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Palestine - Solidarité

 

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Ilan Pappe : 
Il faut sanctionner Israël, désinvestir d’Israël et savoir aller de l’avant

 


Conférence prononcée à San Franciso, le 28.10.2005

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Durant la dernière semaine du mois d'octobre, le professeur israélien Ilan Pappe était en Californie. Il a prononcé plusieurs conférences sur la nécessité de désinvestir d'Israël et d'imposer des sanctions à ce pays, préalable indispensable à une solution équitable du conflit israélo-palestinien. Le vendredi 28, il a fait une conférence à San Francisco, à l'Eglise presbytérienne du Calvaire. Vous pouvez entendre cette conférence, d'une durée de trente-cinq minutes, suivie de ses commentaires, en réponse à des questions qu'on lui a posées, d'une durée d'environ dix minutes, en vous connectant au lien suivant :

http://www.radio4all.net/proginfo.php?id=14961

http://www.radio4all.net/pub/files/jblankfort@earthlink.net/1752-1-20051107-

102805pappepres.mp3

Ci-après, la transcription de cette conférence :

 

C'est pour moi un très grand plaisir d'être ici parmi vous. Et c'est un plaisir particulier d'être l'invité d'une association qui, par ses activités, soutient des gens comme moi, qui avons de plus en plus de difficulté, dans nos pays respectifs, à continuer à exprimer nos opinions dissidentes, éloignées de la vision généralement admise des choses. Et je ne parle ici pas seulement de moi-même, mais aussi des mes collègues qui, en Israël, pensent comme moi et tentent d'exprimer une opinion alternative : un tel soutien, venu de l'étranger, nous donne de l'énergie et nous encourage.

Et il est de fait que, sans un tel soutien, il serait pratiquement impossible, pour nous, de continuer à livrer un tel combat.

Ce que j'aimerais faire, cette après-midi - je laisserai assez de temps pour vos questions et vos observations, car je ne sais pas quel est votre niveau de connaissance de la question, ni à quel point vous êtes engagés dans un militantisme en lien avec la question Israël / Palestine. - mais je vais tout au moins essayer de vous présenter ce qui, pour moi, est le message le plus important et le plus urgent. Bien sûr ; ne vous gênez pas pour demander plus d'explications si nécessaire, sur telle ou telle période, ou sur tel ou tel aspect qui vous intéresserait ou qui serait particulièrement important pour vous.

Cela fait environ trente ans, maintenant, que je milite pour la paix et les droits de l'homme en Israël et en Palestine, et je dois dire que je ne me souviens pas d'avoir traversé une période aussi déprimante que la période actuelle. Je pense que ce sentiment d'abattement, de dépression, ce sentiment de désespoir, découle du gouffre qui semble quasiment infranchissable entre la manière dont la situation est décrite par les médias de mon propre pays et les médias en-dehors d'Israël, d'une part, et la réalité sur le terrain, d'autre part.

Parce que, tant que les gens continueront à parler d'occupation et d'oppression, même s'ils les justifient d'une manière ou d'une autre, vous pouvez toujours vous mettre en avant, et vous aurez toujours l'air dans le coup, si vous dites : « Je suis contre l'occupation et je suis contre l'oppression ! ». Et je pense que ça, c'était certes bien la situation en Israël et en Palestine. Mais jusqu'en l'an 2000, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Non que le mouvement anti-occupation, en Israël, ni que le mouvement de résistance des Palestiniens, eussent été en train de marquer des points significatifs, ni d'obtenir des résultats tangibles dans leur lutte pour libérer les régions occupées par Israël en 1967. Mais le sentiment général était le suivant : ces gens, au moins eux, à l'intérieur et à l'extérieur d'Israël, étaient d'accord sur le fait que des parties de la Palestine - en l'occurrence la Cisjordanie et la bande de Gaza - étaient sous occupation. Mais je pense que depuis cinq ou six mois, il est très difficile de convaincre les gens, en Israël, et pratiquement dans le monde entier, que l'occupation [israélienne] continue toujours. Ceci est dû à une évolution très intéressante, à l'intérieur du système politique israélien.

Nous avions pris l'habitude d'assister à un débat très vif, au sein du système politique israélien, entre un camp, que nous avions coutume d'appeler « le camp de la paix », qui pensait qu'Israël devait se retirer des territoires occupés en 1967 et permettre aux Palestiniens d'y créer un Etat palestinien indépendant. Et, en face, vous aviez ce que nous appelons, en Israël, le « camp national » (parfois : « nationaliste »), qui voyait dans les territoires occupés par Israël en 1967 une partie intégrante de la terre d'Israël et, donc, un territoire « racheté » (« libéré ») qui ne saurait être négocié, à aucun prix. Et tant que ce débat se poursuivait, le sentiment qui prévalait, en Israël et en-dehors d'Israël, c'était qu'il y avait une chance réelle de paix. En effet, si vous avez un groupe important d'Israéliens qui sont désireux de partager la terre de Palestine avec les Palestiniens, de donner aux Palestiniens une partie de la terre, de leur permettre de créer un Etat sur une partie de ces terres, cela semble représenter une formule acceptable, permettant une paix.

Il faut bien dire que c'était là  une fausse supposition, de toute manière ; mais j'y reviendrai plus tard. Mais au moins, il y avait un sentiment qu'existait un espoir, que vous aviez une opinion publique, en Israël, susceptible de pousser dans le sens d'un processus de paix tangible. Et, en face, il y avait le camp qui s'efforçait d'annexer les territoires qu'Israël avait occupés en 1967, en ne laissant, par conséquent, aucune place à des négociations de paix. Sur la base de cette dichotomie, en 1993, le leadership israélien, sous la houlette de feu le Premier ministre Itzhak Rabin, et le leadership palestinien, sous celle de feu le président Arafat, qui n'était alors que le chef [de l'OLP], parvinrent à un accord. Cet accord - l'accord d'Oslo - fut signé, comme vous le savez, sur la pelouse de la Maison Blanche, le 13 septembre 1993. La formule de la paix, en septembre 1993, était que véritablement les Israéliens étaient désireux de se retirer, en principe, des territoires occupés par Israël en 1967 (la Cisjordanie et la bande de Gaza), de permettre à un Etat palestinien d'y être créé, en échange de l'acceptation, par les Palestiniens, de reconnaître l'Etat juif et de renoncer à toute revendication ultérieure sur Israël.

Bien sûr, cela n'a jamais été accepté par les Palestiniens, mais en raison des circonstances et de l'équilibre des pouvoirs [dans le monde, ndt], la direction palestinienne décida (je pense avec le recul de l'histoire que ce fut en l'occurrence une décision hasardeuse, mais de l'eau a coulé sous les ponts, et il est trop tard désormais pour revenir sur ce passé).bref ; les Palestiniens, disais-je, ont décidé d'accepter les Accords d'Oslo, bien que leur interprétation de la paix n'ait en aucun cas été prise en compte par ces fameux Accords d'Oslo.

Finalement, l'Accord d'Oslo disait que l'interprétation israélienne de la paix, à savoir que si Israël se retirait des territoires qu'il avait occupés en 1967, le conflit prenait fin, [était la bonne]. C'est la fameuse équation qui a été remise au goût du jour, lors du sommet de 2000, le sommet de Camp David II, à l'invitation du président Clinton, où Arafat se vit demander de signer un document qui assimilait la fin de l'occupation desdits territoires par Israël à la fin du conflit. Seulement voilà : en ce moment de vérité, à la différence de l'instant de vérité d'Oslo, où il était clair qu'il n'y y aurait plus de négociations au sujet du conflit, Arafat a dit ce que tout le monde savait qu'il dirait, c'est-à-dire : « pas question ! » Si j'étais un dirigeant palestinien, je ne pourrais pas dire que ma seule revendication consisterait à ce qu'Israël se retire des territoires occupés, je serais un représentant d'un peuple qui a été dépossédé de son foyer national, en 1948 ; je dirais que nous avons perdu 80 % de notre territoire, en 1948, que la moitié de la population palestinienne indigène a été transformée en réfugiés par une opération d'épuration ethnique israélienne.

Et, partant, je voudrais continuer à négocier ce qui représenterait pour moi, en tant que leader palestinien, la question la plus cruciale - c'est-à-dire : certainement pas le sort des territoires qu'Israël a occupés en 1967, qui ne représentent que 20 % de la Palestine - bien sûr, je voudrais voir l'occupation de ces territoires prendre fin, et je voudrais assister à l'émergence d'un Etat palestinien indépendant sur ces territoires. Mais la fin du conflit ne pourrait intervenir que lorsque nous aurions trouvé une solution équitable, juste, au problème des réfugiés. En effet, après tout, l'histoire n'a pas jamais assisté, non pas en termes de nombre en valeur absolue, mais en termes de nombre relatif, à l'expulsion de la moitié de la population d'un pays. La moitié de la population d'un pays. De surcroît dans la période qui succède immédiatement à la Seconde guerre mondiale, avec la destruction de la moitié des villages de ce pays, avec la destruction de la plupart de ses villes, pour ainsi dire, de toutes.

De manière caractéristique, il s'agit d'un événement qui n'a fait l'objet d'aucun reportage dans un quelconque journal américain, ni au moment où il s'est produit, ni par la suite. C'est sidérant. Aucune allusion, non plus, dans les manuels d'histoire américains. Mais je m'éloigne de notre sujet.

Revenons à la situation en 2000. Ainsi, les Israéliens (s'agissait-il de l'opinion publique israélienne, ou des décideurs politiques israéliens, ou encore des deux ?), étaient confrontés au dilemme suivant : des années durant, ils avaient eu entre eux un débat interne très animé, un authentique débat, en Israël, autour de la question de savoir si Israël devait renoncer au contrôle sur les territoires qu'il avait occupés en 1967, ou non ? Les Israéliens pensaient, et je crois qu'ils le pensaient sincèrement, qu'ils avaient pris une décision très courageuse - qu'ils devaient renoncer à ces territoires. Et quand le moment de vérité fut venu, quand ils ont proposé, en 2000, de se retirer de la plus grande partie de ces territoires occupés - en effet, ils n'ont jamais proposé de se retirer de leur totalité. - la direction palestinienne, c'est-à-dire pas seulement Arafat, c'était aussi le discours de tous les dirigeants, quel qu'ait été leur rang dans le camp palestinien, leur a dit : « C'est magnifique ! Nous sommes très satisfaits de votre idée de retirer votre armée des territoires occupés. Mais nous ne pouvons pas signer un document qui affirme que c'est là la fin du conflit et que nous, peuple palestinien, nous n'aurions plus aucune aspiration ni aucune revendication à satisfaire, étant donné que vous nous demandez, en cet été 2000, de dire que nous avons renoncé à notre droit au retour, que nous avons renoncé à notre droit à lutter pour une reconnaissance internationale de l'épuration ethnique de 1948, et donc pour celle de votre responsabilité dans ce crime horrifiant que vous avez perpétré en 1948. » Bien. Les Palestiniens ont commencé, à l'automne 2000, à participer à une campagne comportant de multiples manifestations et cela, parce que, sous les auspices du président américain d'alors, Bill Clinton, Arafat avait été déclaré archi-terroriste, parce qu'il n'avait pas accepté le dictat américain, et les Palestiniens, dans l'ensemble, étaient présentés comme un peuple inflexible et cette allégation était même projetée sur le passé, sur leur histoire, sur leur histoire dans le conflit, l'allégation, le narratif consistant à dire qu'il n'y avait rien de nouveau sous le soleil et qu'ils avaient toujours rejeté les offres de paix « raisonnables et généreuses » qui leur avaient été faites. Ce qui, bien entendu, est entièrement faux. Mais peu importe : c'est ainsi que les choses étaient présentées. Il ne se serait donc pas agi simplement d'un refus accidentel d'accepter la meilleure solution encore jamais proposée au conflit : il se serait agi d'une histoire complète, faite de comportement palestinien butté. Il y a des rapprochements intéressants à faire entre l'été 2000 et l'automne 1947. Dans les deux cas, la communauté internationale - en 1947, il s'agissait des Nations unies et, en 2000, des Etats-Unis - ont offert une solution qui avait été taillée sur mesure pour les Israéliens, ou plus exactement, s'agissant de 1947, sur la position des sionistes, et l'on sait que cette proposition avait elle aussi été totalement rejetée par les Palestiniens.

Et pourtant, à l'époque, la communauté internationale avait dit que cela n'avait pas d'importance, qu'on allait imposer par la force une solution qui n'était pas acceptée. En 1947, il s'agissait d'imposer une solution à une population qui représentait la majorité de la population du pays, c'est-à-dire plus des deux tiers des habitants, et pourtant personne n'a considéré que sa position [bien que majoritaire] fût légitime. Et pourtant, au surcroît, la population indigène était encore là, alors que le groupe de population auquel on offrait une paix à sa propre convenance était composé de nouveaux venus. La plupart d'entre eux n'étaient arrivés en Palestine que quatre ou cinq ans auparavant, pour la première fois de leur vie, pour la plupart. Telle était la situation en 1947, mais il s'agissait de résolutions (imparables). Pas étonnant que les Palestiniens les aient rejetées. Bien sûr, paradoxalement, l'existence aurait été beaucoup plus difficile pour les Israéliens, si les Palestiniens avaient accepté lesdites résolutions. Mais nous ne saurions sous-estimer les bonnes raisons qu'ils avaient de les rejeter, ces idées-là, en 1947. Et le résultat de cette décision de partager la Palestine par la force, contraire aux vœux de la majorité de la population indigène, ce fut l'épuration ethnique de la Palestine. Ainsi, ce ne sont pas seulement les Israéliens, qui sont responsables du nettoyage ethnique de la Palestine ; ce sont aussi les Nations Unies, tout aussi bien, qui endossent la responsabilité de ce crime. De bien des manières, je pense quant à moi que c'est là une comparaison quelque peu désolante, quand on fait retour sur le jugement de Salomon, on se dit que les Palestiniens, étant les habitants locaux et authentiquement natifs de la Palestine, il était normal qu'ils n'aient pu supporter, comme une mère, l'idée que leur bébé soit coupé en deux. Et je pense que c'est là quelque chose de très prégnant dans le concept palestinien de la Palestine en tant que pays un, parce que les Palestiniens vivent partout en Palestine, dans toutes les régions de Palestine et, cela, depuis des siècles. Et seul un peuple venu du dehors peut avoir cette idée de diviser, comme ça, hop ! le pays et de le transformer en deux entités distinctes.

Eh bien, en été 2000, donc, de la même manière - bien sûr, cette fois il ne s'agissait plus des Nations unies, mais des Etats-Unis - on a décidé d'ignorer le point de vue des Palestiniens, et d'accepter l'opinion selon laquelle tout refus palestinien d'admettre une idée, encore une fois, de partage de la Palestine, mais cette fois, un partage même encore moins raisonnable que celui de 1947, époque, où, au moins, on offrit aux Palestiniens 45 % du territoire. En 2000, on leur en offrit moins de20 %. On leur a dit : vous savez, dans ce cas, les Israéliens sont fondés à décider, unilatéralement, de laquelle des parties de la Palestine doit être Israël et laquelle doit échoir à la Palestine. Ou, autrement dit : quelle partie de la Palestine serait soumise au contrôle et à la souveraineté absolue d'Israël, et sur quelle partie de la Palestine les Israéliens autoriseraient les Palestiniens à exercer une relative autonomie. Et dès le moment où cette décision américaine a été prise, durant l'été 2000, il n'y a plus eu, en la matière, aucune différence de quelque sorte que ce soit entre la perspective de Clinton sur le conflit, et celle de Bush.

C'est un des messages les plus déprimants que nous ayons reçus, nous, les militants pacifistes en Israël : quel que soit le président des Etats-Unis, cela n'a pratiquement plus aucune importance ! C'est pourtant un message qu'en tant qu'historiens, nous avions appris à connaître et, ce, depuis 1945 : depuis 1945, peu importe que le président des Etats-Unis ait été républicain ou démocrate : la politique américaine a toujours été la même ! C'est toujours le même « courtage malhonnête » que perpétuent les Américains. Et ceci signifie qu'il n'y a pas grand-chose à espérer, en ce qui concerne notre sort, en Palestine et en Israël, d'une opposition de façade entre les Républicains et les Démocrates. Quoi qu'il en soit, une fois ce feu vert américain donné aux Israéliens d'imposer unilatéralement la solution de leur choix, et de renoncer à l'idée d'une solution négociée - c'est bien ça, qui s'est passé, en été 2000 -, ceci a aidé la société israélienne à surmonter le grave débat interne qui la hantait depuis 1967. Il s'agit du débat entre ceux qu'on peut appeler les « sauveteurs » de la terre - ceux qui croient que l'ancienne terre d'Israël, ou plus précisément le cour de l'ancienne terre d'Israël, était situé en Cisjordanie et qu'en conséquence, en 1967, les juifs ont « racheté » leur ancienne terre - et ceux qu'on peut appeler les « gardiens », ceux qui pensent que les territoires occupés par Israël en 1967 sont en quelque sorte hypothéqués jusqu'au moment où ils pourront être échangés contre un traité de paix en bonne et due forme avec les Palestiniens.

Eh bien, ce grave débat interne fut sublimé, en 2000. Il n'y avait plus matière à débat, ni à controverse. D'après la seule superpuissance, la seule superpuissance à continuer à rouler les mécaniques dans la ville du Far West qu'est devenu le monde, il appartient aux Israéliens de décider, entre eux, quelles parties des territoires qu'ils ont occupés en 1967 sont susceptibles d'être transformés en entité palestinienne. Alors que, bien entendu, toutes les autres questions qui intéressaient les Palestiniens, dont la plus importante de toute était évidemment celle des réfugiés et de leur droit au retour, n'étaient absolument pas mises sur la table. Le résultat, ce fut la réincarnation de quelqu'un qui était un nouveau venu total dans la vie politique israélienne - mais, en 2000, le fait qu'il ait été un novice total n'avait plus guère d'importance - je veux parler évidemment d'Ariel Sharon.

Si vous aviez dit à qui que ce soit, en 1982 ou en 1983, que Saron incarnerait un jour le consensus israélien, personne ne vous aurait cru. Ils vous auraient dit : « mais non, Sharon c'est LE représentant par excellence de l'extrême droite israélienne, du camp extrême des « sauveteurs » de la « terre d'Israël » ! ! ! »  « Sharon est encore plus extrémiste que ne le sont les colons eux-mêmes », voilà ce que vous auraient répondu les Israéliens, en 1982 - 1983. Mais dès l'instant où les Américains ont dit aux Israéliens qu'ils étaient autorisés à décider par eux-mêmes, entre eux, qu'ils n'avaient pas à négocier, qu'ils devaient décider entre eux, en fonction de leurs propres considérations, ce qu'ils espéraient qu'il arriverait en Palestine, il n'y avait plus aucun besoin d'un débat interne en Israël. Seul, un groupe, plus fanatique que les autres - le groupe des colons - savait que ce consensus israélien se formerait à leurs dépens. En effet, le consensus, dans la pensée politique israélienne, accepté tant par les « sauveteurs » que par les « gardiens » de la terre, comme je les ai qualifiés plus haut, consistait à dire qu'Israël n'avait aucun intérêt à contrôler directement chaque mètre carré de la Palestine. De fait, Israël n'avait pas à contrôler des zones où les juifs n'avaient jamais réussi, à aucun moment depuis 1967, à installer des colonies juives. Or il n'y avait pas DES zones de ce type, mais il n'en existait en réalité qu'UNE, recouvrant la plus grande partie de la bande de Gaza, ou encore, à la rigueur, quelques toutes petites enclaves, en Cisjordanie, comme celles dont on parle en ce moment. Mais la quasi totalité de la Cisjordanie est persillée de colonies israéliennes et, par conséquent, le consensus israélien consistait à dire que seule, une toute petite partie de la Cisjordanie était susceptible d'être restituée aux Palestiniens, tandis que la bande de Gaza pouvait être débarrassée de ses colonies. Mais non pas du contrôle israélien : [c'est là un point très important, qu'il convient de noter. Ndt] Sharon a introduit encore autre chose dans le discours politique israélien, quelque chose de très important, et qui représente encore une cause supplémentaire de cette sorte de désespoir que j'ai déjà évoqué. Sharon avait appris qu'il y avait un certain petit jeu que vous pouvez jouer, vis-à-vis des Etats-Unis, si vous voulez vraiment tirer le maximum du marché que les Américains peuvent être amenés, contraints, à conclure. A cet égard, Bill Clinton doit être condamné, car il a donné à Israël un cadeau avant de quitter la présidence des Etats-Unis pour faire autre chose (pour faire quoi ? on s'en fout.). Les Américains attendent du gouvernement israélien qu'il emploie un langage qui dissimule la réalité du terrain. Or, en Israël, on ne joue pas à ce sale petit jeu. Personne, en Israël, ne ressent la nécessité de dire : « nous sommes engagés dans un processus de paix », ni « nous avons véritablement mis fin à l'occupation. » Non. De fait, la majorité des Israéliens penseront que Sharon aura marqué un point lorsqu'il aura convaincu les Américains qu'Israël doit décider par lui-même de la manière dont il doit traiter les Palestiniens. De fait, l'année 2005, aux yeux de la majorité des Israéliens, fut l'une des meilleure années de leur vie, en raison de cet état de fait.

Vis-à-vis du monde, en général, il est indispensable de dissimuler la réalité du terrain au moyen d'un discours de paix (purement des paroles verbales). Ainsi, il vous faut dire que vous êtes en train de vous retirer de Gaza, tandis qu'en réalité vous ne vous retirez pas de Gaza ; que vous êtes engagé dans des négociations, bien qu'en réalité vous ne soyez engagé dans rien de tel - les Israéliens n'ont plus rencontré de responsables Palestiniens pour une négociation digne de ce nom, depuis 1999 ! Ainsi, il n 'y a pas de négociations, mais vous prétendez qu'il y en a, et vous parlez d 'un Etat palestinien, alors qu'en réalité vous désignez deux enclaves encerclées par une muraille infranchissable et des barrages électrifiés, qui évoquent plus des camps de prisonniers qu'un quelconque futur Etat. Après quoi, vous prenez cette assiette anglaise, et vous la présentez comme une « offre de paix ». Et pourquoi vous fatigueriez-vous, puisqu'on ne vous demande rien d'autre ? Vous n'êtes pas supposé vous retirer pour de vrai, vous n'êtes pas supposé vous engager sérieusement dans des négociations de paix et vous n'êtes surtout pas supposé permettre aux Palestiniens de disposer de quoi que ce soit qui ressemblerait, fût-ce même de très loin, à un Etat souverain !

Il est très intéressant de lire un rapport secret qui a été transmis par des fuites au quotidien Ha'Aretz, voici seulement quelques jours. Ce rapport a été envoyé, semble-t-il, par un responsable américain un peu plus honnête que ses collègues engagés dans la politique moyen-orientale. Il s'agit de Wolfensohn, le représentant états-unien au sein du Quartette, ancien président de la Banque mondiale, qui a écrit un courrier courroucé au président Bush, qui a été transmis par des fuites aux journaux israéliens - je ne sais pas si cela a été publié, ici, aux Etats-Unis - dans lequel il lui dit avoir constaté que les Israéliens ne se sont pas, en réalité, retirés de Gaza, disant en substance : « Je ne veux pas simplement dire », écrit-il dans sa lettre au président américain, « que les Israéliens n'ont pas renoncé à contrôler la bande de Gaza, je veux dire que, mentalement, ils n'ont pas franchi le pas. » Ma prédiction, c'est qu'il ne restera pas longtemps le représentant américain au sein du Quartette, avec des vues aussi iconoclastes. Mais telle est bien la situation. Et elle n'est pas près de s'arranger si nous laissons la haute politique animer la revue de music-hall à notre place. Si nous laissons faire l'actuelle administration américaine, mais aussi la prochaine, à mon avis - quel qu'en soit le chef - et même si nous laissons faire le Quartette, à savoir : l'ONU, la Russie, et l'Europe, en tant que partenaire des Etats-Unis dans l'effort d'amener la paix entre Israël et la Palestine : c'est toujours la même situation qui se perpétuera, sur le terrain.

D'un côté, nous aurons la continuation de l'occupation, avec toutes ses horreurs. Je n'ai pas jugé nécessaire, devant un groupe éclairé comme vous l'êtes, de rappeler les descriptions graphiques de ce qui se passe sur le terrain ; je suis sûr en effet que vous êtes bien au courant. Mais, bien entendu, la meilleure chose à faire, c'est d'aller en Palestine et de voir de ses propres yeux ce qui s'y passe. Comme l'a écrit la courageuse et regrettée Rachel Corie, dans une lettre adressée à ses parents, aux Etats-Unis : « Rien ne m'avait préparée à la situation que j'ai découverte ici. » Et c'est dès le premier jour, après sa première visite en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qu'elle écrivait cela à ses parents. Pas un an après ! Dès son premier jour là-bas, elle a totalement changé d'opinion, de positions et de perceptions sur Israël et la Palestine. Si vous allez là-bas : impossible de vous tromper ! Le mal israélien est infligé aux Palestiniens quotidiennement, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et à chaque vois que vous irez là-bas, vous le constaterez. Ce n'est pas comme si vous deviez venir en un moment bien déterminé, que vous pourriez éventuellement rater.

De plus, cela ne fait qu'empirer. Chaque année, c'est pire. Les Israéliens ne cessent d'inventer de nouvelles méthodes d'intimidation et de terreur à l'encontre de la population locale. Pourquoi ? Mais parce que ce mal n'est pas le mal à l'état pur. Non : il s'insère dans un schéma général visant à déposséder les Palestiniens de la plupart des régions qu'Israël convoite.

Que peut-on faire, la situation étant celle que j'ai décrite ? C'est là une question primordiale. Et je pense qu'il y a deux conclusions majeures, qu'un militant peut tirer de cette situation extrêmement déprimante :

1) La première de ces deux conclusions, c'est que l'occupation est bien un crime contre l'humanité, qui se poursuit depuis trente ans, que dis-je, plus de trente ans : près de quarante ans, aujourd'hui. Et que chaque jour qui passe signifie que des millions de Palestiniens vont être soumis à des moyens d'intimidation encore pire que la veille. Bien entendu, la Palestine n'est pas le seul endroit au monde où se produisent des événements terribles, mais c'est bien le seul endroit où, je pense, le bourreau soit absout de toute critique et à l'abri de toute pression - ce qui n'est pas le cas des autres lieux de conflit, dans le monde.

Ceci signifie qu'après 28 ans, nous sommes fondés à dire que toutes les stratégies employées afin de mettre un terme à l'occupation ; à savoir la lutte armée des Palestiniens - dont je n'ai jamais été un grand partisan, mais qui était un moyen légitime dans l'histoire des mouvements de libération - ont échoué, totalement, et n'ont aucune chance de réussir, en tous les cas pas dans sa dernière phase, qui comporte des attentats kamikazes et d'autres moyens qui doivent être condamnés, tant moralement que politiquement.

Et les efforts de négociation, par ailleurs, les efforts diplomatiques, n'apporteront pas la fin des souffrances des Palestiniens sur le terrain. C'est très clair. Un énième plan de paix ne mettra pas fin à l'occupation. La question est donc : QUE  POUVONS-NOUS  FAIRE ?, si telle est bien, comme je le pense, la situation. Et je pense que le seul moyen non-violent qui nous soit offert, ce sont les pressions extérieures sur Israël. Si les gouvernements ne veulent pas s'en charger, c'est aux sociétés civiles de le faire. Et c'est là la différence, qui existe parfois, entre des sanctions et un boycott. Les sanctions, c'est quelque chose dont vous attendez de vos gouvernements qu'ils finissent par se résoudre à l'imposer à des pays qui doivent apprendre à se conduire comme il faut. Un boycott, c'est quelque chose que la société elle-même peut mettre en ouvre avant que le gouvernement ne le fasse. Et c'est la seule méthode susceptible de marcher, je pense. Il faut lancer des campagnes du type des campagnes de désinvestissement en cours aux Etats-Unis. La force potentielle d'une telle option n'est pas encore vraiment palpable, parce que ces actions viennent tout juste de démarrer, mais la simple information qu'elles l'ont fait a envoyé aux Israéliens un message très important. Je pense que cela envoie véritablement le message qu'une étiquette portant l'indication du prix à payer est attachée à la politique d'occupation continuée. C'est en l'occurrence la seule voie dégagée, pour le militantisme, en ce qui concerne la Palestine et Israël aujourd'hui : il faut que les Israéliens, ou plus exactement l'Etat israélien devienne un Etat paria et le reste tant que sa politique d'occupation se poursuivra.

Malheureusement, et je dis ceci en tant qu'Israélien, il n'y a aucune autre manière de réussir à faire quoi que ce soit. Aussi, c'est bien cette ligne d'action qui a d'ores et déjà été adoptée en Europe par divers syndicats, groupements et associations. Je pense que cela va prendre de l'élan et de l'ampleur, au fil des mois à venir. Cela ne sera pas facile. Les Israéliens ne vont pas manquer de tirer leurs missiles préférés contre cette activité de boycottage ; à savoir l'accusation d'antisémitisme, dont le maniement n'est pas aisé, mais qu'ils sont habiles à utiliser. C'est là quelque chose que nous devons tous, nous tous, les juifs et les non-juifs, savoir, et c'est là ce à quoi nous devons tous nous confronter. Nous savons qu'il ne s'agit en rien d'antisémitisme, nous savons bien que la manière dont Israël se comporte est on ne peut plus « anti-juive » et, de fait, on souhaiterait que les communautés juives, de par le monde, disent : « En tant que juifs, nous avons honte de ce qu'Israël fait subir aux Palestiniens », non pas simplement en tant qu'être humains, mais aussi en tant que juifs ; en ce sens, Israël n'est en rien un Etat « juif ».

2) La deuxième conclusion, avec laquelle je conclurai, a plus trait à la prospective sur le long terme. Si nous ne nous engagions que dans des activités négatives, comme le désinvestissement, les pressions etc., nous ne convaincrions pas les gens que nous avons quelque chose de positif à leur proposer. Oui, bien sûr, je sais, c'est pourtant ce que nous faisons : nous proposons bien notre solidarité et notre soutien aux Palestiniens opprimés des territoires occupés, le boycott et le désinvestissement, mais nous n'offrons rien qui aille au-delà du contrôle militaire. Or le contrôle militaire, les Israéliens ne l'exercent que sur certaines parties de la Palestine. Et, à vrai dire, sur une partie fort réduite de la Palestine.

Et je pense que l'autre message, pour en revenir à ce que j'ai appelé la version désolante du jugement de Salomon, c'est le fait que dans ce cas historique particulier - peu importe, si cela marcherait, ou non, ailleurs - dans ce lieu particulier, étant donné la petitesse du pays, étant donné le fait que vous avez d'un côté une population indigène originelle, soumise depuis plus d'un siècle à une politique de dépossession, et de l'autre un groupe de nouveaux venus, d'immigrants, qui sont aujourd'hui en nombre équivalent à celui de la population indigène, et qu'ensemble, ils souffrent d'une longue histoire de persécution et d'exclusion - sans oublier ce qui s'est passé, durant l'Holocauste, où il y eut une sérieuse tentative d'éliminer les seconds par génocide, ce qui a partiellement réussi. Etant donné toutes ces dimensions historiques, tant de la population indigène de Palestine que de la communauté juive en Palestine, il semble que l'idée de diviser ce pays entre deux pays ne fonctionne pas. Nous étions fondés, nous tous, je pense, nous étions fondés à spéculer sur l'idée d'une partition, au début, dans les premières années de ce siècle de conflit, et même au milieu, je pense qu'il était encore normal de penser qu'on pourrait avoir deux communautés distinctes, que ces deux communautés ne pourraient vivre ensemble, et on pouvait encore utiliser des maximes américaines du style :

« Ce sont les hautes haies qui font les bons voisins », etc.

Mais je pense qu'aujourd'hui, les choses ont changé. Aujourd'hui : nous savons. Et nous savons aussi que toute politique de ségrégation ou de séparation, bien loin d'encourager une quelconque orientation pacifique, ne fait qu'encourager le racisme et le fanatisme, des deux côtés.

Je pense qu'il est temps, pour les gens extérieurs au conflit, et assurément pour les gens impliqués dans le conflit - et je déconnecte ceci de la question des pressions extérieures, car cela ne peut venir seulement de pressions externes, mais bien plutôt être encouragé par une assistance extérieure - formulent de nouvelles idées, quoi que puissent dire leurs politiciens, sur la manière de partager la terre plutôt que de la diviser.

J'appartiens personnellement à un groupe d'Israéliens et de Palestiniens qui va s'élargissant. Nous nous réunissons régulièrement, et nous promouvons ces idées-là.

Nous sommes convaincus, par notre propre expérience, et en particulier en raison de la manière dont nous conduisons notre vie actuelle, que ce n'est pas là une option que nous choisirions parce que, en tant que politiciens, nous aurions renoncé à toutes les autres options : nous avons choisi cette option, parce que nous la préférons. Nous pensons qu'il s'agit là d'une approche humaniste convenable de la vie ; qui ne consiste pas à distinguer entre les gens en raison de leur religion ou de leur nationalité. Nous avons commencé à créer des écoles maternelles communes, nous sommes en train de créer des modèles pour le futur, qui amèneront aux questions de constitution, d'économie et de culture, pour une telle structure politique future, et nous n'avons pas l'intention de nous laisser intimider ni dissuader par les politiciens, des deux côtés, qui disent « pas question ; la meilleure chose, pour nous tous, c'est de vivre à l'abri de nos murs et pas du tout de nous intégrer. Et même si nous devons déplacer un million de personnes ailleurs, pour celui qui restera, c'est ce qu'il y aura encore de mieux. Nous devons rester entre semblables, c'est la seule manière que nous ayons pour survivre. » Nous savons que ce sont là des politiques de haine et de conflit. Ce ne sont en aucun cas des politiques de paix et de réconciliation.

Tout cela restera probablement impossible - et c'est avec cette remarque que je terminerai - tant qu'il n'y aura pas une capacité israélienne, ou plutôt une capacité juive, en Israël et en Palestine, de prendre conscience de 1948 et de l'intégrer. De reconnaître ce qui s'est passé en 1948, de reconnaître les opérations d'épuration ethnique que les Israéliens persistent à dénier, et. Et puis aussi, bien entendu, dès lors que vous ne bâtissez plus votre futur sur la base d'un Etat juif ou d'un Etat arabe, l'idée du retour des réfugiés palestiniens ne menace plus personne, parce que vous ne raisonnez plus en terme de majorités, ni de minorités ethniques.

Je vous remercie.

 


 Source : Silvia Cattori


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