se posant comme celui, modéré, prêt à négocier,
qui fait consensus, contre le Hamas. On comprend pourquoi ces
derniers, après quelques hésitations, refusent le referendum. Le
Jihad islamique le rejette également. Dans une déclaration publiée
le 10 juin, le FPLP déclare qu’il est lui aussi opposé au
referendum car, selon les termes du communiqué, « seul
le dialogue national pourra servir la cause du peuple palestinien ».
Plusieurs des prisonniers signataires du document, y compris
certains des initiateurs, ont annoncé qu’ils retiraient leur
signature étant donné l’utilisation qui était faite du texte
par Abu Mazen. Le « document des prisonniers » n’est
aujourd’hui plus qu’un document du Fatah.
Pas de tergiversation
Les coïncidences
sont rares en politique. Au moment même où Abu Mazen annonçait
que le referendum se tiendrait avec ou sans le Hamas, Israël
bombardait une plage de Gaza, tuant une dizaine de civils. Dans la
foulée de cette opportune bavure, le Hamas annonçait qu’il
rompait la trêve observée depuis 18 mois. Dès le lendemain, le
Ministre de la Défense Amir Peretz (ancien candidat travailliste,
« modéré » d’après certains) déclarait que les
assassinats de membre du Hamas, y compris haut placés, allaient
reprendre.
Il est clair que
le gouvernement israélien, même s’il affirme que le referendum
est « insignifiant », va aider Abu Mazen en procédant
de la sorte : en provoquant aussi ouvertement le Hamas, il
veut l’obliger à sortir de l’image respectable qu’il se
forge depuis plusieurs mois et à organiser des opérations
violentes. En dernière instance, cela légitimera, au yeux de
l’opinion internationale, la politique d’Abu Mazen et de sa
clique, y compris s’ils vont jusqu’au putsch.
Les plus
optimistes veulent croire que l’affrontement généralisé est
évitable. Mais soyons pessimistes ou, pour le dire autrement, réalistes.
Rien n’est jamais écrit et l’histoire de la Palestine nous
apprend que l’on peut être chaque jour surpris par un événement
imprévu. L’hypothèse la plus vraisemblable est que, dans les
semaines ou les mois qui viennent, notamment autour de la date du
referendum, un point de non-retour va être franchi.
Hasan Abu Nimah
est l’ancien ambassadeur de la Jordanie à l’ONU. On peut
difficilement le soupçonner d’être un radical. Le 25 avril
dernier, il écrivait ce qui suit : « Toute
faction palestinienne qui n’est pas centrée d’abord et
essentiellement sur la défense de la terre et du peuple contre
l’agression israélienne et le colonialisme et préfère, à la
place, se battre pour obtenir quelques miettes à la table du maître,
travaille véritablement contre les intérêts palestiniens »
(28). La question qui est aujourd’hui posée à la gauche
radicale et au mouvement de solidarité est la même que celle qui
a été posée au moment des Accords d’Oslo : avec le
peuple et la résistance ou avec les collaborateurs parrainés par
le sionisme et l’impérialisme ?
Mais contrairement
à Oslo, il sera difficile cette fois-ci de se réfugier derrière
une position de « juste milieu », en étant critique mais
pas trop, pour ne froisser personne. Les années Oslo et les événements
de ces derniers mois ont largement démontré qu’une partie des
dirigeants palestiniens travaillent sciemment contre leur peuple.
Résister et collaborer ne sont pas des orientations différentes,
elles sont contradictoires. Une gauche radicale et un mouvement de
solidarité authentiques ne peuvent adopter une attitude de
spectateurs, une attitude de neutralité, car elle revient
toujours à faire le jeu du plus fort, en l’occurrence l’impérialisme,
Israël et les collaborateurs arabes et palestiniens.
Etre neutre face
à l’offensive de la direction sortante de l’Autorité, entre
autres via le referendum, c’est laisser le peuple palestinien
seul, soumis à toutes les pressions, au chantage à la faim, à
la menace d’une situation toujours pire. Le referendum est une
arme contre la résistance car ce qu'on voudra nous présenter
comme le « choix démocratique » en cas de victoire éventuelle
du « oui » ne sera que le résultat d'un vote pour
survivre d’une population isolée et donc contrainte de
satisfaire ceux qui détiennent la possibilité de recevoir et
distribuer l'argent bloqué.
Nous sommes dans
une période clé dans l’histoire de la lutte du peuple
palestinien. Il n’y a pas de tergiversation possible pour les
marxistes-révolutionnaires, surtout si nous voulons aider à la
construction d'une alternative qui disputera aux courants intégristes
islamiques le rôle de porte-parole principal de la résistance
populaire à l'offensive impérialiste, aux plans sionistes et aux
régimes réactionnaires arabes dans toute la région.
Dès
aujourd’hui, nous devons être fermes. Nous sommes aux côtés
du peuple palestinien qui lutte pour ses droits et qui a réaffirmé
en janvier dernier qu’il refusait la capitulation. Nous sommes
aux côtés de ceux qui refusent d’abandonner lesdits droits et
sont prêts à mener la bataille dans l’unité. Nous sommes et
serons à leurs côtés contre tous ceux qui veulent une fois pour
toutes écraser la résistance et l’esprit de résistance en
Palestine.
Julien Salingue, 11 juin 2006.
Notes.
(1) Article de février
1994, cité dans T. Reinhart, Détruire
la Palestine, éditions La Fabrique, 2002.
(2) Propos rapportés
par la radio publique israélienne.
(3) Dépêche AP
du 29 mai.
(4) Rapport
mensuel du Centre Palestinien d’Information (www.ipc.gov.ps/).
(5) Voir, entre
autres, le communiqué de la LCR du 11 avril 2006.
(6) The Guardian, 5 février
2006.
(7) Aux côtés des Palestiniens, sans réserves ni conditions, P-Y
Salingue, 13 avril 2006.
(8) Si l’on se
contente de ne parler que d’anciens ministres, on pourra
signaler que Mohammed Dahlan (ancien ministre des affaires
civiles) a des liens établis avec la CIA, que Jamil Tarifi (idem)
a fait sa fortune via une entreprise construisant les routes qui
relient les colonies israéliennes entre elles, ou encore que
l’entreprise d’Ahmed Qoreï (ancien Premier ministre) a
engrangé de nombreux bénéfices en vendant du ciment destiné à
construire des colonies et même le mur de séparation. Cela,
aucun Palestinien ne l’ignore.
(9) Pour
simplifier la lecture, on utilisera les termes génériques
« Accords d’Oslo » ou « Processus d’Oslo »
pour désigner un ensemble de négociations et d’accords qui ont
été signés dans des villes aussi diverses que Madrid,
Washington ou encore Paris…
(10) Palestine, les termes du combat vont changer, entretien de P-Y
Salingue avec S. Cattori, novembre 2005.
(11) Rencontre avec Ahmed Saadat dans la prison de Jéricho, propos
recueillis par J. Salingue, septembre 2002.
(12) Accords intérimaires
dits « de Gaza et Jericho ».
(13) Le Sionisme et la Paix, G. Achcar, sept. 1994. Il se réfère ici
aux Accords de Washington.
(14) Haaretz, 19 mai 1994.
(15) Haaretz, 12 mai 1994.
(16) Pour une
analyse plus développée, on se rapportera à l’article de G.
Achcar cité en (12).
(17) Palestine, les termes du combat vont changer, entretien de P-Y
Salingue avec S. Cattori, novembre 2005.
(18) Titres
emprunté à Adam Anieh, The
end of a political fiction ?, février 2006,
www.electronicintifada.net
(19) Rencontre avec Ahmed Saadat dans la prison de Jéricho, propos
recueillis par J. Salingue, septembre 2002.
(20) Ce qui permet
de mieux comprendre l’envahissement par des militants du Hamas,
le 5 juin dernier, des locaux de la télévision à Khan Younes,
accusée d’être « partiale ».
(21) Premières réflexions sur la victoire électorale du Hamas, G.
Achcar, Inprecor n°513-514 (janvier-février 2006).
(22) Plusieurs
articles (en arabe) du quotidien Al-Hayat en ont fait mention,
ainsi que des articles (en hébreu) du quotidien israélien
Yedioth Ahronoth, notamment dans son édition du lundi 24 avril :
des sources du Fatah révélaient l’existence de 3 « comités »
secrets, formant un « cabinet fantôme » : un
comité chargé des questions sécuritaires, dirigé par Mohammed
Dahlan, un comité chargé des questions financières, dirigé par
Mohammed Eshteyya (ancien ministre des finances d’Abu Mazen) et
un comité chargé des questions politiques, dirigé par Saeb
Erekat (chef des négociateurs de l’OLP). Voir aussi (en
anglais) www.palestine-info.co.uk/am/publish/article_17926.shtml.
(23) Coups bas dangereux en Palestine, Ali Abunimah, juin 2006, www.ism-france.org.
(24) Dépêche
AFP, 11 juin 2006.
(25) Document
consultable (en français) sur http://www.france-palestine.org/article3886.html.
(26) Citations
extraites de l’introduction au document des prisonniers.
(27) Abdel Bari
Atwan, responsable de l’hebdomadaire Al-Quds
Al-Arabi, cité par le Centre d’Information sur la Résistance
en Palestine.
(28) Abbas’ dangerous game,
25 avril 2006, www.electronicintifada.net.
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