Ariel Sharon soutenait que le retrait de Gaza était
la meilleure solution ; les dirigeants du parti travailliste
soutiennent la construction du Mur car ils pensent que c’est le
meilleur moyen de limiter la présence de Palestiniens en Israël.
Des groupes extra-parlementaires, tels le mouvement
autour des Accords de Genève, la
Paix Maintenant, le Rassemblement pour la Paix
et la Sécurité, le groupe Ami Ayalon et l’Arc
en Ciel Démocratique Mizrachi, prétendent aussi avoir une
solution face à ce qui est présenté comme un problème.
A part les 10 élus des partis palestiniens et deux
Juifs Ashkenazes Ultra-Orthodoxes marginaux, tous les députés de
la nouvelle Knesset (ils sont en tout 120) proposent leur formule
magique pour résoudre « le problème démographique ».
Les moyens varient depuis la réduction du contrôle israélien sur
les Territoires Palestiniens sous Occupation (TPO) - en fait le plan
concocté par le parti travailliste, Kadima et le Shas (parti des Sépharades
Orthodoxes) qui prévoit un retrait israélien de la moitié de ces
territoires - jusqu’aux actions les plus autoritaires. Les partis
les plus à droite comme Yisrael Beytenu, le
parti ethnique russe d’Avigdor Lieberman, et les partis religieux
veulent volontairement tranférer les Palestiniens en Cisjordanie.
En résumé, la réponse sioniste est soit de diminuer le problème
en cédant une partie des TPO soit de réduire le groupe de
population jugé « problématique ».
Rien de cela n’est neuf. Le problème de
population a été vu comme le principal obstacle à
l’accomplissement du projet sioniste dès le 19e siècle, et David
Ben Gourion avait déjà dit en 1947 « qu’il ne pouvait y
avoir un état juif stable et fort tant que sa majorité juive ne
serait que de 60% ». Il avertiss ait lors de la même occasion
qu’Israël aurait à traiter ce problème « sévère »
avec « une nouvelle approche ». L’année suivante, le
nettoyage éthnique réalisé a ramené la proportion de
Palestiniens à moins de 20% de toute la population de l’état
juif (dans la partie initialement allouée à Israël par les
Nations Unies plus la zone occupée lors de la guerre de 1948, les
Palestiniens auraient représenté environ 60% de la population). De
façon intéressante mais peu surprenante, Binyamin Netanyahu remit
sur le tapis en décembre 2003 le nombre magique de Ben Gourion :
les indésirables 60%. « Si les Arabes en Israël forment 40%
de la population », déclara Netanyahu, « ce sera la fin
de l’état juif ». « Mais 20% sont aussi un problème »,
ajouta-t-il. « Si l’existence de ces 20% est problématique,
alors l’état est tenu d’employer des mesures extrêmes ».
Il n’a pas donné de précisions...
Israël a renforcé sa population à l’occasion de
deux vagues massives d’immigration, chacune faisant près d’un
million de personnes : en 1949 et dans les années 1980.
Ces deux vagues ont tiré vers le bas la proportion
de Palestiniens et aujourd’hui ces Palestiniens représentent
environ 20% de la population israélienne (sans tenir compte des TPO).
Ehud Olmert, chef du parti Kadima et premier ministre en exercice,
estime que si Israël maintient sa présence dans les TPO et si les
habitants de ces territoires sont intégrés dans la population israélienne,
les Palestiniens dépasseront alors les Juifs d’ici 15 ans.
C’est pourquoi il se fait l’avocat d’un « repli »
ou d’un « recentrage » qui consisterait à laisser
plusieurs centres de population palestinienne en dehors d’un contrôle
israélien direct. Mais si cette opération se réalise, il
subsistera malgré tout une importante population palestinienne à
l’intérieur des 88% de la Palestine historique dans lesquels
Olmert voit l’avenir d’un état juif et stable.
Quelle serait la proportion exacte de Palestiniens ?
Nous ne le savons pas : les démographes israéliens
appartenant au centre ou à la gauche font des estimations basses
qui font d’une politique de désengagement une solution
rationnelle, alors que ceux liés à la droite tendent à exagérer
les perspectives. Mais tous semblent d’accord sur l’idée que la
balance démographique ne restera pas toujours la même, vu le haut
taux de natalité qui prédomine parmi les Palestiniens, comparé à
celui des juifs israéliens. Donc Olmert peut arriver à la
conclusion que les désengagements [des TPO] pourraient ne pas être
la solution.
Une fois que les « Arabes » en Israël
et les Palestiniens dans les TPO pouvaient être représentés en
Occident sous l’appelation de « Musulmans », il
devenait plus aisé d’obtenir le soutien des politiques démographiques
israéliennes, au moins là où cela compte : sur la colline du
Capitole. Mais même en Europe il n’était pas nécessaire, après
le 11 septembre, d’expliquer en quoi Israël avait « un
problème de démographie ». Le 2 février 2003, le journal
populaire « Maariv » affichait un haut de page typique :
« Un quart des enfants en Israël sont Musulmans ». Le
reste de l’article expliquait en quoi cette information représentait
la prochaine « bombe à retardement » en Israël.
L’augmentation de la population de religion musulmane - 2,4%par an
- n’était plus un problème, mais « un danger ».
Lors de la course à l’élection, les différents
concurrents ont abordé cette question en utilisant le langage en
vogue en Europe et aux Etats-Unis lors des débats sur
l’immigration. Ici, cependant, c’est la communauté immigrée
qui décide du sort de la population autochtone et non pas
l’inverse. Le 7 février 1948, après avoir circulé de Jérusalem
à Tel Aviv et avoir vu à l’ouest de Jérusalem les premiers
villages vidés de leurs habitants Palestiniens, un Ben Gourion
jubilatoire disait à un entourage de responsables sionistes :
« Lorsque j’arrivais à Jérusalem, je sentais que c’était
une ville hébraïque. C’est un sentiment que j’éprouvais
uniquement dans des fermes et à Tel Aviv. Tout Jérusalem n’est
pas devenu hébraïque mais il y a déjà un bloc très important
sans Arabes. Un bloc 100% juif. Si nous persévérons... »,
ajouta-t-il, « ... ce miracle se reproduira partout. »
Mais malgré cette persévérance, une communauté
de Palestiniens a pu rester. Ils sont étudiants dans mon université,
où ils suivent des cours de professeurs qui parlent du grave problème
démographique. Les étudiants Palestiniens en droit dans l’Université
Hébraïque - les quelques chanceux qui représentent un nombre
restreint - peuvent faire bon accueil à Ruth Gabison, ancienne
responsable de l’Association pour les Droits Civiques et candidate
à la Cour Suprême qui s’est manifestée récemment avec des vues
puissantes sur le sujet, vues qui lui semblent probablement
consensuelles. « Israël a le droit de contrôler le développement
naturel de la population palestinienne », a-t-elle déclaré.
En dehors du campus universitaire, ces étudiants ne
peuvent échapper au fait qu’ils sont considérés comme étant un
problème. Depuis la gauche sioniste jusqu’à la droite la plus
dure, ils entendent journellement que la société juive cherche à
se débarasser d’eux. Et ils auront raison de s’inquiéter
chaque fois qu’ils entendront dire qu’ils deviennent un « danger ».
Tant qu’ils étaient considérés comme seulement un problème ils
pouvaient se sentir protégés par une certaine prétention à la démocratie
et au libéralisme. Mais une fois qu’ils sont considérés comme
un danger, ils peuvent avoir à faire face à des politiques
d’urgence s’appuyant sur des lois de régulation remontant au
mandat britannique. Sous un tel régime, les maisons peuvent être démolies,
les journaux interdits de parution et les gens expulsés.
Les élections de 2006 ont amené à la Knesset une
solide coalition décidée à s’occuper du problème démographique :
tout d’abord en procédant à un désengagement d’une partie de
la Cisjordanie, puis en terminant le réseau de murs autour des
enclaves palestiniennes. La frontière entre Israël et la
Cisjordanie fait en temps normal 370 kilomètres de long, mais le
mur qui serpente va doubler cette distance et va étrangler de
vastes communautés palestiniennes. Dans les zones palestiniennes en
Israël la ségrégation est garantie par des programmes de
construction approuvés lorsque Sharon était ministre des
infrastructures nationales : les colonies juives surplombent et
encerclent de larges zones palestiniennes comme le Wadi Ara et la
basse Galilée.
Le 31 juillet 2003, la Knesset a voté une loi
interdisant aux Palestiniens d’obtenir la nationalité israélienne,
le droit à résidence permanente ou même temporaire en cas de
mariage avec un(e) ressortissante israélien(ne). L’initiateur de
cette loi était un sioniste libéral, Avraham Poraz du parti
centriste Shinui. Il décrivait son initiative comme « une
mesure de défense ». Seuls 25 députés de la Knesset s’y
sont opposés et Poraz a été jusqu’à déclarer que ceux qui étaient
déjà mariés et leurs familles « devront aller en
Cisjordanie », sans qu’il soit tenu compte de la longueur de
leur séjour en Israël.
Les députés Arabes de la Knesset ont participé au
dépôt d’un recours auprès de la Cour Suprême contre cette loi
raciste. Lorsque la Cour Suprême a rejeté l’appel, leur énergie
s’est effondrée. Les députés Arabes appartiennent à trois
organisations : le Parti Communiste (Hadash), le Parti National
d’Azmi Bishara (Balad) et la Liste Arabe Unifiée animée par le
secteur le plus pragmatique du mouvement islamiste. La Cour Suprême
a exprimé clairement en quoi leur recours était déplacé aux yeux
des systèmes parlementaire et judiciaire. Nous avons toujours dit
que les Palestiniens pouvaient vivre dans la seule démocratie de la
région et auraient le droit de vote, mais ce vote ne donnerait
aucun pouvoir.
A la fin de la nuit du 24 janvier de cette année,
une unité d’élite de l’armée de la police des frontières a
encerclé le village de Jaljulya. Les troupes ont envahi les maisons
puis expulsé au dehors 36 femmes, avant d’en déporter 8
d’entre elles. Ces femmes ont été obligées de retourner à
leurs anciennes maisons en Cisjordanie. Certaines d’entres elles
étaient mariées depuis des années à des Palestiniens de Jaljulya,
certaines étaient enceintes et d’autres avaient des enfants, mais
les soldats ont apporté la preuve au public israélien que lorsque
le problème démographique se tranforme en danger, l’état agit
rapidement et sans hésitation. Un seul député de la Knesset a
protesté, mais l’expulsion a été soutenue par le gouvernement,
la justice et les moyens d’information.
Les 10 députés de la nouvelle Knesset qui
appartiennent à des partis palestiniens ne seront dans aucune
coalition et se retrouveront très probablement marginalisés et
oubliés comme ils l’ont été dans le dernier parlement (il y a
deux autres députés arabes et deux députés druzes appartenant au
Kadima et au parti travailliste). Le journal Haaretz
a envoyé un journaliste pour que celui-ci passe quelques jours dans
les « zones arabes » de façon à pouvoir écrire -
comme un touriste anthropologue - sur les réactions palestiniennes
face aux élections. A part ce reportage, les médias israéliens
n’avaient rien à dire sur le vote des Palestiniens. Après tout,
ils sont le problème, et pas la solution. Et si le prochain désengagement
ne « stoppe » pas l’augmentation de leur nombre,
l’opération de Jaljulya peut montrer quelle est la voie à
suivre.
Il n’est pas étonnant que beaucoup de
Palestiniens veulent à présent que la communauté internationale
intervienne. Mais Israël a ignoré le jugement de la Cour
Internationale de Justice sur le mur et est peu susceptible d’être
influencé par ce qu’il voit comme une interférence dans ses
affaires internes.
Il y a un autre appel qui apparaît, encore hésitant
mais qui va monter en puissance : un appel pour la création
d’un parlement autonome pour les Palestiniens vivant en Israël.
Dans un monde qui a marginalisé cette communauté à deux reprises
- dans la politique palestinienne générale et dans la société
juive - les 1,3 million de citoyens Palestiniens en Israël ont très
peu à perdre en boycottant la Knesset et en décidant d’une représentation
autonome. Qui sait ? Ils réussiront peut-être à convaincre
la société israélienne qu’ils sont « seulement » un
problème et non pas un danger.
Ilan Pappe est enseignant à
l’université d’ Haifa
Ilan Pappé
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